Un signe par delà la vraie mer
Nalini avait quitté tout ce qui faisait son identité il y avait des années : sa famille, son camp, les suli. Aujourd’hui elle n’était plus qu’une femme sans attache dans une ville qui ne voulait pas toujours d’elle. Pourtant, la commerçante savait qu’elle pouvait devenir ce qu’elle voulait ici avec de l’argent. La ville était corrompue par les kruge rendant possible l’ascension sociale et Nalini avait bien l’intention de se faire un nom.
Depuis qu’elle était arrivée, elle s’était installée au marché pour vendre certaines de ses préparations anti douleurs. Et derrière la chute de tissu de son stand, elle tirait les cartes aux plus aventureux. Un commerce qui n’était pas encore fructueux mais qui lui permettait tout de même de vivre. Il lui arrivait également d’accepter des petits boulots ici et là pour dépanner.
En rentrant le soir, elle quittait les beaux quartiers de la ville pour retrouver son hébergement miteux mais abordable. De toute manière elle n’y passait que peu de temps. La jeune femme préférait longer les quais plutôt de s’enfoncer dans la ville. De là, elle pouvait observer les Hommes et le remue-ménage autour d’eux. Les regards mesquins, les retrouvailles ou les aurevoirs déchirants, tout se mélangeait.
Au milieu de tout ça, les touristes se distinguaient par leur candeur. Ils découvraient la ville, n’ignoraient pas ses dangers mais finissaient quand même par se faire plumer. D’ordinaire Nalini ne les aidait pas, elle les regardait de loin. Mais pas cette fois. Perdue dans la foule, une silhouette masculine se fit bousculer. L’assaillant s’excusa pendant que derrière eux, un autre voleur subtilisa adroitement une petite bourse avant de partir furtivement.
Nalini soupira. Elle quitta des yeux les deux silhouettes pour poursuivre la troisième. En le suivant camouflée derrière les caisses de marchandise, elle finit par en faire tomber une au sol pour faire trébucher l’homme. Le temps qu’il se relève, la jeune suli était déjà repartie avec la bourse. Elle retrouva le propriétaire dans la foule sans trop de problème et lui tendit sous le nez son bien.
« Tu as failli partir sans ça. » dit-elle en Ravkan. L’homme avait les cheveux noirs de jais, bouclés, la bouille ronde.
« Première fois à Ketterdam ? » demanda-t-elle du coin de l’oeil. Elle avait eu le temps de l'analyser.
« Fais attention à tes affaires gamin. » Le surnom n’avait rien d’hautain au contraire, Nalini le regardait avec un grand sourire comme elle avait l’habitude de les offrir.