Un être vous manque… et vous n'avez plus rien à manger ! | Rosamund

« Maman, raconte-moi mon Histoire ! »

Cette demande ne venait pas d’un enfant, bien que nous soyons tous l’enfant de quelqu’un. Non, elle s’exprima, silencieuse, dans l’esprit d’un jeune homme sur le point de passer une nuit de plus à la belle étoile. Tout en fermant ses paupières, il commença à visualiser le visage doux, à la peau sombre, de sa maman. Dès qu’elle ouvrira la bouche, il savait qu’il allait aussi reconnaître sa douce voix. Celle qui le berça, tout petit. Celle qui hurla et mentit, dans cette fin de son enfance. Il préférait ne garder en lui que la douceur.

Que dire de toi, mon garçon ? Tu es né sous le nom de Alvid, prénom porté par mon père et que je t’ai transmis. Rosamund, tu as choisi cette identité au moment de recommencer ta vie… au moment de ma mort, afin de me rendre hommage. Il faut croire que tu m’aimes donc un peu, que je t’ai rendu heureux.

Sous ses paupières, l’adolescent roula des yeux. Il plaçait sa mère au rang de déesse. Reine de toutes les divinités, fussent-elles grishas ou non.  Était-il fou, à se persuader de sa présence, même maintenant ? Peut-être bien ? Pouvait-il le savoir ?

Tu ne connais pas ton père, tu ne le connaîtra sans doute jamais. Ton papa est porté disparu depuis une énième traque contre les Grishas. S’il n’a jamais mentionné devant moi en être un, son départ précipité ne peut que vouloir dire que tu as hérité ce talent, ton talent, de lui. Enfin… revenons un peu avant, veux-tu ? Ton âge, je ne peux que l’estimer. Je ne sais hélas pas compter, ni lire d’ailleurs. Tout ce que je sais, c’est qu’un jour la vie nous as souris. J’ai toujours veillé à ce que tu n’ai jamais faim mais… les temps devenaient difficiles pour nous. C’est là que cette tante dont j’ignorais l’existence est arrivée. Enfin… son héritage. Une fortune pour nous ! Assez pour t’envoyer à l’école, te donner l’éducation que tu n’auras jamais avec moi. Je n’ai pas hésité un instant. N'est-ce pas ce qu'aurais fait tout parent digne de ce nom ?

Complètement, tombait d'accord Rosamund.

Tu étais si beau le jour de ton départ à l'école. Je me suis assuré que personne ne puisse deviner tes origines modestes à cause de tes habits du premier jour. Ton grand cœur et toi, vous m'avez fait un calendrier aussi. Pour cocher les cases en attendant ton retour. Je me souviens, celle où tu revenais étais coloriée en bleu, ta couleur préférée.

Dire qu’il adorait la couleur bleue serait un euphémisme. Il écrivait avec cette encre, il portait des bijoux avec cette teinte et, chaque fois qu’il achetait des fleurs pour maman, elles furent en effet bleues. Au fil du temps, cette tradition devint leur truc à eux. Quelque chose entre maman et Rosamund.

Dès le début, quand je venais te chercher pour tes congés, les hommes de foi ne manquaient pas d’éloges à ton sujet. Tu aimais apprendre. Tout. Tout le temps. Je crois qu’ils étaient aussi heureux que dépités, aurais-tu poussé le vice jusqu’à frapper à leurs portes dans la nuit, pour soulager ta conscience d’un dilemme lié au savoir ? Ne répond pas, je sais que c’est le cas. Depuis que tu sais parler, tu n’as jamais cessé de poser des questions.

Chaque fois que tu apprenais quelque chose de nouveau, tu m’en expliquais les moindre détails. Tu t’es mis en tête de m’apprendre l’alphabet, avec ta bienveillance naturelle. Je me souviendrai toujours de la façon dont, à la plume, tu dessinas les lettres sur du papier. Tu y associais toujours un mot : A, pour Amour… B, pour Bienveillance… C, pour Câlin. Encore et encore, tu continuais, jusqu’à rougir en arrivant au Z, car le seul mot qui te vint fut ‘zizi’.

Même maintenant, Rosamund sentit son visage s’empourprer. Il se serait bien passé de ce souvenir. Son subconscient se jouait de lui… ou le fantôme de sa mère.

Enfin… malgré tout, il chérissait aussi ces instants et écoutait sagement la voix issue de son traumatisme. Peut-être devenait-il fou, après tout ? Fou de douleur ? Ce serait bien sa chance, d’avoir échappé au pire pour devenir bon à enfermer. Pourtant, ce n’était pas le truc le plus dingue qu’il fit de sa courte vie ! Oh que non. Wait for it…

Les années sont passés. Tu devais avoir dix ou onze ans quand ta petite science s’est révélée pour la première fois.Tu venais de rentrer à la maison pour prendre soin de moi. Dès que tu as appris que j’étais malade, tes études sont passées au second plan. Pourtant, je n’avais rien de dramatique ! Tu fixais les braises dans notre cheminée, l’air d’en vouloir au monde entier que ta maman soit clouée au lit… et le feu est repartit de plus belle. Jamais je n’ai eu aussi peur de ma vie. Pas de toi, non, jamais. Pour toi. J’ai eu peur de ce que le monde te ferais si on te découvrait. Après tout, c’est aussi ainsi que ton papa a disparu à jamais. Je ne voulais pas te perdre aussi… pas alors que tu possédais la connaissance et donc, un avenir meilleur que le mien.

Tu as veillé à cacher tes talents. Des années durant tu es parvenu à n’user de ta petite science. Malgré tout, tu progressais. Je suppose que tu t’entraînais discrètement, peut-être à la lueur de ta bougie dans la chambre te revenant à l’école. Vous étiez tous dans ces étranges cellules individuelles. Elle possédait au moins cet avantage, ta chambre. Tu m’as avoué, une fois, posséder un stock de bougies que tu empruntais plus ou moins longtemps afin de pratiquer sans te faire surprendre. À la maison, tu faisais toujours attention par contre. Rien que ne puisse sembler surnaturel, pour que personne ne risque de te dénoncer.

À quinze ans, tu as cependant failli me donner une crise cardiaque. Tu es revenu en m’affirmant que tu souhaitais entrer dans les ordres ! Toi ! Tu m’auras vraiment tout fait !

Sous la couverture des étoiles, Rosamund éclatait de rire. Il est vrai qu’à son annonce, sa mère avait fait une drôle de tête ! Surtout quand il présenta fièrement la tenue qui sera la sienne dans un avenir proche.

Cette idée a durée. Tu l’as fait, mon grand couillon de fils. Ne fait pas cette tête, tu sais que c’est de moi que tu tiens un langage légèrement fleuri. Tu n’as jamais cessé de me visiter, même quand tu as embrassé ta vocation. Tu étais heureux et, dans cet environnement, tu pouvais user de ta petite science lors de tes instants de solitude sans que personne ne risque de te voir. Parfois, les membres de ton ordre partaient en voyage pour amasser des connaissances. C’est là que tu es revenu. Tu as décidé de m’emmener avec toi. Me faire voir du pays en remerciement de tout ce que je fis pour toi. Grand nigaud, c’est le rôle des parents !

Notre vie à basculée sur les routes. Nous venions de nous installer dans une grande ville pour les prochaines semaines. Le temps pour toi de consulter les archives, de prendre des notes, de négocier pour obtenir quelques premières éditions à ajouter aux collections de ton ancienne école. Tu devais aussi en déposer une partie à un orphelinat que nous vîmes sur la route. Nous ignorions que ta bonté allait te jouer des tours. Nous ignorions que cet endroit appartenait à un groupe nommé les Okhotnik et que, suite à un malheureux concours de circonstance, nous allions devoir nous dire adieu…

Rosamund serra les dents. Il ne savait ni quand, ni comment, mais quelqu’un devina qu’un Inferni logeait là où ils dormaient le temps de leur séjour. Dans les faits, ce n’était pas tant un hasard. Plutôt un membre de son Ordre qui agissait comme un informateur et profita de son voyage pour laisser entendre qu’un Grisha se trouverait à l’auberge en question. Le jeune homme préférait ne pas se souvenir des détails. Des cris. Des douleurs. Des choses infligées par ces barbares pour les faire parler… et maman… maman a fait le sacrifice ultime. Elle s’est désignée, accusée. Plutôt porter le blâme que voir son enfant périr. Elle aurait pu survivre. Quelqu’un est venu les aider. Une faiseuse de marée. Elle a botté le cul à leurs assaillants. Enfin… elle a plutôt décidé d’écourter leurs vies mais maman était déjà trop blessée. Elle ne s’en remettait pas… alors la jeune femme l’aida à lui rendre les derniers sacrements. Elle lui a avoué les pister depuis un moment et fut celle l’aidant, au fil des semaines, à découvrir la triste vérité. La trahison de ceux qu’il pensait de ma famille. Il s’est effondré et pourtant, jamais l’envie de se venger ne lui traversa l’esprit. Sa mère n’aurait pas voulu cela.

— Wow… tu es bien plus sage que moi, gamin. lui avait lâché la fille, Leÿlin. Ouais, elle, il la voyait bien se venger, bizarrement. J’dois reprendre la route mais prend ça… si tu as besoin d’aide, pars à la recherche d’un navire qui s’appelle le Kraken. Demande Alaric. Il saura que tu viens de ma part.

Elle ne le laissai qu’une fois remis de ses blessures, bien entendu. Rosamund, pour sa part, ne savait pas trop quoi faire de sa vie. Trahis par des hommes de religion, il ne croyait plus en aucun Sankts. Qu’avait-il fait de mal ? Et mama ? Leÿlin lui demanda de remettre un message à Alaric de sa part, de lui assurer qu’elle allait bien… il suspecta qu’elle fasse ça pour qu’il prenne contact pour la première fois avec l’homme qui, elle le jurait, acceptera sa nature. Il n’aura pas à se cacher.

Sa première mission, cela dit, consistait à survivre sur les routes… à trouver le bon port et surtout, ne pas passer pour un fou rodant autour des navires. Qu’allait-il faire de sa vie, hein ? Une fois son message transmis ? Il pourrait devenir professeur mais… les temps sont durs pour eux en ce moment et souvent, la peur le tient éveillé. Celle de voir quelqu’un surgir pour mettre un terme à sa jeune existence. Peut-être cherchera-t-il à connaître le sort de son père ?