La fin du désert se cache peut être derrière chaque dune | Daniil

Souvenirs éparses d'une vie dissolue, aujourd'hui, petit canari en cage, tu fais le point. Oh... Ta vie est loin d'être difficile. T'es né dans une famille noble de Ravka. Pourtant t'as grandis comme tout le monde, t'as braillé, t'as appris à marcher, t'es tombé, tu t'es relevé. Même expérience que le bas peuple, du moins... C'est s'que t'as toujours pensé AVANT de quitter le cocon doré.

Gamin déjà, t'entendais tes parents se gargariser de tes connaissances, de ce que tu apprenais. Toi... Toi tu t'ennuyais juste, tu voulais tromper l'ennui, battre la campagne comme tout le monde.

Bien vite il a fallut faire un autre tableau familial. Une petite fille est venue agrandir le tableau. "Deva", on t'avais dit. Tu te souviens encore de cette petite chose dans le fond de son berceau, et de ce que ta nourrisse t'avais dis. "Il faut en prendre soin de cet enfant. Il est fragile tu sais". Qu'elle avait dit. Et si dans un premier temps, tu n'étais pas vraiment heureux de partager tes moments de famille avec elle, tu as compris, assez vite, qu'elle faisait partie de ta vie, qu'elle ne partirait pas, et que... Mine de rien, elle était mignonne lorsqu'elle souriait. Que ses rires égrainaient des notes agréables qu'il t'arrivais parfois de gratter sur ton instrument. Tu as tenté de lui apprendre tout ce que tu savais, de lui lire des histoires le soir. Et plus tard... Tu as eu ce rôle de repère, ce rôle presque parental pour elle, tu lui a donné ce que tu avais voulu avoir, ce que tu avais souhaité avoir de tout ton cœur. Tes parents étant afférés partout sauf auprès de leurs gones. Aucune histoire larmoyante au portillon, juste celle d'un gosse qui s'ennuie à mourir dans un endroit monotone. La vie d'un noble, en somme.

A tes dix huit ans, tu participes à beaucoup trop de bals mondains, qui finissent bien souvent dans les bras d'autres nobles. Toujours des hommes. Tu l'avais toujours connu cette attirance, mais tu n'en avais jamais parlé, cela fait mauvais genre, surtout quand tes parents prévoient de te marier. Et tu fuis, tu fuis avant de te laisser emprisonner dans ce carcan qui te rendra incroyablement triste. T'as jamais vu le monde, et tu traverse déjà la mer. Ketterdam... T'en garde un bon souvenir. Mais bien vite, l'ennui était revenu. Un compagnon de route avec lequel tu trace ta route depuis tout jeune. Le kertch, tu l'as appris relativement vite. Tes études en arithmétique et droit ? Trop simple, tu as même songé à te lancer dans l'apprentissage de la construction navale en désespoir de cause...

Tu te souviens néanmoins que c'est dans ces ruelles crasseuses, que t'as joué aux dés la première fois, tu te souviens encore... De cette jouissance au moment de gagner, de cette incertitude au moment de jeter les dés, de cette excitation. Et du bruit... Le bruit que font deux dés en os qui s'entrechoquent et dévalent le plateau. Le son... Des cartes qu'on bat avec soin, de celles qui glissent sur le tapis de jeu, et celui des kruges qui tintent mélodieusement en tombant sur le tapis de jeu. Toutes ces notes, parfois tu les glisse dans les chansons que tu écris, sans vraiment le dire. Tu n'iras pas au bout de tes études. Tu ne te voyais pas rester cinq ans, et dilapider toute la fortune familiale. Tu n'en diras rien, mais c'est les poches vides que tu rentres à la maison, un pendentif que tu as gagné aux cartes bien précieusement rangé dans ton paquetage. La goutte au bout de la chaine d'argent semble refléter l'univers et ses étoiles. Il sera pour ta soeur, précieuse gamine qui vient t'enlacer à ton retour au bercail.

Tes parents... Ah tes parents... Ils font figuration, et tu ne t'inquiète pas de leur demander quoi que ce soit, quand tu décides à nouveau de partir. Après tout... Les voyages forment la jeunesse. Les années passent... Le mariage est de plus en plus mis sur le tapis. L'étau se resserre de plus en plus autour de toi. C'est sans doute ce qui te décides, à 30 ans, à repartir sur les routes. Le mariage, les enfants, la baronnie, très peu pour toi. Esprit libre, tu pars sans un centime en poche, dans des vêtements beaucoup moins luxueux que les beaux atours dans lesquels tu te baladais. Quittant un domaine où "opulence" était le mot d'ordre, pour la vie de musicien, saltimbanque des routes. Balalaïka entre les mains, accompagnant ta soeur, elle même du voyage, sur des chants tous plus inspirés les uns que les autres.

Certains affirment que la musique ne remplit pas les assiettes, qu'il est idiot de ne vivre que de cela, que c'est risquer de mourir, comme la cigale, dans cette fable un peu idiote que tu avais étudié un jour. Tu sauvais encore la réciter. Mais la musique... En un sens tu as toujours trouvé qu'elle nourrissait l'âme, qu'elle puisait les choses mauvaises, toutes ces zones d'ombres, tous ces vieux démons, pour en faire des mélodies transcendantes.

La destination qui s'était imposé à ton esprit était "Ketterdam". Tu devais avouer que le poids des dés dans ta paume manquait. Quelque chose qui te brûlais les doigts. Cette excitation te manquais, cette sensation d'euphorie, de flirter avec le danger. Cette adrénaline... Tu étais prêt à entendre le chant des sirènes, tant que cela te menais plus près de ton but, tel un alcoolique se rendant, jour après jour, alors même qu'il sait que cela lui ruine le foie, auprès de l'alcool.

Vous aviez fini par vous faire un nom, certains endroits où jouer régulièrement, une situation. Vous étiez arrivés, non pas comme des souverains, mais comme de simples saltimbanques. Et vous aviez fini par vous trouver une situation. Tes parents seraient sans doute fiers... Et pourtant... Ce manque, ce manque qui empêche de fermer l'oeil... Ce manque qui rend distrait, c'était comme perdre une partie de soi, rester avec une idée fixe en tête qui ne s'arrête jamais vraiment. Plus... Tu en voulais plus... Toujours plus.

"Allons mon chou... Tentes encore ta chance, peut être que tu pourras gagner ce soir." Il y avait de grosses sommes sur le tapis, un bel homme en face qui te faisais des risettes, tu te souviens encore... De ce joli visage, de sa jambe, venant doucement frotter la tienne, comme une invitation. Ces sous... C'était ceux que tu étais sensé rembourser. Tapis. Tu suivais, et la danse hypnotisante des cartes se continuaient. Etait-ce un roi ? Un as ? Un valet ?

L'intérêt brillait dans tes prunelles, et à cette période... Oh par tous les sankts... Tu te sentais tel un papillon de nuit attiré par la flamme d'une bougie. T'approchant... T'approchant encore, et encore, pour te brûler les ailes, pour disparaître en cendre. Toujours plus... Toujours plus de lumières, de contact, de risques, toujours ce petit palpitant qui se serrait, toujours le cerveau lancé à la recherche d'une quelconque tactique alors que tout découlait du hasard.

Ce soir là, tu repartais accompagné, les poches vides. Ce que tu ne savais pas... C'était qu'il était un crow, et que tu faisais désormais parti d'une combine vieille comme le monde. Une arnaque bien ficelée. Au petit matin, malgré la tête embrumée sur l'oreiller, la réalité s'impose à toi. Un coup de poing dans la gueule, quelques informations hurlées sans que tu saches réellement de quoi il s'agit. Tu ne t'es jamais demandé ce qui se passerait quand tu aurais écoulé tout ton argent, si tu étais susceptible de risquer ta vie. Et en réalité, ça te passais à travers...

Jusqu'à ce qu'ils parlent de la "petite" que tu avais laissé sur ton sillage. Ils savaient où elle se trouvait. Les détails qu'ils t'offrirent te fit rougir jusqu'aux oreilles, de colère, blêmir de peur. Ton cerveau fonctionnant à vive allure. Aussi docile qu'un banal mouton, tu avais suivi tout. Acquiescé à tout ce qu'on te demandais. Feignant l'indifférence, prenant soin de ne jamais apparaître devant ta soeur, de ne jamais croiser sa route. Tu savais... Désormais, que les routes sur lesquels tu cheminais étaient fait d'ombres. De dangers, de mort. Et... Tu ne lui souhaitais pas ça, à dire vrai. Tu voulais juste l'épargner, parce que tu savais, au plus profond de ton coeur, que cette vie ne menait à rien d'autre qu'à une mort lente et douloureuse. Des vieux os ? Tu avais renoncés à ça.

Oh... Tes services, pour rembourser les crows n'étaient pas bien exaltants, mais les "à côtés" l'étaient, et tu retrouvais, parfois, ce feu qui t'avais tant enivré, dans le jeu. Tu avais de plus en plus l'impression d'être à ta place parmi des gens qui, désormais, au fil des mois, ne te traitais plus comme un étranger, mais comme l'un des leurs. Et toi... Toi tu avais l'impression d'avoir trouvé une place à l'ombre. Loin de ta soeur. Mais c'était le mieux pour elle. C'était le mieux.

Et, c'est avec une pointe de tristesse que tu regardais ce corbeau, tatoué sur le dos de ta main, les plumes remontaient le long de ton avant bras. Tu sentais un contact dans ton dos, un corps se pressant à nouveau contre le tien, dans une recherche de chaleur.

"On raconte que tu étais musicien dans une ancienne vie. Joues moi un morceau." C'est une balalaïka qui n'était pas la même que celle avec laquelle tu avais quitté ta patrie que tu sortais de ce coffre, au pied de ton lit. La musique qui s'en échappe est plein de cette nostalgie que tu ressentais au fond de ton coeur. Celle qui te maintenais parfois éveillé la nuit. Ton regard perdu dans le vague, tu pensais à cette pauvre Devi... Qui devais encore attendre ton retour à la maison. Peut être était elle repartie chez vos parents. C'était sans doute la meilleure fin possible. Mais tu savais à quel point elle pouvait être têtue. Tu avais pris soin de brouiller toutes les pistes, de faire taire chaque interlocuteur potentiel. Tu devais rester... Invisible, pour sa sécurité.