Alaric - Que savez-vous des monstres marins ?

| L’enfance (TW tentative de viol)


Les pleurs du bébé attirent Ludmila à la fenêtre de sa chambre, celle qui donne sur le hall de l’orphelinat. Cela fait quelques heures qu’elle n’arrive plus à dormir, alors elle ne tarde pas à sortir sur le pallier, en poussant la lourde porte de bois et récupère le nourrisson dans ses bras. Dans la semi-obscurité jetée par l’aurore, les pleurs cessent aussitôt que les yeux azur rencontrent les prunelles ébènes de la jeune femme. Il s’appellera Sky.

Sky est un bon petit garçon. Discret, sage. Il apprend vite. Et puis il comprend dans quelle situation il se trouve. Il comprend qu’il ne trouvera jamais de famille et qu’il fera toujours les mêmes corvées jusqu’à la fin de ses jours. Coincé entre les murs austères et insalubres de l’orphelinat « Le Frêne », avec pour seul extérieur la cour de terre battue, sans une once de végétation tant les nombreux pas des gamins trompant l’ennui ont tassé le sol.

Il a probablement neuf ans quand Ludmila, qui l’a clairement à la bonne, se met en tête de l’emmener faire des courses, le jour de son anniversaire d’arrivée au Frêne. Grosse erreur. Une fois qu’on a mis le pied hors de la cage, y retourner est terrible. Mais Sky est patient, il est exemplaire et à chaque fois, il a le droit de faire des courses avec Ludmila. Ce n’est rien qu’une fois toutes les deux semaines, mais c’est déjà beaucoup, ça donne un goût inassouvissable pour la liberté tout en permettant de la savourer.

Un jour pourtant, tout ne se passe pas comme prévu. Ce jour-là Ludmila avait eu envie de faire une tresse dans les cheveux de Sky, parce qu’il a de longs cheveux noirs, soyeux et légèrement ondulés. Il refuse pour une raison inconnue qu’on les lui coupe, alors il les attache en permanence pour qu’on le laisse tranquille, mais aujourd’hui, il a laissé Ludmila décider. Alors, lorsqu’il attend que sa gardienne ait terminé de faire ses courses chez l’herboriste, là juste devant la vitrine, un homme l’agrippe par le bras et l’entraîne dans une petite ruelle. Sous la surprise et le choc, Sky laisse tomber le panier dont il voit les rations s’échapper, dont son précieux gâteau, juste pour lui, qu’il gardait pour plus tard. Il regarde avec effroi le tout s’écraser au sol dans une lenteur abominable alors que la poigne de l’homme à la stature d’une montagne l’entraîne sans ménagement là où le soleil ne brille pas.

Le choc de son dos contre un mur de pierres le ramène à lui, son regard se lève vers la brute qui se penche pour lui baisser le pantalon. « Mais t’es une saleté de garçon ! Aïe ! Petit merdeux ! Reviens ici ! » Mais il court comme un dératé, un goût âcre dans la bouche, celle de la main sale qui l’a touché, il court sans regarder où il va, se perd, le cœur battant à toute allure. Les larmes lui brouillent la vue. Puis il se cogne contre quelque chose, ou plutôt, quelqu’un.


| Amitié et indépendance


Si l’autre est à peine bousculé par la puissance du choc, Sky s’étale le nez dans le sol, râpant ses genoux et ses coudes contre le sol. La grimace de douleur confond les larmes de peur qui commencent à s’effacer lorsque l’autre gamin lui tend la main pour le relever. Sky suit Siver sans même songer une fois à retrouver Ludmila. Il a peur de revenir en arrière, de recroiser le méchant. Alors suivre ce gamin du même âge que lui a quelque chose de rassurant. Il émane de lui quelque chose de familier.

La vie dans la rue n’est pas quelque chose d’aisé. Il n’est pas aussi doué que son ami pour le chapardage, à de nombreuses reprises, il se fait courser. Plusieurs fois, on lui a attrapé le poignet et constaté sa marque, le minuscule frêne tatoué sur sa peau, rappelle de sa provenance. Et on a voulu le ramener, demander des comptes à l’orphelinat. La gentille Ludmila a beau lui manquer, il sait parfaitement que les sorties lui seraient retirées. Alors il a fait de son mieux, pour s’enfuir à chaque fois. L’existence est rude, mais le goût de la liberté vaut toutes les difficultés pour Sky. Il apprend beaucoup, à se débrouiller tout seul, mais surtout, il apprend une chose merveilleuse. Il est capable de soigner ses petits bobos, d’une gestuelle particulière, il n’y pense même pas. C’est bien pratique pour ne pas souffrir d’une douleur supplémentaire la nuit, quand l’estomac crie famine d’avoir davantage couru que mangé. Convaincu qu’il n’invente rien. Il veut montrer à son meilleur copain ce qu’il sait faire, alors, là entre les deux tonneaux rongés par l’humidité, il attrape la main de Siver et lui indique la plus récente griffure. Quelques secondes, plus tard, après avoir fait danser ses mains sur la peau abîmée, la plaie n’y paraît plus. Il regarde fièrement son ami, loin de se douter que des yeux mal avisés les observent déjà depuis un moment. « A ton tour, montre ce que tu sais faire ! » Jamais il n’a autant regretté des paroles.


| Descente aux enfers (TW : rapt et torture d’enfant)


« Où se cache ton p’tit copain sorcier ! »

Le claquement du fouet lui brûle autant les tympans que la peau de son dos. Sky serre les dents, les larmes lui brouillent la vue, la morve lui bloque la respiration. Il veut mourir. Il préfère mourir plutôt que d’imaginer que Siver puisse vivre la même chose. Siver c’est sa famille, tout ce qu’il lui reste, et dans une famille, on se protège.

Après avoir été traîné sans ménagement, depuis le port, la tête dans un sac, jeté sur une sorte de boue nauséabonde, dépossédé de ses habits, il grelotte, là, nu, attaché, roué de coup. Il ne s’autorise pas à hurler, il ne s’autorise pas à parler. Sa lueur dans toute cette obscurité, c’est le visage amical de Siver, c’est l’espoir qu’il leur a échappé, lui. Est-ce qu’il a retrouvé son précieux collier ? D’instinct, il lui avait semblé que les Drüskelles ne devaient pas se retrouver en sa possession. Il valait mieux s’en séparer pas vrai ? L’image de l’objet lui revient clairement, comme si ça devait être la dernière fois. Une pierre ronde couleur crème, sertie dans un métal doré, comme une goutte d’eau, si légère alors qu’elle fait la taille d’un pouce d’adulte. Sky l’a toujours porté, toujours caché, comme si c’était son devoir. Désormais, le destin de cet objet était à un autre.

Combien d’heures se sont-elles écoulées depuis son enlèvement ? Sky ne sait même plus. Son regard est de plus en plus vide, son esprit de plus en plus hagard, son corps endolori lui paraît si lourd, tenu par des bras qu’il ne sent plus, par des épaules qui le brûlent. Pourquoi ne le tue-t-on pas ? Pourquoi ? Qu’a-t-il vraiment à apporter de plus désormais ? Une porte métallique qui grince sur ses gonds se fait entendre. Le poil se hérisse sur l’échine de l’enfant qui sent que la personne qui vient est différente des autres. Une cravache vient lui relever le menton, des yeux noirs se perdent dans les siens, comme s’ils pouvaient lire ses pensées. Sky sent son cœur s’affoler. Il essaie de ne pas penser à Siver. Il essaie de penser à ce sol couvert de flux divers à ses pieds. Ses pieds noircis.

« Où sont les autres vermines ? Tu ne peux pas être le seul, je n’y crois pas un seul instant. »

La voix sifflante l’emplit d’horreur, pourtant, il refuse de répondre, son petit menton tremble contre le manche de cuir. Il ne cédera pas. Le premier coup s’abat. Lui coupant le souffle. Ce n’est pas une énième et lancinante piqûre dans le dos. C’est un coup de poing dans le foie. Ce n’est qu’un enfant, et pourtant, lorsque la main se lève à nouveau, il le sait. Cette fois il va mourir.


| Nouveau départ


Il ne doit la vie qu’à ses gênes de Grisha. Là, alors que tout le monde le croyait mort, ses pouvoirs ont maintenu son corps en vie, juste assez pour lui permettre de revêtir l’aspect d’un cadavre, qu’il soit considéré comme inutile et que la violence s’arrête. Jeté dans une fosse comme n’importe quelle ordure, il a silencieusement repris des forces, au prix de ses souvenirs. (Paragraphe soumis pour approbation aux administrateurs)

« T’en tirera rien de ce gamin, ça fait des jours que t’essaies, et il a pas bougé, il va clamser Bert, c’est sûr !
- Je te dis que c’est le gosse de la prédiction, hors de question qu’il meurt. S’il avait dû mourir, ça aurait déjà été le cas. Il a été tellement malmené, il a besoin de temps.
- Tu vas vraiment croire aux racontars des ces vieux fous ? C’est comme si tu te condamnais à mort !
- Bien sûr que non, j’assure juste la relève. »

Le cuisto lève les yeux ciel devant le sourire énigmatique et sans appel de Bert, puis il repart en marmonnant qu’au moins ça ne fait pas une bouche de plus à nourrir pour le moment. Le Grisha dont les rides marquées affirment un très grand âge fait danser ses mains au-dessus de chaque plaie en chantonnant légèrement. Soudain il s’arrête, les paupières de l’enfant tressautent, puis enfin, des iris azur le fixent.

« Est-ce qu’on se connaît ? »

Sa voix est enrouée, son corps étrangement léger. Il a la sensation d’être tout neuf. Mais aussi, celle qu’il lui manque des informations essentielles. Comme, sa propre identité. Le rire du vieil homme assit à côté de lui, dans cette petite cale de bateau l’enveloppe d’une étrange chaleur.

« Bienvenue dans l’équipage du Kraken, Alaric ! »


La vie de pirate n’a rien de facile, mais être un Octopus est tellement grisant. Voguer, marchander, voler, Alaric s’est adapté tout naturellement. Le plus fascinant pour lui, ce sont les cours de la Petite Science que Bert pratique avec lui dans le plus grand des secrets. Il a découvert l’étendue de ses capacités, mais également qu’il pouvait faire l’inverse de soigner, pour se défendre ou...pour attaquer. L’avantage en attaquant de l’intérieur, c’est que ça passe davantage inaperçu et ça permet de déstabiliser les opposants, suffisamment longtemps pour avoir le temps de déguerpir.

Après toutes ces années, il ne se pose même plus la question de ce qui s’est passé avant son réveil sur le Kraken, le seul mystère de sa vie, c’est ce petit tatouage en forme d’arbre sur son poignet. Après l’avoir recouvert de bandes de tissus, il n’y pense même plus.


Alaric vient d’avoir une trentaine d’années quand Bert rend son dernier souffle, la prédiction l’a rattrapée, un poison trop virulent pour être soigné l’emporte prestement alors qu’il avale une gorgée de vin fraîchement volé. Après des funérailles selon les croyances de Bert, c’est le cœur lourd que l’équipage du Kraken repart en quête de mission, avec leur nouveau capitaine : Alaric.