Don't blame me [Nalini/Zero]

Je vivais pour chasser. Je ne vivais pas pour autre chose. C’était dans mes veines, dans mes gènes, c’était l’air que je respirais, le sang qui alimentait mon palpitant, l’adrénaline qui parcourait mes veines. C’était quelque chose de vital et que je ferais jusqu’à ce que Djel me tende la main pour que je le rejoigne. Pas aujourd’hui. Certainement pas aujourd’hui.

Caché derrière un mur pour me protéger des projectiles, j’attendais le bon moment pour agir. Il y avait déjà quelques corps sans vie au sol. Humains, mais cela n’avait aucune importance. Ma priorité était ce grisha, cet Inferni, qui devait me rapporter une petite somme.
Un coup d'œil, et me revoici dans la bataille. Seul contre tous. Mais définitivement plus ravageur qu’eux. Plus que deux personnes, dont le demjin. Ils commençaient à craindre, à avoir peur, je pouvais le sentir. Mon instinct de chasseur se délectait de cette sensation. Les injures fusaient autant que les armes, mais je n’en avais que faire.

Ce que je n’avais pas prévu, c’était qu’ils se divisent. Caché à moitié par une petite table renversée, je vis ma proie se faire la malle. Je cherchais à la blesser, mais elle esquiva, balançant même une boule de feu dans ma direction. Je roulais, m’exposant. Son compagnon m’attaqua, m’entaillant en haut du bras. Je ne réagis même pas à la piqûre caractéristique de la blessure, je savais qu’elle était superficielle et qu’elle ne me poserait aucun problème à poursuivre le combat. Plantant ma dague dans sa jugulaire, je laissais le corps tombé lourdement au sol avant de me précipiter dehors pour ne pas perdre ma cible.

Les rues de Ketterdam étaient désertes. Le quartier n’était pas le plus animé de la ville non plus. Je suivais difficilement sa trace, mais je réussis à me rapprocher de lui, sentant sa trace devenir de plus en plus forte. Armant mon arc dès que je le vis, la flèche alla se loger dans son mollet. Il tomba cruellement sur le sol. Je rangeais mon arme dans mon dos et je me rapprochais de lui, prêt à lui passer les menottes anti-grisha - parce que, bien sûr, le contrat stipulait qu’il fallait qu’il soit vivant. Et ça me laissait un goût amer dans la bouche.

Je m’arrêtais net lorsque je vis Nalini se placer entre lui et moi. Je la toisais, fronçant les sourcils, assez contrarié qu’elle ose faire cela.

« Pousse-toi. Je ne veux pas te blesser. »

Une vérité, mais qui en cachait une autre : j’étais prêt à la dégager de mon chemin si elle refusait de faire quoi que ce soit. Elle ne savait pas vraiment qui j’étais - un mercenaire comme un autre - et elle n’était certainement pas prête à le découvrir. Cependant, je n’hésiterais pas si c’était nécessaire.

« Qui va blesser qui ? »

Mon regard, qui était sur la jeune femme, se tourna vers l’homme à terre, une main en feu. Les problèmes…

Ketterdam et ses problèmes. Même sans les chercher, Nalini finissait toujours par avoir le nez dedans. Et aujourd'hui, le problème avait un nom.

"Zero" souffla-t-elle. "Je ne savais pas que tu étais à Ketterdam en ce moment, tu aurais pu me prévenir." finit-elle par compléter avec amertume.

L'avenir appartenait à ceux qui se levaient tôt et Nalini en faisait partie. Au petit matin, il n'y avait pas grand monde dans les rues et encore moins dans ce quartier. Au détour d'une ruelle, la jeune femme avait vu la flèche être tirée et se planter dans le mollet du grisha. Puis le visage de Zero lui était apparu, s'avançant vers sa proie. À ce moment là, il ne l'avait pas encore vue, elle. Alors elle s'était rapprochée pour s'interposer. Nalini avait compris.

"Tu es sur ?" Tout à coup, Nalini, elle, n'était plus sûre de rien. Elle ne reconnaissait pas Zero mais peut-etre ne l'avait-t-elle jamais connu. Son visage se tordit dans une mimique de souffrance, blessée parce qu'il sous-entendait qu'il était capable de lui faire du mal à elle. Ce même homme qui l'avait sauvée des années plus tôt.

Le grisha bredouilla quelques phrases expliquant la violence dont le fjerdan avait fait preuve. Une main tendue vers Zero comme pour le retenir et l'intimer de ne pas avancer, Nalini s'agenouilla auprès du blessé. Elle brisa entre ses doigts libre le bois de la flèche pour le rendre plus libre de ses mouvements. Un maigre bénéfice.

"Va-t-en, je vais le retenir."

Le grisha la toisa, la main en feu, jugeant ses chances face à l'homme surentrainé. Mais Nalini ne cilla pas, elle se mit en garde sans le regarder, solide sur ses appuis. Elle n'avait jamais été vraiment naïve. Elle savait Zero mercenaire mais aussi fjerdan. Pourtant elle avait aussi eu espoir, que peut-être il était différent de ses confrères mais elle n'avait jamais vraiment cherché à savoir.

"Tu en as tué d'autres ?" demanda-t-elle en fjerdan pour être provoquante. D'après les dires du blessé, il avait ôté la vie à des humains lambda. Mais la langue utilisée effraya l'inferni et il prit peur. Il tenta de se relever en aggripant la main de Nalini et manqua presque de la faire tomber au sol.

Tout à coup, tous les pavés de la ruelle prirent feu avant de s'éteindre. L'homme ressentit une puissance l'envahir. Il se savait incapable d'une telle puissance seul. Mais avec l'aide d'un amplificateur, c'était différent. Son regard croisa celui de Nalini et il referma un peu plus son étreinte sur le poignet de la jeune femme qui gémit d'inconfort avant de la prendre en ôtage. Un bras autour de son cou, il leva sa main pour faire naitre une gerbe de feu à l'effigie d'un astre géant, ne cessant de grandir. Dans quelques secondes, il la lancerait sur son assaillant.

Nalini, elle, regardait ses mains déjà blessée par les flammes il y avait des années. Elle se mit à trembler alors qu'elle n'avait pas froid mais la terreur qui lui inspirait le feu était plus forte que tout.
La suli, érudit, connaissait les mythes autour des amplificateurs humains mais jamais elle n'avait eu aucun indice de sa condition.
Relevant les yeux, elle sembla implorer Zero. Le feu l'étouffait, les souvenirs, l'odeur de la chair cramée. Tout lui revint en tête. Sa soeur morte. Puis sa jumelle.

"Je te jure que je n'y suis pour rien, ce n'est pas moi." articula-t-elle au chasseur.

Un sourcil se haussa. Pourquoi l’aurais-je prévenu de ma venue exactement ? Cette question resterait sans réponse, parce que je ne comptais pas chercher plus loin. Il n’y avait aucune raison pour laquelle je devais dire à Nalini mes faits et gestes. Une petite voix dans ma tête me susurra que c’était simplement pour se montrer amicale, mais je la balayais d’un revers de main. Pouvions-nous vraiment parler d’amitié ? J’en doutais.

Mon regard plongé dans le sien, je gardais le silence. Oui, j’étais sûr. J’étais sûr que je ne voulais pas la blesser, tout comme j’étais sûr que je n’hésiterais pas à le faire si elle ne me laissait aucunement le choix. J’avais un objectif, une mission, et je ne m’éloignerais pas de ce chemin.

Je la laissais casser cette flèche dans la jambe de ma proie. Je la laissais lui donner de l’avance. Je la laissais se mettre en travers de mon chemin. Pourquoi ? Signais-je son arrêt de mort ? Étonnement, je ne lui en voulais pas plus que cela. L'attrait de la chasse était bien plus fort que tout : elle faisait ainsi durer le plaisir. Mon regard l’observait, mon corps ne bougeait pas d’un iota, attendant. Car j’étais un chasseur patient, très patient.
Et je savais que ma proie n’allait pas laisser passer une occasion de prendre le dessus. Il venait de trouver une alliée, c’était l’opportunité pour lui de renverser la situation à son avantage. Si seulement Nalini l’avait envisagé…

« Dois-je vraiment y répondre ? »

Elle savait que j’avais tué, même si nous n’en avions jamais parlé. J’avais tué les hommes qui s’en étaient pris à elle, sans rien attendre en retour. Un acte de bon samaritain. Il était évident qu’ils ne respiraient plus aujourd’hui. Demandait-elle cela pour les autres jours ? Il était clair que j’étais bien plus vieux qu’elle, la question était ridicule - surtout qu’elle avait rapidement saisi que j’étais fjerdan. J’étais fier de mes origines et bien que l’on puisse penser que nous étions des barbares, nous apprenions avant tout à être des guerriers. Des guerriers pour la vie avant d’apprendre à combattre un fléau. Les grishas.

Seuls les yeux décalèrent : ma cible attrapa Nalini, manquant de la faire basculer. Son pouvoir sembla plus vif et je sentis avant même qu’il n’attaque que je devais me cacher. Je fis une roulade sur le côté, observant les pierres rougirent sous le feu ardent. Par je ne savais quel moyen, je réussis à capter le regard paniqué de Nalini, comprenant qu’elle ne savait pas ce qu’il se passait.

J’armais mon arc, bandis la corde et décochais une flèche vers l’homme. Cependant, le feu fut trop vif et la flèche n’atteint jamais sa cible. Comment se faisait-il qu’il avait plus de puissance alors que ce n’était pas le cas avant ? Je fronçais les sourcils, ne comprenant pas. Il me manquait un élément, qui, pourtant, était sous mes yeux, mais je n’arrivais pas à le saisir.

« Tu es tellement acculé que tu utilises une innocente pour t’en sortir, sale rat ? Ça ne m’étonne pas de toi… »

De la provocation, je ne pouvais user que de cela pour tenter de lui faire faire une erreur. C’était dans le désespoir que les gens faisaient des choses illogiques, c’était dans la précipitation que les gens commettaient l’irréparable. Et je comptais bien là-dessus pour remplir ma mission… En essayant de blesser le moins possible Nalini.

« Nalini ! Sauve-toi ! Ce n’est pas ton combat ! »

Et c’était bien la seule chose que je pouvais faire pour elle : lui donner un conseil aux allures d’ordre.

Utilisée, prise au piège, il n’y avait rien de pire pour la jeune suli. C’était comme si son cauchemar se réalisait. Impuissante. Le grisha ne faisait que donner raison au fjerdan. Il se montrait cruel et calculateur. Mais ce n’était pas une raison suffisante pour le chasser. Après tout, tous les Hommes n’étaient-ils pas égoistes ?

« Vous aggravez votre cas. » murmura-t-elle au ravisseur, les dents serrées. Elle le mettait en garde. Zero était un combattant persévérant, elle le savait.

Nalini ne comprenait pas encore bien ce qui avait envenimé la situation. Mais de toute évidence, elle savait que quelque chose clochait. Ce quelque chose, c’était elle.

Plus tard, la jeune femme voulut échapper à l’homme. Elle se jeta à genoux imaginant qu’elle l’obligerait à lâcher prise mais le grisha la rattrapa par les cheveux. La brève altercation avait tout de même déconcentré l’inferni dont la boule de feu diminua en déviant de sa trajectoire.

"À terre !"

L’explosion fut moins impressionnante que ce qu’elle laissait prévoir. Nalini en avait des hauts le coeur. Elle s’était protégée la tête avec ses mains. Le grisha paraissait intouchable. L’espace d’un instant, la suli pensa que si Zero n’attaquait pas, c’était par estime pour elle. Mais il n’en était rien. La configuration était simplement mauvaise.

Néanmoins, la diseuse de bonne aventure ne pouvait pas rester ainsi indéfiniment. Brutalement, Nalini donna un coup de coude dans les cotes de l’homme et l’obligea à la relâcher. Elle s’élança en courant vers Zero et le plaqua au sol pour éviter les projectiles de feu qui les assaillaient.

C’était le chaos le plus total. Tout s’enchaina rapidement. Une grande détonation retentit et les caissons explosèrent. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, ses oreilles bourdonnaient et elle vit le mur de feu que l’homme avait dressé pour éviter qu’on ne le poursuive. Machinalement Nalini s’accrocha à la jambe du fjerdan.

« Je t’en supplie, ne va pas le chercher » arriva-t-elle à articuler entre deux quintes de toux. Les cendres retombaient au sol. Nalini ne pouvait pas le laisser flirter avec la violence en toute connaissance de cause. Elle ne pouvait pas fermer les yeux alors qu’elle était témoin de la situation.

« Pourquoi m’avoir sauvée si c’est pour en tuer d’autres ? Ce n’est pas ce que votre Dieu prône. » murmura-t-elle finalement. Nalini connaissait les croyances fjerdanne, elle savait qu'elle touchait une corde sensible. Elle aurait aimé le traiter d’hypocrite mais au fond il ne lui devait rien.

« Je suis tellement déçue. » Par Zero. Par la vie en général. Mais qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire ?

Je voyais bien qu’elle essayait de le sauver. Comme s’il y avait quoi que ce soit à sauver de lui… Il était perdu, mais elle ne le savait pas encore. Elle était naïve, innocente et pleine d’espoir Nalini, elle n’avait pas conscience qu’elle n’était qu’un objet dans les bras de ce demjin pour arriver à ses fins. Il voulait vivre, l’imbécile, et il essayait par n’importe quel moyen. Il ne faisait que repousser l’inévitable.
Et elle aussi.

J’esquivais l’attaque de feu sans aucune difficulté, intrigué néanmoins par la puissance de son tir. Comment était-ce possible ? Il ne se serait pas enfui s’il avait une telle puissance d’attaque. Il n’avait rien de plus que tout à l’heure, hormis la jeune femme mi-otage mi-bouclier humain.
Je laissais mes interrogations de côté, me concentrant sur les faits et avant tout, sur le combat. Je savais que la jeune femme n’aimait pas le feu et si lui balancer en pleine tronche que je l’avais prévenu me brûlait les lèvres, je me taisais.

Bandant mon arc, je me décalais légèrement pour tenter de le blesser, ou mieux, de le tuer. C’était sans compter Nalini qui s’extirpa de sa poigne. Elle courut vers moi et même si je décochais la flèche, l’arme frôlant la tête de la brune, je loupais ma cible, accusant le poids de la jeune femme contre mon torse. Je roulais sur le côté, entraînant Nalini avec moi, juste avant que les caisses explosent. Évidemment, il y avait de la poudre à canon non loin de nous et ça faisait plus que des étincelles !
Je me redressais, prêt à reprendre ma course-poursuite, mais une main m’agrippa la jambe. Inutile de baisser le regard, je savais parfaitement qui en était l’origine. Mes yeux perçurent à travers les flammes le corps de l’homme boitant le long de la rue et disparaître à un carrefour. Je soupirais brièvement, agacé par ce contretemps.

Ma tête se tourna vers la brune, toussant à cause de la fumée qui venait nous brûler les poumons. Je ne répondis rien. Je rangeais mon arc dans mon dos. Comme si elle ne pesait rien - et elle n’était vraiment pas très lourde - je la pris dans mes bras comme une demoiselle en détresse, nous éloignant de ce champ de bataille. Je n’avais pas envie de devoir répondre des comptes à la garde mercurienne ou à d’autres autorités - si je pouvais éviter les Crows par la même occasion, ça serait pas mal.

Mes pas nous conduisirent à une petite place un peu plus loin, sûrement une frontière entre deux quartiers imaginaire. Les boutiques étaient fermées et pas un chat ne traînait dans la rue. Une fontaine crachait péniblement un filet d’eau et je déposais Nalini sur le bord pour qu’elle reprenne son souffle.

« Tu sais très bien pourquoi je t’ai sauvé. »

Ça avait été un coup de tête. Ça avait été aussi parce qu’ils étaient sur mon chemin. C’était un mélange de beaucoup de choses, car je n’étais pas quelqu’un qui faisait dans la charité. Je n’avais pitié pour personne, parce que la vie, elle, n’en avait aucune pour nous.

« Penses-tu réellement me faire culpabiliser en utilisant la carte de la foi ? »

Un sourire en coin étira mes lèvres et je ricanais. C’était beau d’y croire. Beau et naïf, si naïf.

« Djel guide mes pas, qu’importe mes choix. J’ai une mission et je compte bien la remplir. Que ça soit des grishas ou pas, ça ne change rien. Je suis un mercenaire, Nalini, mon but est de gagner de l’argent pour avoir à manger dans mon assiette. »

Ce n’était pas l’exacte vérité, mais il était hors de question que je lui révèle ma véritable identité. Encore moins mes actes. Si j’exécutais dans l’ombre, c’était pour une bonne raison. Il valait mieux pour elle qu’elle en sache le moins sur mon appartenance aux Okhotnik.

« Je ne te déçois pas, c’est la réalité de la vie qui te déçoit. »

Et quand bien même c’était vraiment moi, j’en avais rien à foutre.
Mon regard plongea dans le sien, sérieux et dénudé d'émotions.

« Bienvenue dans le monde, Nalini. »

Si la phrase avait un côté ironique, elle était surtout aussi tranchante que la lame d’un bourreau. Bourreau que j’étais. J’attrapais ma sacoche dans mon dos et sortis une gourde en peau d’animal, pratique pour le transport et facile à remplir. Je lui tendis.

« C’est de l’eau, ça te fera du bien. »