TW DECES, BRULURE, ENLÈVEMENT
La famille Morozova, leur descendance, diluée dans les méandres de l'espace et du temps. Et ainsi des années plus tard la famille Sabbath fut.
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Lorsque des jumelles naissaient, on disait d'elles, qu'elles étaient inséparables, reliées par une entité non palpable : le destin. Dommage pour ce fameux destin mais Nalini et Nadjala étaient de fausses jumelles et tout les opposait.
L’une était une inferni. La deuxième n'était rien d'autre.
La rigueur des acrobaties sulis marquait déjà leur corps d'enfant. Et la passation de savoir des diseuses de bonne aventure faisait d'elles des bêtes de foire.
Des nomades. Jamais vraiment libres. Sous le joug du bon vouloir des états, des guerres et du racisme. Nalini détestait sa condition. Elle détestait tout ce qu'elle était.
Sa soeur était la lumière, quant à elle, elle vivait dans l’ombre.
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Ce jour-là, Nalini était allée chercher de l’eau pour ravitailler le campement pendant que les adultes performaient leur art comme gagne pain dans la ville voisine. Guillerette, l’enfant chantonnait lorsque une odeur de fumée lui piqua les narines.
Lorsqu’elle leva le menton, Nalini vit au loin les caravanes en feu. Paniquée, elle renversa son seau et courut à toute vitesse pour rejoindre le campement.
Là-bas, la plus petite des soeurs hurlait de douleur prise au piège par les flammes. Elle se débattait dans l’embouchure de la porte, incapable de s’y extraire toute seule. La chair était déjà noire. Ses cheveux avaient brûlé. Qui sait si elle pouvait encore voir. Devant cette scène, un haut le coeur bouscula Nalini qui dût se faire violence pour reprendre ses esprits. Vivifiée par la peur, elle se jeta sur sa soeur pour l’attraper et la tirer de toutes ses forces hors de la caravane. La chaleur du feu lui brûla les mains. Après avoir trainé sa soeur loin du brasier, elle la fit rouler sur le sol pour éteindre les flammes. Nalini hurlait et implorait de l’aide. Ses parents et sa grande soeur finirent par arriver. La matriache arracha Nali à sa soeur pour ne pas qu’elle se blesse d’avantage tandis que l’ainée recouvrit la plus petite avec une couverture afin de tarir les dernières braises. Il était trop tard. L’enfant était décédée.
Plus rien n’avait de sens. Le monde tournait au ralenti autour de Nalini. Ses oreilles bourdonnaient et ses yeux ne savaient pas où se poser. Jusqu’à ce qu’elle croise le regard de sa jumelle. En retard. Quelque chose de terrible l’accabla. Elle crut lire de la culpabilité dans les yeux de Nadjala. Tout se bousculait dans sa tête. Et si sa soeur n’avait pas contrôlé sa petite science ? Et si c’était sa faute ? Jamais Nalini ne partagea ses pensées avec sa famille. Elle gardait ce fardeau pour elle.
Mais Nalini n’oubliait pas.
La tragédie marqua les esprits et les suli bannirent le village de leur itinéraire. Le départ de feu fut mis sur le compte d’un groupe de villageois qui voulait voir les nomades partir.
Ses blessures aux mains, dont elle gardait des cicatrices, ne lui permettaient plus de performer aussi bien ses acrobaties. De cette manière une partie de son temps fut consacré à la lecture. Nalini avait soif de savoir. Une forme de pouvoir.
Cet épisode l’accabla d’une peur phobique du feu si bien que plus jamais elle n’assista aux entrainements de sa jumelle. Sa soeur était l’ombre qui se dessinait derrière les flammes. Deux ombres qui se tournaient le dos.
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La deuxième blessure que lui infligea la vie, était plus cruelle encore.
La troupe était en escale près d’un port. Les quatre filles de la famille Sabbath se baladaient chacune de leur côté.
Un cri rebondit sur les pavés humides. La voix appartenait à la soeur cadette.
À nouveau la peur et l’urgence menèrent Nalini au centre du conflit. Lorsque Nalini retrouva Nemoidi, c’était pour la voir tenue par des hommes, ramenée vers un bateau. Des esclavagistes. Terrifiée par l’idée de perdre à nouveau une soeur, Nali s’affranchit du danger pour courir la rejoindre. Plus jamais elle ne laisserait une de ses soeurs seules dans la violence.
Mais le destin jouait des tours même aux esprits les plus déterminés. Coupée dans son élan par un homme qui tentait de la raisonner et de la sauver d’une vie de servitude, Nalini hurlait le nom de sa soeur. L’homme bloquait ses mouvements et tentait de la ramener derrière une caisse en bois pour la cacher.
Nemoidi fut embarquée et disparut avec le bateau dans la brume. Sa grande soeur s’effondra en sanglots.
Les Hommes étaient lâches et elle le comprenait enfin.
Personne ne pleura bien longtemps la disparition de Nemoidi. Tout comme personne n’avait pleuré très longtemps le décès de Novona, la plus petite soeur. Chez les suli, c’était l’unité du groupe qui comptait. Pas l’individualité.
Mais Nalini n’oubliait pas.
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Quelques années plus tard, à l’aube de ses dix sept ans, Nalini prit la décision qui s’imposait. La seule et l’unique. Celle qu’elle devait prendre.
Elle annonça à sa famille son départ prochain. Une aventure. Un énième voyage. Découvrir le monde à travers ses yeux à elle. Libre. Ses parents ne la pleurèrent pas sans surprise. Face à sa soeur ainée, elle se montra plus tendre.
« - Tu ne sembles pas étonnée de mon départ. » avait-elle commencé par lui dire.
« - Je l’ai vu dans les cartes. Je savais que tu ne resterais pas.
- As-tu vu autre chose ? »
L’ainée hésita un instant avant de répondre. Elle avait vu une chose terrible. Une amplificatrice. C’était ce qu’elle avait cru lire dans le destin de sa soeur. Née pour amplifier les pouvoirs de sa jumelle. Un fardeau que l’ainée refusait de confier à sa cadette. Elle voulait la voir libre. Après tout, la lecture de la bonne fortune n’était ni une science, ni une vérité, elle n’était que superstition. Une seconde d’hésitation que Nalini capta sans rien dire.
« - Non, c’est tout. » finit-elle par répondre.
Nalini savait que sa soeur bien aimée mentait mais elle n’insista pas. À la place elle baisa la joue de Nilana et colla son front contre le sien. Des aurevoir au goût d’adieux.
« Reviens nous un jour. »
Nalini sourit. Cette fois l’ainée ne l’avait pas lu dans les cartes ni dans les grains de café mais elle savait que Nali ne reviendrait pas. Elle connaissait sa soeur. Elle l’aimait. Elles se chérissaient.
Pour sa jumelle en revanche, elle n’eut que des mots vagues lorsqu’elle lui apprit son désir de rejoindre l’armée ravkane. Nalini l’avait prédit.
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Enfin elle poursuivait la vie dont elle avait toujours rêvé.
La jeune femme rencontra d’abord le peuple de Shu Han. Sa terre de coeur, celle du savoir. Trois ans à leur côté l’aidèrent à manier l’art de l’alchimie. Les poisons, explosifs et remèdes basiques n’avaient plus de secrets pour elle.
Désormais sans attache, elle prolongea son aventure jusqu’à la frontière fjerdane avant de prendre le large vers Zemini. Puis chez les kaelish et dans les colonies du sud. Encore trois ans.
Les deux dernières années, elle offrit ses compétences de diseuse de bonne aventure à un capitaine pirate un peu superstitieux. Deux ans sur les mers, deux ans de piraterie. À leurs côtés, elle développa des talents de voleuse et d’esquive. On lui enseigna également comment bien placer quelques coups. Des conseils qui ne manqueraient pas de faire la différence.
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Maintenant qu’elle avait vu et vécu, elle pouvait enfin rejoindre Ketterdam. Ville de tous les vices. Là-bas peut-être pourrait-elle retrouver sa soeur, le commerce d’esclaves s’y faisant de plus en plus propice avec les derniers évènements. Là-bas peut-être. Il lui manquait également le kerch comme langage à maitriser, raison suffisante pour débarquer sur ces terres parfois hostiles. Mais la jeune femme avait bien des choses à offrir aux habitants de ce hub marchand et planifiait d’implanter son propre stand au marché de la ville.
Puissent les Sankts la protéger.
Nalini, l’amplificatrice.