Tell me your secrets ◘ Luka

   L’esprit ailleurs, Olivia déposa avec précaution ses achats de la journée sur le grand lit de la chambre d’hôtel. Elle était épuisée et était prête à parier que Luka aussi. Ils avaient arpenté Os Alta des heures durant pour compléter leurs emplettes et construire leurs couvertures respectives.

A présent, Liv avait une toute nouvelle garde-robe digne d’un rang qu’elle ne possédait pas et tout le monde était au courant que Luka était sur le point de se marier. Leur plan fonctionnait à merveille.

Ses doigts coururent sur le tissu bleu que lui avait recommandé cet homme étrange rencontré quelques heures plus tôt. Quoi qu’elle fasse, elle n’arrivait pas à faire taire les questions qui revenaient encore et encore dans sa tête. Pouvait-on vraiment dire que ça ne la regardait pas ? Même si elle n’avait pas réellement l’intention d’épouser le militaire, le fait était qu’il avait entretenu une relation ambiguë avec l’inconnu de la boutique de tissus.

Et c'était susceptible d'expliquer beaucoup de choses. Comme son empressement à vouloir passer la bague au doigt de la première fille à croiser sa route.

Luka lui avait promis des réponses, peu désireux de s’étaler en public. Ce n’était pas le moment de se mettre son allié à dos, alors Liv n’avait pas insisté. Néanmoins, elle n’était pas décidée à lâcher le morceau. La curiosité la démangeait. Elle lissa un dernier pli sur le tissu avant de s’assoir sur le lit.

— Ton ami est de bons conseils…

Elle pinça ses lèvres, hésita un peu, puis se lança enfin :

— Mais… Ce n’est pas qu’un ami, n’est-ce pas… ?

Elle poussa un petit soupir.

— Inutile d’essayer de me prendre pour une idiote.

Qu’il s’économise du temps et de l’énergie.


   

   Exagérant, comme à son habitude son attitude et ses intentions de fiancé amoureux, Luka en était probablement pas du tout crédible, mais pourtant les gérants de l’établissement avaient eu les petits regards en coin lourds de sous-entendus lorsque les deux jeunes gens prirent la chambre. Et alors qu’ils revenaient chargés de leurs courses, plus encore.

Luka imita Olivia et déposa tout ce qu’elle lui avait fait porter durant leur journée avec un soupir de soulagement. Tout cela était-il vraiment nécessaire ? Il n’en savait rien, il avait un budget alloué à leur plan et il laissait Olivia acheter tout ce qui lui plaisait pourvu que ça la mette dans de bonnes dispositions. Il alla s’asseoir dans le fauteuil près de la fenêtre, tourné face au lit et observa la jeune femme caresser le tissu conseillé par Frerin. Il soupira avant même qu’elle n’ouvre la bouche. Il savait bien qu’il n’allait pas y couper, même s’il avait espéré que le reste des emplettes suffisent à lui faire oublier.

Olivia commença doucement et Luka eut presque envie de rire. Il savait qu’elle avait compris et il n’avait même pas envie de faire semblant de jouer à l’idiot. Résigné, il s’avança un peu sur son siège et posa ses avant-bras sur ses genoux, les mains liées pour expliquer, son regard planté dans celui de la jeune femme.

« Tu as vu juste. Frerin est mon amant. Et comme tu le sais, c’est pas très bien vu pour deux hommes d’être ensemble. »

Il soupira, pris sa tête dans ses mains et releva à nouveau les yeux vers Olivia pour continuer.

« Mais c’est pas tant ça que mon père qui pose problème. Je ne sais pas de quoi il serait capable s’il apprenait ça. Il me destituerait probablement de mon titre et de mes biens, mais je crois bien qu’il pourrait me tuer aussi. Il aurait beaucoup trop honte que son fils soit... Me faire disparaître, ça ferait aussi disparaître les ragots et le déshonneur. Mais ça encore...ça me concerne. Ce que je crains le plus, c’est ce qu’il pourrait faire à Frerin. »

De nouveau il se prit la tête entre les mains et se frotta le visage, soupirant de lassitude.

« J’espère vraiment trouver une solution pour l’endormir. Je pensais que faire semblant de me fiancer serait une bonne idée, mais je crois pas que Frerin le supportera très longtemps, et toi non plus. »

Il lui offrit un sourire, parce qu’il l’aimait bien, cette blondinette qui fourrait son nez partout, quoi qu’il ait pu en penser au début.

« Il est évident qu’on ne peut pas vraiment se marier et qu’il faudra mettre un terme à cette mascarade, au bon moment. Alors….faudra que tu trouves ce que tu cherches avant ce moment. »

Le temps était compté, bien plus qu'il ne l'aurait cru, et il se prenait dans la face le résultat de ses décisions hasardeuses. Entrainant avec lui des personnes qui ne méritaient pas davantage de problèmes.   

   Luka était un soldat. Grand, carré, fort et entrainé au combat. Et il pouvait avoir mauvais caractère. C’était ce qu’Olivia avait retenu de leur première rencontre, hormis le fait qu’il était désespérément nul pour faire du gringue à qui que ce soit. Alors, la petite blonde était un peu tendue lorsqu’elle évoqua ce sujet ô combien délicat avec lui. Et s’il le prenait mal ? Il était hors de question qu’elle ressente une quelconque peur envers Luka. Mais elle n’était pas non plus suffisamment idiote pour ne pas envisager qu’il s’énerve, au vu de ses réactions précipitées dans la boutique de tissu.

Elle ne le quitta pas des yeux lorsqu’il s’agita dans son fauteuil. Et finalement, lorsqu’il ouvrit la bouche et libéra enfin sa parole, la surprise de l’invocatrice effaça tout le reste.

— Woaw.

Yeux écarquillés, elle le regarda prendre sa tête entre ses mains. Elle ne s’attendait pas à une telle franchise. Pour tout dire, elle s’était même préparée à devoir lui tirer les vers du nez. Mais non. A la place, son fiancé lui offrait un secret particulièrement sensible. Elle avait beau se douter de la vérité sur l’orientation sexuelle de Luka depuis une paire d’heures maintenant, l’entendre le confirmer lui fit un drôle d’effet.

Pas parce qu’il aimait les hommes. Mais plutôt parce que cet aveu et toutes les craintes en découlant plaçaient sur elle une grande confiance.

— Oh, Luka…

Sans réfléchir, elle s’approcha et prit l’une de ses mains au creux des siennes. La peur qu’il éprouvait envers son père et surtout pour Frerin lui pressa le cœur. Comment aurait-elle pu se douter que cet homme de fer puisse dissimuler une telle brèche ? Elle le laissa s’exprimer, sans vouloir l’interrompre, et se contenta d’un minuscule sourire lorsqu’il affirma que ce mariage ne devait pas avoir lieu. Non, en effet. Cette union n’était qu’une idée lointaine, un mirage, qui ne se concrétiserait pas.

— Je suis désolée pour ton père… C’est affreux…

Qu’un enfant puisse imaginer son paternel capable de le tuer… Olivia ne pouvait concevoir le poids que ça devait représenter sur ses épaules. Mais quelle enfance avait-il pu avoir ? Vladimir Leonov éprouvait-il un quelconque amour envers son fils ? Alors même qu’elle ne l’avait pas encore rencontré, Liv éprouva une profonde rancœur envers cet homme.

— Je garderai ton secret, Luka, et je t’aiderai à le protéger. Je t’en fais la promesse. Désolée… Désolée de t’avoir forcé à me le dire…

Elle pinça les lèvres, coupable, avant de se redresser.

— Ne t’en fais pas pour moi. Avec tout ça, commença-t-elle en désignant les récents achats éparpillés dans la chambre, je vais pouvoir m’infiltrer dans les hautes sphères de Ravka. Tu n’as qu’à m’intégrer dans deux ou trois soirées, je m’occuperai du reste…

L’hésitation la fit taire un instant. Luka lui avait confié quelque chose d’important à propos de lui. Elle se sentait redevable, en partie parce qu’elle l’y avait contraint. Ce serait juste qu’elle en fasse de même désormais.

— En fait… Ma mère a disparu, il y a de nombreuses années maintenant… Tout le monde pense qu’elle s’est mis un membre de la noblesse ravkanne à dos et qu’il lui a fait payer le prix fort… Je sais ce que tu vas dire, et oui, je sais que c’est dangereux et très présomptueux de ma part. Mais je veux essayer de retrouver celui qui l’a tuée.

Elle ancra ses yeux dans les siens.

— S’il te plaît, ne me donne plus d’argent, je n’en veux plus. Tu m’as déjà énormément aidé et… Et j’aimerais te rendre la pareille. Je jouerai la comédie devant ton père, le temps que tu trouves une solution pour… pour toi et Frerin.

Son cœur fleur bleue palpita un peu plus vite. Elle avait envie que cette histoire d’amour interdite se finisse bien. Alors, si elle pouvait aider, elle le fera sans hésiter.

   

   Peut-être s’était-il préparé à des moqueries, si bien qu’il enchaîna sans jamais vraiment lui laisser le temps d’en placer une. Il avait peur quelque part, que ça le coupe dans son élan et peut-être aussi que finalement se livrer à Olivia avait quelque chose de libérateur. D’ordinaire, il tenait les femmes aussi éloignées que possible de lui. Il y avait eu quelques hommes à qui il avait réussi à se confier, mais jamais en détails. C’était probablement la première fois qu’il exprimait aussi précisément les craintes qui le rongeaient. Il eut peur un peu, lorsqu’il l’entendit prononcer son prénom avec cette voix si compatissante. Allait-elle devenir gnangnan ? Il eut un regard un peu perdu lorsqu’il la vit s’approcher, et probablement un petit mouvement de recul lorsque celle-ci prit sa main dans les siennes, toutes petites. Il ne pouvait pas reculer de toute façon. Finalement, il se laissa faire. Les mains de la jeune femme étaient douces et leur pression n’avait pas d’autre objectif que celui de montrer qu’elle était là. Ça le rassura aussitôt.

Il grimaça lorsqu’elle évoqua de nouveau son père et espéra qu’elle ne s’épanche pas trop sur le sujet. Il se demanda soudain si ça ne la ferait pas fuir. Savoir que Vladimir pouvait tuer son propre fils et l’amant de celui-ci, n’excluait pas la jeune femme de prendre un tel risque. Il plongea son regard dans celui d’Olivia et du bout des doigts pressa l’une de ses mains contre sa paume.

« Je te crois capable de garder mon secret Olivia. Sinon je ne t’aurais pas dit tout ça. »

Il afficha un petit sourire. Un vrai sourire.

« Tu ne m’as pas réellement forcé. »

Ce n’était pas comme si lui et Frerin étaient de la plus grande des discrétions en public. Il s’en était bien rendu compte. Regardant Olivia se redresser il ouvrit sa main pour libérer les siennes, songeant à ce qu’elle lui disait. Comment pouvait-elle ne pas avoir peur, ne serait-ce qu’un peu ? N’aurait-elle pas dû être paniquée ? En colère contre lui pour l’avoir fourrée dans un tel bourbier ? Il retrouva une mine inquiète tandis qu’elle montrait avec détermination le tas de vêtements et d’accessoires, comme s’il s’agissait d’armes de guerre. Il ne put s’empêcher de la trouver admirable dans sa témérité, était-elle brave ou déraisonnable ?

« Je ferais de mon mieux pour te traîner au maximum de soirées mondaines et affreusement ennuyeuses. »

Son visage était redevenu neutre mais son ton était amusé. Il se tut lorsqu’il sentit qu’elle était de nouveau prête à parler. Quelque chose dans sa gestuelle lui avait parut hésitant, comme lorsqu’on retourne plusieurs fois sa langue dans sa bouche, le temps de reformuler sa pensée. Il ouvrit des yeux surpris lorsqu’il l’entendit se confier à son tour. Il pinça les lèvres pour protester mais elle le devança, alors il relâcha ses épaules dans un long soupir, évidemment qu’elle n’allait pas renoncer à son plan. Son regard planté dans le sien, elle le maintint silencieux encore une fois. Il était incroyablement touché. Il ne comprenait pas comment cette femme pouvait faire de telles promesses pour une histoire qui n’était nullement la sienne. Mais elle avait l’air sincère et ça avait traversé la carapace désabusée du militaire. Cette fois il se leva et avança vers elle, doucement, il posa ses mains sur ses bras et baissa son visage vers le sien pour la regarder avec intensité.

« Si je cesse de te donner de l’argent et d’avoir des dépenses pour toi ça va paraître suspect, mais ça c’est pas le plus important. Je veux que tu me promettes une chose. »

Il marqua une pause et poursuivit avec, dans le regard, une affection mêlée de sérieux qu’il n’avait que rarement.

« Si jamais les choses devaient mal tourner, nie en bloc le fait d’être au courant, plaide la trahison, la peine de cœur, c’est le seul moyen pour que mon père te laisse tranquille. Promets-le moi. »

Il voulait lui poser des questions sur sa mère, il voulait en savoir plus, mais avant ça, il devait être certain qu’elle n’allait pas essayer de le protéger outre mesure. Il avait déjà bien trop impliqué la jeune femme dans cette histoire. Et elle ne méritait nullement les foudres du paternel Leonov. Il était un homme calme, mais il savait se montrer cruel avec ceux qu’ils jugeaient comme ses ennemis.

   Elle fut touchée lorsque le soldat lui assura, yeux dans les yeux, qu’il lui faisait confiance. Comment Liv était-elle parvenue à se coller dans une situation comme celle-là ? A présent, elle avait la vie de Luka entre les mains. Si elle parlait, son existence actuelle s’écroulerait et ça éveillerait le courroux de son père. La responsabilité était énorme. Elle devait se montrer à la hauteur de ce secret, envers et contre tout.

Un sourire reconnaissant lui fit plisser les yeux lorsqu’il réaffirma vouloir remplir sa part du marché et lui servir de ticket d’entrée pour les hautes sphères ravkanes. Mettre à jour leurs motivations respectives lui avait fait craindre un instant que Luka revienne sur leur accord. Avoir croisé Frerin aux bras de sa fausse fiancée aurait pu lui donner envie de tout laisser tomber.

— Merci...

L’objectif qu’elle s’était fixé était devenu important pour elle. Désormais, le besoin de découvrir la vérité lui consumait les tripes. Une partie d’elle criait vengeance. Elle était déterminée et même Luka, avec son aura débordante d’autorité militaire, ne pourrait pas la faire changer d’idée.

Néanmoins, lorsqu’il se pencha vers elle pour plonger dans ses yeux, elle retint quand même son souffle. Sans s’en rendre compte, elle rentra même un peu la tête entre les épaules. C’était le moment où il allait lui répéter qu’elle n’était qu’une idiote écervelée inconsciente du danger, n’est-ce pas ?

Sa demande la surprit sincèrement. Yeux écarquillés, elle lui rendit son regard pendant une longue seconde. Luka exigeait qu’elle le laisse porter l’entière responsabilité de leurs manigances. Liv n’avait aucune idée du nom qu’on pouvait donner au lien qui les unissait, mais elle eut subitement une conscience accrue de la confiance qui s’était nouée entre eux.

— Tu es sûr... ?

Elle déglutit. Le père de Luka était dangereux. Le militaire était bien plus informé qu’elle sur ce dont il était capable, et ignorer ses mises en garde serait de la bêtise pure et dure. Pour se rassurer elle-même, un petit sourire parvint à se greffer sur ses lèvres incertaines.

— Tout se passera bien, je le sais.

Les choses étaient sous contrôle... D’ici peu, elle aura obtenu ses réponses et elle disparaîtra du champ de vision Leonov.

— Mais tu as ma promesse.

   

   Il savait tout ce qu’il risquait en se confiant à Olivia. Il savait que les choses ne seraient plus jamais pareilles. Mais son instinct lui soufflait qu’elle serait une alliée de choix. Il avait plus jamais besoin de personnes comme elle dans son entourage. Il avait compris, depuis sa rencontre avec Ace, que la solitude n’était pas la solution. Accepter de ne plus porter ses problèmes tout seul avait été difficile, mais, il savait qu’il ne pouvait pas avancer sans aucune aide. Et plus le temps passé avec Frerin s’écoulait, plus il se sentait descendre son père de ce piédestal sur lequel il l’avait longtemps placé. Alors, lorsqu’Olivia lui affirma avec force vouloir agir malgré tous les risques, il sentit ses dernières barrières s’effondrer.

« Oui je suis sûr et certain. »

Si elle prenait autant de risques pour lui, c’était la moindre des choses de porter le chapeau si les choses venaient à mal tourner. Lui pourrait toujours fuir, se battre, ça ne lui posait pas de problèmes. Olivia était sous le feu des projecteurs en permanence, une cible mouvante et aussi visible que le soleil. Il ne savait dire pourquoi, mais il émanait d’elle une aura solaire qui lui faisait du bien. Elle lui affirma que les choses se dérouleraient sans accro. Il n’était pas aussi serein, mais il avait envie d’y croire et son sourire fit miroir à celui de la jeune femme.

Il hocha la tête à la promesse.

« Merci. »

C’était tout ce dont il avait besoin.