Luka || When duty and desires collide

1|| Au crépuscule, l’enfant cria qu’il était en vie
TW: accouchement, décès
Il était présent, pour une fois. Le militaire était au chevet de sa femme sur le point de donner la vie. Elle avait perdu du sang et la sage femme avait la mine inquiète, mais il croyait dur comme fer qu’elle lui donnerait un fils en bonne santé. Son regard perdu sur la chevelure blonde de Layla, Vladimir ignorait la force avec laquelle elle s’accrochait à sa main, souffrant sous les contractions. Il évitait son regard, il savait l’évidence et ne voulait pas l’accepter. Pas qu’il soit particulièrement attaché, ils se voyaient si peu. Mais elle était celle que ses parents lui avaient choisis et surtout, celle qui assurerait sa descendance. Un fils, elle devait lui offrir un fils.

Il semblait à Vladimir qu’il était seulement spectateur de la scène, les hurlements de douleurs de sa femme ne lui atteignait pas les tympans, il ne se rendait pas compte qu’il perdait la sensation de ses doigts. Il ne plongea son regard dans celui de Layla qu’à l’instant où ses prunelles se voilaient pour l’éternité. Un dernier éclat y brilla lorsque elle expira en prononçant le prénom de son fils. Quelques secondes après, les pleurs du nouveau-né résonnèrent dans la chambre à coucher. Vladimir ne le regarda pas tout de suite, son attention était fixé sur le visage inerte de sa femme, son regard perdu sur un paysage qu’elle seule était capable de voir.

Détachant ses doigts de ceux, désormais immobiles de sa femme, il ouvrit les bras à l’enfant encore luisant que lui tendit la sage-femme, le regard désolé. « C’est un garçon. Je suis désolée pour votre femme monsieur. » Vladimir exprima une légère tristesse, mais il était ébahi par le petit être entre ses bras. Sa chair et son sang, il allait pouvoir le modeler à son image.

Une nourrice fut embauchée, Layla inhumée. La vie reprit son cours pour Vladimir qui laissa le soin à Galia, la jeune femme qui assurait la survie de son fils de l’éduquer pendant qu’il partait travailler. Il rentrait peu, mais au moins une fois par mois pour voir son fils évoluer. Il éprouva guère d’intérêt pour lui tant qu’il ne savait pas parler. Puis lorsque ce fut le cas, il fit venir des précepteurs pour lui enseigner les bases. Luka, puisque sa mère tenait tant à l’appeler ainsi, allait briller. Il allait être sa plus grande fierté.

2|| A la faveur de la brise printanière, la fleur s’épanouit
TW: Blessures, incendie.
Une dizaine d’années plus tard, vivant toujours avec Galia, sa nourrice, Luka échappa à sa surveillance, s’accordant une escapade dans les champs. Il explora, marchant droit devant lui sans se poser davantage de question sur sa destination. Il ne s’arrêta que lorsqu’il aperçut le toit d’une maison. Tapit entre des épis plus grands que lui, il se rapprocha le plus possible pour observer. Des cris d’enfants lui parvinrent, l’intriguèrent, lui qui ne voyait pas grand monde, contraint d’étudier et faire du sport. Ils sont à peine plus jeunes que lui, le frère et la sœur. Deux jolis bruns aux yeux bleus éclatants. Il n’osa pas les aborder. Il n’avait pas le droit d’être là. Mais il revenait à la moindre occasion. Il se créait des histoires où ils étaient amis tous les trois. Mais il n’osait pas sortir de ce champ qui le protégeait des regards.

Un jour, il s’aventura un peu plus loin, suivant les gamins dans la forêt, mais si occupé à les filer, il ne fit pas attention à l’endroit où il marchait. Le sol s’effondra sous ses pieds et la douleur qui lui traversa le poignet lui arracha un cri, des larmes. Il ne sentit pas l’entaille sous son menton. Il fit son possible pour ne pas pleurer. Son père le lui avait interdit. « Un homme ça ne pleure pas. » avait il-dit alors que Luka avait osé laisser échapper des larmes en s’écorchant le genou. Depuis il prenait bien garde à ne pas recommencer, même seul. Mais là, quand même, ça faisait vraiment mal. Il allait tourner de l’œil, plus encore lorsque son regard se posa sur son poignet brisé. Comment allait-il grimper hors du trou avec un seul bras valide ?

Le regard vers l’ouverture, il désespérait. Il aurait déjà été adulte, il aurait pu facilement sortir de là. Mais il lui manquait de cruels centimètres. Des bruits de pas se firent entendre, Luka se tut au lieu d’appeler au secours, soudain intimidé. Et si ça lui attirait des problèmes ? Finalement, c’est la tête du joli garçon qui apparut au-dessus. Tel un ange sauveur. Luka s’autorisa un sourire de soulagement et se laissa hisser hors du trou. Il voulait remercier ce garçon. Il voulait lui demander son nom. Il n’eut pas besoin. Il sursauta lorsque le cri de la sœur retentit un peu plus loin et le temps que son sauveur tourne la tête vers sa sœur, Luka avait disparut dans les fourrés.

Le lendemain, il revint vers la maison, bien décidé à remercier le gamin, un panier de victuailles dans sa main valide, mais il n’y trouva qu’un tas fumant de cendres, vestige du bâtiment qui, la veille, se tenait encore là. Le regard agrandit de tristesse, il resta là avant de chercher autour. Mais il ne trouva personne. Jamais il ne saurait la vérité.

3|| L’aiglon s’initia au combat
TW: manipulation psychologique
Son poignet brisé fut un évènement décisif dans la vie du jeune garçon. Son père décida de congédier Galia, l’accusant de ne pas l’avoir surveillé assez et demanda à son fils d’empaqueter ses affaires, il allait venir vivre avec lui à la caserne, là où il pourrait l’éduquer et le surveiller. « Le temps de la paresse est terminé. Tu seras un homme mon fils. » Luka était heureux d’être enfin avec son père. Il le voyait si peu qu’il lui semblait qu’il allait oublier son visage. Il n’avait avec lui que le portrait de ses parents le jour de leur mariage, et depuis ce jour-là, son père avait bien changé. Avec les années, les traits de Vladimir s’étaient durcis, et son visage anguleux semblait aussi tranchant que ses remarques.

Au départ l’absence de Galia pesa sur les épaules de Luka. Il n’avait connu que la douceur de la jeune femme qui l’avait élevé comme le sien. Et il n’avait même pas pu profiter d’un dernier moment avec elle, pas même de la serrer dans ses bras. Une marque d’affection que Vladimir ne tolérait pas. Il s’était contenté de la regarder partir, les larmes sauvagement amassées autour de ses yeux rougis par la tristesse. Mais si son père l’avait décrété, c’est que c’était mieux ainsi n’est-ce pas ?

Les premiers cours de combats à l’épée arrivèrent plus rapidement que prévu. Luka angoissait à l’idée de mal s’y prendre et de se faire embrocher. Le professeur était redoutable, mais son père l’était plus encore. Il ne le ménageait pas, ne fonctionnait pas par étape. Il le jetait dans la fosse aux lions sans attendre qu’il soit prêt, parce que de toute évidence, dans la vie, personne ne vous préparait au pire. Et le pire, Luka pensa y être confronté le jour où la Petite Science a décidé de pointer le bout de son nez. La lame de son père se dirigeait si vite vers lui que Luka paniqua, et au lieu de parer la lame de la sienne, il joignit ses mains, faisant fondre l’épée de Vladimir instantanément.

Horrifié, il attendit la sentence. Le visage de son père exprima beaucoup de choses. Il regarda autour de lui aussi, s’assura que personne d’autre n’avait vu. Puis il glissa. « Ta mère a bien caché son jeu. Faible comme elle était, je n’aurais jamais soupçonné ça d’elle. » Luka ne comprit rien à ce discours, tout ce qui lui importait c’est qu’il n’allait pas être chassé par son paternel.

4 || Dionysos naquit au creux des feuilles de vignes
Il gravit les échelons petit à petit. De simple soldat, il passa officier, et puis, si un poste parmi les Chevaliers de Ravka lui faisait briller le regard d’envie, le père en avait décidé autrement. Il voyait en Luka l’occasion de briller aux yeux du roi. Alors il entraîna son fils, dans le plus grand des secrets, jusqu’à ce qu’il soit prêt. Il lui fit explorer toutes les possibilités que sa Petite Science offrait, du moins le pensait-il.

Les années passèrent et si les dons de Luka s’affirmaient, sa personnalité s’effaçait. Il était désormais le portrait craché de son père, autant par la ressemblance physique frappante que pour l’attitude. En dehors de ses soldats, Luka ne passait du temps qu’avec Vladimir. La copie conforme ne faisait que répéter ce que l’original lui montrait. Le cercle vicieux s’entretenait lui-même. Il était un pantin.

Par quel miracle on ne savait mais Vladimir parvint à faire jouer ses relations pour faire intégrer son fils dans la milice la plus secrète du Roi. A l’âge de vingt-cinq ans, Luka fit son entrée parmi les Résignés sous le pseudonyme du dieu de la végétation et du vin, Dionysos. Les regards intransigeants des plus expérimentés ne le firent pas ciller car il comptait bien prouver son droit à être là. Il se sentait davantage à sa place. Il était bon dans ce qu’il faisait et personne ne lui enlèverait ça.