Loyauté [Nikodim & Irina]

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@Nikodim Missalov & @Irina Sokolova-Lantsov
Je le veillais. Jour et nuit. Je ne quittais pas mon poste. Et s’il m’arrivait de le quitter quelques minutes à peine, mes ombres prenaient le relais. Je le gardais comme on garde un précieux trésor. Ivan avait toujours été mon trésor, il l’était encore et il le restera ad vitam eternam. Pourtant, je me trouvais là, devant cet homme entre la vie et la mort, qui ne m’avait jamais accepté comme son enfant, sa fille. Il m’avait donné un nom, le sien, et rien que pour cela, j’étais là. J’avais tout fait pour qu’il m’accepte plus, mais je me rendais seulement compte, debout, au pied de son lit, que mes espérances étaient vaines.

Je n’étais pas sa fille. Je n’étais pas sa chair et son sang.
J’étais la bâtarde de la reine, qui avait osé donné une descendance à un autre homme que le roi. Son premier enfant. Un enfant de honte et de déshonneur. J’aurais dû le comprendre, au fur et à mesure des années, que je pouvais être la meilleure dans tout ce que je pouvais entreprendre, que je pouvais devenir une grisha exceptionnelle, un soldat exceptionnel, je n’aurais jamais ce que je désirais. J’aurais dû comprendre - et surtout accepter - l’idée que je n’étais qu’un outil, une arme, une menace. Je manipulais la petite science, pire encore, je manipulais les ombres à ma guise.

Sans que je le veuille, ma petite science anima la noirceur de la pièce, faisant danser les ombres que les multiples chandelles créaient. C’était comme si elles voulaient parler, elles voulaient vivre et je savais qu’il n’y avait aucune menace, mais elles avaient un côté rassurant, apaisant.
Je sentis alors une présence qui se rapprochait. Ce n’était pas un garde, je l’aurais reconnu à sa démarche. Je sus que c’était Nikodim lorsqu’il se stoppa non loin de la porte des quartiers du roi Yaromir.

Me détournant du souverain ravkan, mes bottes claquèrent le parquet jusqu’à la porte que j’ouvris. Je croisais son regard, légèrement surprise peut-être. Mon visage affichait une expression assez neutre.

« Je ne m’attendais pas à te voir. Tu as besoin de quelque chose ? »

Parce que je n’avais demandé personne. Je contrôlais chaque personne qui voulait pénétrer dans cette partie du palais, surveillant même les passages à proximité.

« Peux-tu voir comme il va, s’il te plaît ? »

Encore une fois, je ne pensais pas à moi, mais à lui. Je cherchais à le maintenir, par n’importe quel moyen, ne m’imaginant pas une seule seconde que c’était peut-être la fin d’un règne et le début d’un nouveau. Non, je ne l’acceptais pas.
Lentement, je me décalais pour le laisser entrer. Mon regard observa le couloir avant de refermer la porte. Je revins au chevet du roi, croisant mes bras sur ma poitrine.

« Il n’a pas bougé. Sa respiration est toujours la même. »

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L'homme avait passé ces derniers temps loin de la cour. Depuis un peu près une semaine il était parti sur le domaine de sa compagne. Sur un coup de tête, il s'était dévoilé à son Duc, avait avoué sa nature, ses dons, et surtout, lui avait montré ce vrai visage, celui qu'il n'avait montré qu'à une poignée de personnes. Nikodim avait attendu des heures, sur le sofa de son cabinet. Il avait attendu un "il ne sait quoi" peut être l'apparition de quelques gardes à ses portes pour l'emmener pour il ne savait quelle trahison ? Une horde de courtisans réclamant d'être embellis ? Mais rien ne s'était passé, et l'homme avait fuit autant qu'il l'avait pu Darius, il était parti sur le domaine de sa compagne se ressourcer, et revenait juste, forcé par la situation du pays.

Après avoir posé ses paquetages, l'homme s'était dirigé avec sa mallette jusqu'à la chambre du roi. C'était un parcours risqué, mais il suffisait de brandir la carte du médecin pour que le passage se fasse. L'homme savait, quand il le voulait, inspirer la confiance. Et il avait cet air qui disait clairement qu'il savait ce qu'il faisait. Il avait levé le poing pour frapper à la porte des appartements du roi, quand la porte s'ouvrit pour laisser voir Irina. Des cernes lui mangeait une partie du visage. Elle aurait pu partir en voyage un bon mois avec la taille des valises qu'elle avait sous les yeux. Le médecin haussa un sourcil et parla de sa voix profonde.

"Hé bien... Je suis médecin. Je viens faire mon travail." Qu'il lance, incertain. Il y avait foule de médecin à la cour, mais pour beaucoup, c'était des hommes empâtés par le travail auprès des nobles. Ils se retrouvaient incapable d'agir. Nikodim, pour sa part, restait droit dans ses bottes dans l'attente de l'autorisation de rentrer. Autorisation que la femme finit par lui donner. Le brun se glissa avec agilité à l'intérieur de la porte, déposant sa sacoche sur une table, avant de retrousser les manches de sa chemise. Il commençait à se laver les mains avec un savon et le point d'eau à disposition. On se moquait de lui, mais l'homme savait que la propreté empêchait certaines maladies de se répandre. Le brun se déplaçait en silence, avec rapidité, efficacité, petite ombre du palais. Il commençais par ausculter le roi avec son stéthoscope, écoutant coeur et poumons, avant de retirer son appareil. "Raconte moi ce qu'il s'est passé s'il te plaît, peut être que grâce à ton témoignage, je parviendrais à voir quoi faire." Qu'il murmure. L'homme était souffrant, c'était évident, mais de quoi ? "Un guérisseur est déjà venu à son chevet ?" L'homme profitait pour prendre le pouls du roi, tâtant son poignet.

"Je suis navré de ne pas avoir été directement sur place."

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Oui, en effet. Il était médecin, je le savais, mais je ne pouvais m’empêcher d’être un peu surprise. Et peut-être que j’étais suffisamment fatiguée pour le montrer par-dessus le marché. J’avais cru comprendre qu’il n’était pas dans le coin, probablement avec le noble dont il m’avait touché deux mots. Il semblerait que ça ne soit pas le cas. Il se tenait bien droit, devant moi et j’adoptais alors une position nonchalante. Je me penchais légèrement sur le côté, soulevant mon bras pour me retenir à l’encadrement de la porte. Finalement, je croisais les bras sur ma poitrine avant de lui répondre.

« Oui, merci bien, mais je ne te savais pas en ville. Je suis contente que tu sois là. »

Parce qu’il était quelqu’un de fiable. Parce que j’avais confiance en lui. J’aurais pu sortir de cette chambre que j’occupais depuis des jours maintenant. J’aurais pu partir sans un regard en arrière le temps de prendre une vraie douche, de me changer également, mais je ne le fis pas. Je ne voulais pas que l’on voit que je faisais un quelconque favoritisme.
Je me décalais pour le laisser entrer et orientais mes ombres contre la porte. Ainsi, nous aurons la paix. Sans surprise, la pièce devint légèrement plus lumineuse. Mes yeux restaient sur Nikodim, observant ses mouvements, ses gestes, le laissant faire. J’avais vu des dizaines de fois ses mouvements, de personnes différentes, mais c’était comme un réflexe que je n’arrivais pas à contrôler.

« Je ne sais pas ce que je pourrais te dire de bien intéressant. »

Il avait fallu que d’un seul moment, un seul moment où je m’étais éloignée de lui pour repousser l’ennemi ce jour-là et le voilà qu’il s’effondrait. Il n’avait pas eu la moindre blessure, pas une seule marque, et pourtant il était inconscient. Je ne comprenais pas. Et je m’en voulais également.
J’aurais dû rester à ses côtés, je n’aurais pas dû m’éloigner. C’était de ma faute s’il était dans cet état. Et je ne pouvais que m’en vouloir. On appelait mon petit frère le Régicide par ma faute, pensant que c’était lui le responsable. Peut-être que les gens avaient trop peur de m’accuser…

« C’était lors des funérailles d’Ivan. Enfin… les fausses. Je protégeais le Roi et je me suis éloignée pour repousser l’ennemi. Il a fallu peut-être, cinq minutes, même pas, avant qu’il ne soit aux prises d’ennemis différents, des grishas renégats. Il s’est effondré, d’un coup, sans explication aucune. Peut-être qu’on lui a donné quelque chose ? Enfin, j’en sais rien… »

Je lâchais un soupir comme si j’avais retenu ma respiration durant des heures, la tête sous l’eau. Je ne me rendis pas compte que mon regard, rivé sur Nikodim, transpirait l’espoir.

« Est-ce que tu… perçois… quelque chose de nouveau ? Je ne compte plus les hommes qui ont défilé à son chevet. C’était à se demander si certains étaient réellement des médecins. »

D’une main, je glissais mes cheveux en arrière, les mèches rebelles revenant immédiatement encadrer mon visage. Je ne savais pas si c’était cet état d’alerte qui m’épuisait plus que je ne le pensais, ou si c’était tout simplement sa présence qui faisait en sorte que mes défenses se relâchaient.

« Tu n’as pas à t’en vouloir, Niko. Et puis, au moins, tu n’as pas été blessé. »

Je me rapprochais légèrement de lui, mes yeux alternant entre l’homme que je considérais comme mon père et le médecin. Une partie de moi ne voulait pas croire en quelque chose de fou, en quelque chose d’imaginaire, en quelque chose qui ne pouvait qu’être illusion.

« Tu penses… Qu’il va rester comme ça longtemps ? Tu penses que c’est grave ? »

S’il me disait le pire, je pourrais m’y préparer, je pourrais me faire à l’idée, je pourrais briser mes espoirs et enfin avancer.

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Il avait le regard vague, le médecin, comme si il se trouvait à des lieux d'ici. Comme si ce comportement éloignerait bien la culpabilité qui lui étreignait la gorge. Ses mains noueuses crispées sur sa besace. Il n'ose regarder son amie dans les yeux tellement il a l'impression d'avoir failli à sa tâche, d'avoir quitté le palais au pire moment. Il entrouvre la bouche, un moment, avant de se reprendre, une expression pleine de douceur sur le visage.

"J'étais sur le domaine de Ksenia un moment, je voulais prendre l'air, malheureusement il semblerait que j'ai choisi le pire moment... Je suis de retour. Je peux bien examiner le roi, qui sait... Je travaille avec pas mal d'alkemi qui me fournissent quelques remèdes, j'aurais peut être quelque chose pour lui."

Et finalement, il relève les yeux pour croiser le regard de la jeune femme. Son visage s'est creusé un peu, sous ses longs cils se glissent les cernes témoignant d'une insomnie encore plus sévère qu'auparavant. Des nuits à tourner ses pensées dans tous les sens. A les formuler, puis les enfouir quand cela faisait trop mal. Il avait craqué. Il avait craqué et il avait fuit. Pas qu'il aurait pu empêcher quoi que ce soit en étant ici. Mais tout de même. La culpabilité ne l'entendait pas de cette oreille. Ses mains fraîches glissent sur les poignets du roi, alors qu'il se trouve à son chevet, il inspecte, il regarde, il sent. Et surtout, il entend l'histoire qui lui est conté.

"Les soigneurs et les fondeurs ont totale maîtrise sur les tissus et le corps en lui même." Il esquisse un sourire triste. "Peut être qu'ils ont ralentis son organisme. Il est encore vivant, mais cela arrive... Qu'il soit plongé dans un somme bien trop profond." Il l'avait vu, ce cas. Un homme encore vivant, mais incapable de se réveiller, oh il respirait, mais il n’émergeait pas, il n’émergeait plus. L'armée avait finit par le renvoyer à la maison. Mais lui aussi, il n'était jamais revenu du front au final. Peut être était-ce la même chose. Mais le médecin aurait sans doute pu le sauver si il s'était dirigé vers cette voie. Cependant, le tailleur ne s'était dirigé vers aucune autre voie que celle du camouflage, du mensonge. "Il me faudrait un peu de son sang, je pourrais tenter de le mettre au contact de réactifs pour voir si il réagit ou non. Pour le poison." Qu'il laisse tomber. Et il fouille dans sa mallette.

"Honnêtement ? A part un rythme assez lent qui coïnciderait justement à une mise en sommeil profonde, induite par la petite science ou par un quelconque narcotique je ne vois rien de particulier. Ont ils vérifié la conscience et la réponse à la douleur ? Qu'est-ce que ça a donné ? Honnêtement..." L'homme finit par regarder droit dans les yeux la femme. Avant de pointer un doigt sur sa caboche. "Ce lieu là est encore inexploré, et il se peut qu'il ne soit devenu qu'une enveloppe charnelle vide. Prépare toi à cette éventualité. Je... Vais faire ce que je peux, mais... Je ne te promet rien." Et son ton est d'une douceur extrême. Il regarde la jeune femme de plus près.

"Tu es épuisée Irina... Tu ne pourras tenir comme ça éternellement. Tu veux que je le veille pendant que tu te reposes un peu ? Tu peux... Tu peux dormir ici si tu préfère, auprès de lui, de toute façon je pense avoir pas mal de tests et d'examens à faire. Je saurais être discret et silencieux, et je te réveillerai au moindre problème. Tu peux avoir confiance en moi." Qu'il murmure, entre ses lèvres sèches et bouffées par l'angoisse, il n'est pas fatigué lui, il a l'habitude, de marcher ainsi. L'épuisement est une donnée bien négligeable, quand on arrive pas à trouver le sommeil. Quand nos vieux démons nous maintiennent éveillés des nuits durant. Quand la chaire et les os de ses camarades se retrouvent exposés dans ses rêves. On ne parle pas assez... De ceux qui se sont perdus en guerre, et qui n'ont jamais pu retrouver totalement le chemin de la maison. Non... On parle des morts, de ceux qui se sont retrouvés défigurés, handicapés par ces foutues guerres. Mais on ne parle jamais... De ce qui siège dans le cerveau. Des maladies qui peuvent se loger, au creux de cette caboche. C'est tabou, c'est aveux de faiblesse. Et un homme faible est une proie pour le tout venant. Nikodim le savait, et surtout... Nikodim ne jouissait, sans aucun doute, plus de la protection de son cher duc, quand bien même, siégeait dans sa poche de coeur, l'ultime totem contre le retour en guerre. Ce petit mot, écrit par le conseiller des affaires militaires en personne.

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Je ne savais pas quoi lui dire de prime abord. Il semblait s’en vouloir pour quelque chose dont il n’était nullement responsable. Ses traits tirés par la culpabilité m’interrogeaient. Je restais un temps silencieuse, attendant qu’il ait terminé de parler. Mes yeux l’observèrent, il semblait fatigué ou absent, je ne savais pas trop. Mais il était là. Il faisait son devoir.

« Personne ne pouvait le prévoir. Tout s’est bien passé ? »

Je le laissais entrer, l’invitant avec une main qui se levait à peine. Mes ombres fermèrent la marche jusqu’au roi - car bien qu’Ivan était sur le trône, je ne pouvais pas appeler cet homme autrement.
Je hochais simplement la tête face à ses explications. Oui, ça pouvait être cela et ça pouvait être ce qui causerait sa perte. Je n’allais pas dire que cette idée était plaisante, mais elle ne me quittait pas. Tout comme ma culpabilité de ne pas l’avoir protégé.

« C’est ce que certains m’ont dit, oui. Fais ce que tu as à faire. »

Je pris place dans un fauteuil aux côtés du souverain endormi, regardant ses traits détendus, sa respiration calme, lente et posée. Je ne l’avais jamais vu avec un tel faciès et bien que cela faisait des jours qu’il était ainsi, je ne m’y faisais pas. Je n’y arrivais pas. Je gardais l’image du roi Yaromir avec les rides entre les sourcils, cet air sévère qui s’accompagnait de sa voix qui ne laissait aucune place à de la rébellion.

« Oui, ils ont vérifié. Rien. Ils n’ont rien trouvé. »

Je plongeais mon regard dans le sien, le soutenant sans peine. Je hochais simplement la tête lorsqu’il termina son explication. Je ne pouvais pas me faire à cette idée. Mon côté rationnel me hurlait de faire en sorte de l’accepter, de me préparer à cela, mais je n’y arrivais pas. J’avais un blocage.
La culpabilité me tenait éveillée. Pire que cela : elle me torturait d’une manière dont elle ne l’avait jamais fait. Je me sentais coupable de son état, je me sentais coupable de la position d’Ivan, je me sentais coupable de ce qu’il se passait à la cour, de la disparité au sein même de ma famille, et pire que tout, je me sentais coupable de ce qu’il se passait à travers Ravka. Moi qui m’était toujours protégée des idées, des regards, des insultes de ce peuple, je me sentais coupable de leur faire subir cela, alors qu’il n’éprouvait aucune compassion à mon égard.

« Je peux encore tenir. »

Parce que je tiendrais jusqu’à ce que je rende mon dernier souffle.

« J’ai confiance en toi, Nikodim. N’aie aucun doute là-dessus. »

Il était d’ailleurs le seul en qui j’avais réellement confiance. Le seul en dehors de mon frère et des résignés. Je me levais, gardant mon regard dans le sien.

« Je te laisse un temps seul avec lui. Je reviens. »

Un brin de toilette ne serait pas de trop. J’en profiterais pour me changer.
Avant de changer d’avis, je tournais les talons, laissant les ombres s’agiter à mon passage. Je ne me retournais pas, il ne fallait pas ou je ferais demi-tour. D’un pas pressé, je marchais dans les couloirs jusqu’à mes quartiers. Après une toilette sommaire et un changement de vêtement, je pris quelques minutes pour remettre un peu d’ordre dans mes cheveux emmêlés. Je refis le chemin, en sens inverse, mes bottes militaires claquant le sol avec détermination. Je m’arrêtais aux pieds du roi, l’observant, avant de glisser mon regard sur le médecin.

« Du nouveau ? »

Sans m’en rendre compte, je fis tourner mon alliance autour de mon annulaire gauche.

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Il règne dans cette chambre une odeur de maladie, une fragrance moribonde n'augurant rien de bon. Mais le médecin préfère ne rien en dire, pour ne pas inquiéter sa comparse. Il ne voulait pas se faire mauvais augure, ne voulait pas polluer l'espace avec son pessimisme ambiant. Il a un sourire sans joie, un air neutre, lorsqu'il répond du tac au tac.

"Je m'attendais à voir débarquer des soldats chez moi pour me mettre aux arrêts à tout moments... Il sait... Mon Duc sait ce que je suis. Autant te dire que je n'ai pas vraiment pu me reposer." Il ricane. "Je pensais pouvoir fuir la cour, la situation, mais c'est impossible." Qu'il murmure dans l'intimité de la chambre, l'air las, fatigué. Nikodim aurait presque souhaité être à nouveau mis sur le champ de bataille pour pouvoir à nouveau prendre de la distance. Pour pouvoir s'éloigner de cette cour qu'il n'avait pas choisit. Le médecin s'approchait déjà du lit, prêt à faire ce pour quoi on le payait. Ce pour quoi il était entré au service de la cour. Il prélevait déjà dans son sac une seringue en verre, garrottant d'un linge le bras de l'homme. "Je vais faire quelques analyses, regarder son sang de plus près." Si sa petite science était lié au camouflage et à la modification corporelle, Nikodim apprenait, petit à petit, quelques astuces d'autres guérisseurs. De la pulpe de ses deux doigts, il tâtait, à la recherche de ce rebondissement caractéristique qu'ont les veines sous les doigts. Piquant pour retirer un peu de sang. Assez pour l'analyser. Retirant tout son matériel aussi vite, pour le ranger dans son sac avec soin.

"Je vais chercher aussi, qui sait, à plusieurs peut être que nous trouveront quelque chose Irina." Il hoche la tête, aux mots de la femme. "N'hésites pas à me faire mander Irina. Tu ne pourras pas tenir éternellement seule au chevet du roi. Tu sais qu'il y a des gens de confiance sur qui tu peux compter. Nous sommes amis. Je ne te laisserai pas tomber." Et finalement il laissa la jeune femme s'en aller, vérifiant une nouvelle fois les constantes vitales du roi, essuyant d'un linge frai son visage, humectant sa bouche d'un linge humide, avant de finalement prendre place dans le fauteuil occupé il y a peu par Irina. Son regard louvoyait dans une chambre qu'il n'avait jusqu'alors jamais vu. Aux teintures lourdes et colorées, la respiration du roi était régulière, si l'on omettait le profond état d'inconscience dont il semblait être frappé. L'homme restait là, assit, droit comme un I. Ses longs doigts noués sur ses genoux, son regard, un brin mélancolique, mais tout aussi inquiet, perdu sur les traits du roi. Sur cette peau bien trop pâle pour sembler saine, sur ce visage qui, naguère sévère et bien portant, commençait, petit à petit à se creuser. Le grisha cherchait déjà, dans le fond de sa besace, pour en sortir son nuancier, tentant de redonner un visage digne au roi. La maladie touchait toujours, et elle pouvait être cruelle. Par un astucieux jeu de lumières et de tons, il redonnait volume là où il n'y avait rien, ses mains glissaient, effaçant ces veines bleuâtres sur cette peau parcheminée et blanche. Effaçant traces de fragilité et de vulnérabilité. Ses doigts glissaient, veine tentative de redonner visage à une tête couronnée, qui ne risquait pas de le rester. Le médecin sursautait, en entendant une voix derrière lui.

"Pardonne moi, je ne t'avais pas entendu entrer." Il se figea, regardant le jeu de doigts auquel se livrait la grisha. "ça c'est nouveau, et tu ne m'en as pas parlé ?" Qu'il murmure avec un demi sourire. "J'ai tenté de lui rendre... Quelques couleurs. Ce n'est... Qu'un maquillage, mais... Je me suis dis que peut être... Ce serait important pour toi. Je veille sur lui, tu es sûre de ne pas vouloir un peu te reposer ? Tu veux... Un thé ? Toi aussi, tu as l'air presque aussi fatiguée que lui."

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Je ne dis rien dans un premier temps. Je savais à quel point son secret était précieux, encore plus lorsqu’il s’agissait du duc. Entendre des nouvelles de Nikodim me confrontait à une réalité que j’avais mise de côté depuis des jours : j’étais coupée du monde extérieur. Je ne pensais qu’à cet homme endormi dans son lit, à sa protection, et aussi au fait qu’il ne me trouverait que des remontrances s’il ouvrait les yeux.

« Si j’avais entendu que l’on t’avait passé les fers, tu sais que tu ne les aurais pas eu bien longtemps. »

Et j’espérais qu’il le sache. Je ne l’aurais pas laissé dans une prison, jamais. Il était un grisha, comme moi, il était hors de question qu’il soit puni pour un secret qu’il avait gardé alors qu’il faisait le bien autour de lui. Non seulement il était médecin, mais il fut soldat également. Deux choses convoitées dans cette société avide de préjugés et de bonnes apparences.

Je le laissais faire, l’observant par habitude plutôt que par méfiance. Nikodim pouvait être l’un des rares à la cour à pouvoir se vanter d’avoir ma confiance.
Je hochais la tête lentement, comprenant que ça ne serait pas évident de trouver le mal dans les veines du roi. J’observais le souverain, ayant l’impression soudaine que sa peau n’était plus la même. Allait-il mourir ?
Mes yeux se relevèrent sur le médecin et un léger sourire étira ma bouche en coin. Ses mots m’apaisèrent quelques instants. Il était toujours agréable de savoir que l’on avait quelqu’un dans les instants les plus sombres de notre vie - et je ne pouvais pas nier que les ennemis se cachaient dans nos alliés, me rendant plus méfiante encore.

« Que puis-je faire d’autres, Nikodim ? Je suis ce que je suis uniquement pour le servir… »

Une bâtarde. Une première née par-dessus le marché. Je n’arrivais pas à me défaire de l’idée d’avoir de la chance de pouvoir porter le nom des Lantsov en dépit de toutes ces années, ne pensant pas un seul instant l’avoir mérité. Je faisais en sorte de le porter avec fierté et d’y faire honneur chaque jour.

« Merci. Tu peux également compter sur moi. »

Une vérité qui était essentielle de rappeler. La guerre était à nos portes, même si Ivan allait faire en sorte d’apaiser les tensions, je doutais que les nobles du côté de Yaromir restent tranquillement à attendre qu’il gagne en popularité.

Je finis par le laisser faire son travail, sans me retourner. Mais impossible pour moi de dormir. Le sommeil m’était tout simplement impossible, la culpabilité m’empêchant de fermer les yeux quelques minutes. Après une rapide toilette et un changement de vêtements, je revins dans cette chambre. Nikodim était en train de s’occuper du roi et je souris en coin lorsqu’il s’excusa de ne pas m’avoir entendu. Je n’avais pas été très bruyante non plus. Mon regard alterna entre le médecin, le roi puis, mon alliance. Je la portais presque tout le temps, un rappel de la femme que j’aimais et que je protégeais également par mon absence à ses côtés.

« Je n’ai pas eu trop l’occasion… »

Un doux sourire illumina mon visage tiré par la fatigue. Ma tête se tourna vers le souverain qui avait une meilleure mine, mais qui n’avait pas bougé d’un iota. Je poursuivis.

« Merci… Tu l’as rendu… plus beau. »

Je hochais simplement la tête et m’éloignais un peu pour faire chauffer un peu d’eau pour du thé. Nous pouvions discuter en toute tranquillité, d’autant qu’il semblait avoir terminé - pour le moment.

« Personne n’est vraiment au courant en fait. Je ne l’ai même pas dit à Ivan, pour te dire. Je lui ai fait ma demande… et elle a dit oui. C’était comme si je l’avais senti, comme si c’était le moment ou jamais, tu sais. »

J’osais un regard vers le souverain ravkan avant de détourner le regard, presque honteuse. Cet homme, même endormi, continuait d’avoir une influence sur moi. Arriverais-je un jour à me défaire de ses chaînes ?

« Jamais il ne l’aurait permis. Mais elle sait que notre relation ne sera pas évidente… Tout comme elle sait que je me battrais pour elle et pour vivre, pour elle. »

Parce que mourir pour quelqu’un était facile, mais vivre pour quelqu’un était l’exact opposé. Eleonora l’avait compris. Elle était une battante, une survivante, une vraie lionne.

« Je suis sûre que tu l’apprécierais, tout comme elle. »

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@Nikodim Missalov & @Irina Sokolova-Lantsov
Il a un sourire mélancolique, le genre de sourire qui n'en est pas réellement un, qui est un appel à l'aide. Le gaillard n'avait pas dormi assez depuis trop longtemps. Il était écrasé de tous les cotés, malmené. Parfois, il se demande encore quand il va se faire écraser par sa tâche.

"Ce ne sont pas les fers, qui me faisais le plus peur. Mais la perspective d'être... Réduit à un objet, par le reste de la cour." D'être un outil qui permettait d'embellir, de ne même plus être une fonction, d'être objectivé. Ses mains tremblent, il n'a jamais aimé son don, dans le fond. Oh... Il ne pourra rien en faire, il ne pourra pas faire disparaître tout cela, et dans le fond... Il y avait un semblant d'euphorie, lorsqu'il modelait les visages, lorsqu'il colorisait chaque parcelle, lorsqu'il se la jouait petit modeleur. Mais comment ne pas avoir honte de sa petite science ? Comment ne pas la craindre quand on a conscience des risques que son utilisation implique ? Il est sincère, au final, quand il murmure un simple: "Merci" à son amie.

Il la regarde un moment, à ses mots. Se faisant songeur, un moment. "Peut être va t-il falloir que tu devienne autre chose... Qu'une fonction, qu'une servante, Irina. Et saches que pour beaucoup, tu est plus que cela." Son ton est doux. Alors qu'il faisait son travaille, veillant le roi, vérifiant son état, notant quelques pistes possibles dans un carnet. Puis, la sensation grisante de sa petite science, le plaisir de voir les veines bleuies disparaître, la carnation changer, lorsqu'il en use, de sa petite science, c'est comme si il se sentait plus léger, comme si... Il retrouvait un peu de vitalité. Et ces sensations l'effrayais plus que tout. Il savait que sa nature le condamnait à une grande solitude. Comment serait sa vie, lorsqu'il aurait perdu l'amour de sa vie ? Se servant de la teinte d'un rubis au doigt du roi, il va jusqu'à lui ajouter quelques couleurs aux joues, effaçant d'un geste du pouce les cernes sous les yeux du souverain.

"Il faut qu'un roi ait l'air invulnérable. Même au fond de son lit." Du moins était-ce ce qu'il avait toujours entendu de la bouche même de ses parents. Il en était de même pour tous les nobles. Lui qui n'était que roturier, il avait évolué dans un monde de privilèges et de presque candeur, en fréquentant Darius. Puis... Il avait rencontré la misère du monde, en partant en itinérance avec son maître. Mort, crasse, pauvreté, les regards débordant d'émotions, les corps décharnés par la faim et le labeur. Bien loin de son enfance dorée. Et la fierté du médecin s'était étiolé, la rutilante peinture avait finit par se cailler, après la guerre. Il s'approche de sa valise, ouvrant plusieurs bocaux de plantes pour remplir un pochon de tissu. "Thé noir, feuilles d'orties, anis et romarin. ça combat la fatigue." Et il sort également un petit pot de miel. "et ça, ça vient des ruches du domaine de ma femme. C'est pour rendre le mélange digeste." Il l'écoute avec attention, avide de ce genre d'histoire. Et c'est un sourire qui vient fleurir sur ses lèvres abîmés par le stress. "Tu sais... Tu es un exemple, pour tous ceux qui ont peur. Qui sont obligés de se cacher." Il hoche la tête. "Parfois... La situation se présente d'elle même. Je suis heureux pour toi." Il suit son regard, observe un moment le roi, et vient poser une main fine sur l'épaule de Irina. "Tu y as droit. Tu as droit au bonheur." Et il lui remet une mèche de cheveux derrière l'oreille avec une douceur incroyable. "Tu as la chance d'avoir trouvé quelqu'un, et en aucun cas... Qui que ce soit n'a le droit d'y dire quoi que ce soit." Et c'est un sourire plein d'une bienveillance réelle qu'il lui adresse. "Vis cet amour et profite en comme jamais. Vis pour tous ceux qui sont piégés, qui n'en ont pas la possibilité." Car ils étaient nombreux, à être enchaînés. Ils étaient nombreux, à rôder comme des âmes en peine sans jamais trouver la paix. Nikodim savait être un perdu, comme tant d'autres. En pleine traversé d'un désert glacé, sans même trouver d'échappatoire.

"Tu me la présentera un jour ?" Il lui tapote affectueusement l'épaule. "Il te faut un cadeau de mariage. Je vais te tricoter quelque chose, je te le ferais porter." Et il ajoute finalement. "Il y aura toujours des gens pour désapprouver, pour tenter de briser ton bonheur. Soit forte. Vis. Vis vraiment Irina, sans être l'ombre de quiconque, et tu verras que... Tu peux être heureuse."

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@Nikodim Missalov & @Irina Sokolova-Lantsov
Les mots étaient comme un écho à mon âme. J’avais l’impression qu’il me disait ne pas vouloir être à ma place - alors que je savais que ce n’était pas le cas. Il ne voulait pas être enchaîné sans avoir de fers aux mains. Tout simplement. Il ne pensait pas un seul instant au fait que c’était exactement ma situation - et j’étais suffisamment aveugle pour ne pas voir réellement cette situation ainsi. Je me complaisais dans cette prison, alourdis par le poids du devoir, occultant cette triste vérité.

Mon regard croisa le sien et je sentis mon sourire étirer ma bouche en coin. Je ne pouvais lui donner que raison. Une fois de plus. Je n’étais qu’une servante à cette couronne, mais je l’avais choisi. Je voulais être plus, mais je ne pouvais pas l’être. Je n’en avais pas le droit. Je n’étais qu’une bâtarde de la famille royale, une invocatrice de l’ombre qui n’avait pas sa place dans la noblesse. Quel autre destin pouvais-je bien avoir que celui de protéger cette famille qui m’avait donné un nom ?

« Je ne le peux, et tu le sais bien, Nikodim. Mon rôle est et restera celui de protéger la couronne. Quoi qu’il advienne. »

Le Roi m’avait dit et redit suffisamment de fois pour que je ne puisse pas penser autrement : j’étais née pour cela. Et uniquement pour cela.

« Merci pour tes soins. »

Je l’observais agir sur le corps aréactif du monarque, voyant les couleurs devenir plus belles, le teint devenir plus vivant. C’était comme si un sort s’était posé sur cet homme et lui donnait une nouvelle apparence.
J’attrapais les plantes et le pot de miel, le remerciant d’un hochement de tête. Si cela pouvait me faire gagner quelques heures de repos, je n’allais certainement pas refuser. Plongeant mon regard dans le sien, je ne pus empêcher une vague de bonheur de m'envahir. Parler de mon épouse était comme une bouée de sauvetage dans ma vie : elle était ma lumière dans l’obscurité que je me créais sans cesse. J’étais chanceuse de l’avoir dans ma vie, mais je l’étais encore plus qu’elle accepte d’en faire partie jusqu’à la fin de nos jours.

« Je ne pense pas être un exemple pour qui que ce soit. Les gens me craignent, tu le sais, mais tes paroles sont douces et je te remercie de ta bienveillance. Un jour… peut-être… je me dresserais et combattrais aux côtés de ceux qui veulent vivre de leur amour… Mais je regrette. Je n’ai pas suffisamment confiance aux autres pour être une chevalière servante. »

Les récents événements m’avaient montré que l’on ne pouvait pas pleinement faire confiance aux autres. Cette invocatrice de lumière et cet idiot d’inferni nous avaient trahi et leurs corps avaient été retrouvés sans vie. Des traîtres… qui avaient reçu leur punition pour leur désertion.

« Je te promets de te la présenter. Je ne doute pas un seul instant que vous vous entendiez bien. »

Un rire franc me secoua, le premier depuis des semaines. J’eus, malgré moi, l’image d‘un Nikodim en train de tricoter. Je ne l’avais jamais vu, mais l’image avait quelque chose d’amusant à mes yeux, sans être moqueuse.

« Tu n’es pas obligé… D’autant que tu es le seul au courant. Je n’ai pas eu le temps, ni l’occasion, d’en parler à Ivan. »

Il m’en voudra certainement, mais ça lui passera. Il avait tellement à faire désormais, la couronne étant sur sa tête. Enfin. Je posais doucement ma main sur la sienne.

« Je resterais une ombre, Nikodim, mais je te promets de me battre pour ce bonheur. Ne t’en fais pas pour moi, je reste une combattante dans l’âme. »

J’avais pris les armes depuis mon plus jeune âge, je me battais pour survivre, pour me faire une place à défaut de me faire un nom. Je garderais cet esprit combatif encore longtemps. Il ne pouvait en être autrement.

« Aurais-tu besoin de mon aide pour combattre quoi que ce soit ? Me dresser face à l’ennemi est presque une spécialité. »