Young god - Darius & Nikodim (été 734)

Young god
@Nikodim Missalov & @Darius Sorovkin
Le château ducal s'est paré de milles couleurs. Un banquet est organisé, et l'on sait déjà qu'on festoiera jusqu'au milieux de la nuit pour fêter l'anniversaire de l'héritier et prochain duc. Mais la réception ne tiendra pas place tout de suite, il faut laisser aux invités prestigieux le temps d'arriver. Les services sont astiqués, graissés. Tout doit être parfait, et c'est dans cette effervescence digne d'une fourmilière que Nikita déambule. Sa mère lui a fait quelques remontrances. Son père lui a demandé de bien se tenir. Se faire remarquer aurait été bien trop honteux pour les Missalov. Cela fait des mois qu'ils travaillent sur une représentation avec leurs plus beaux oiseaux. Les fauconniers aiment en mettre plein la vue, encore plus si c'est pour, par la suite, faire affaire. Ils sont proche du Duc depuis bien trop longtemps, ils ont cette position particulière, et le poids sur les épaules qui va avec. Mais Nikita s'en moque. Cela lui passe au dessus de la tête, alors qu'il se glisse dans les couloirs, telle une petite ombre, il se glisse dans la chambre de l'héritier, cela ne fait plus sourciller personne. Parfois il y dort, après tout, le gamin a été élevé avec la progéniture chérie. Et personne... Personne a part Niko ne semble avoir conscience de ce poids, sur les épaules du jeune homme. Ils ont quinze ans, l'un comme l'autre. Si le fils de fauconnier est une asperge qui a grandit trop vite, l'autre n'a pas les mêmes douleurs articulaires. Petit chanceux. En prenant soin de retirer ses sandales, il vient se glisser dans le lit, tout contre son ami.

"Joyeux anniversaire Darius." Qu'il murmure d'une voix beaucoup plus stable qu'à la saison dernière, où sa voix grimpait dans les aigus, puis se brisait. ça les faisait rire, l'un comme l'autre, dans cette sorte d'intimité et d'amitié qui n'appartenait qu'à eux. Il se murmurait souvent que Darius avait prit un gueux en pitié, qu'il en avait fait une sorte d'animal de compagnie étrange. Ce genre de médisances et de méchancetés auxquels Nikodim avait l'habitude de faire face. Le garçon presse doucement ses doigts des siens, alors que son regard ne le quitte pas. "J'ai une surprise pour toi !" Et il dépose sur l'oreiller un sifflet. Le rapace allant avec se trouvant dans la volière. Le gamin avait dressé lui même l'une des plus belles bêtes qu'il avait eu à disposition. Et il en était fier, on le voyait, à ce sourire timide, et à ce regard brillant.

Derrière ses grands yeux sombres, alors que le jour n'est même pas levé lui semble-t-il, les nuages noirs de pensées intrusives tourbillonnent. C'est un orage qui se prépare au fond de ce regard, des milliers d'images en viennent à s'apparenter aux sombres dessins et encore plus sombres pensées mécaniques - réflexes instinctifs de l'âme - tandis que Darius évalue, minute après minute au rythme de l'horloge toujours réglée à la seconde près, les dégats qu'il pourrait infliger à leur nation en oubliant de se lever dans une heure et cinquante minutes. Quarante-neuf minutes maintenant. Un soupir passe ses lèvres, lourd comme l’air avant que ne tombe la foudre et que ne gronde le tonnerre. Le chaos n’est pas loin, cantonné sérieusement à son coeur fermé. Les rideaux empêchent toute lumière d’entrer pour préserver un ersatz de ténèbres dans l’environnement excessivement clair et neutre de la chambre de l’héritier. Peut-être est-ce mieux pour lui, sans doute est-ce afin de le garder à l’oeil : on remarque plus vite le moindre pas de travers lorsque votre monde n’a rien de distinctif.

Les strates d’orage défilent derrière ses prunelles tandis que les minutes défilent. Il est allongé comme un mort, les mains croisées sur la poitrine, attendant que l’on vienne ravir sa jeunesse et piller tout ce qu’il restera de lui. L’adolescent ne souhaite pas mettre un pied hors du lit : pourquoi faire ? Tant que sa présence n’est pas requise, autant disparaître et se faire fantôme ou cadavre.
La porte pivote dans ses gonds. Il tourne à peine la tête sur l’oreiller de percale blanc où ses cheveux s’étalent en une nappe dégoulinante de nuit. « C’est toi, Nikodim. » murmure-t-il alors que la pénombre les avale à nouveau. Le soulagement donne à sa voix des inflexions presqu’humaines, loin de la grandeur ennuyée dont elle devra se parer une fois de retour à l’extérieur. Dans le monde où les coeurs battent et les gens chantent, les mains se frappent et les épées s’entrechoquent, les hommes meurent et les femmes donnent la vie. Un monde loin d’ici.

La chaleur familière de son compagnon à son côté détend un peu le nœud de noirceur emberlificoté de devoir. Avec plus de fluidité que sa position rigide ne laissait supposer, tout son corps roule pour faire face à l’autre, bien plus grand – déjà un homme quand le futur duc n’est qu’un adolescent aux traits mal dégrossis et aux membres inégaux. Leurs doigts se rencontrent un bref instant – un autre nœud se détache – avant que l’héritier ne porte ses doigts jusqu’à l’oreiller innoccupé. Il prend le temps de discerner, au toucher d’abord, les formes et les contours de l’offrande. Le cylindre léger roule entre ses doigts, puis il passe de l’un à l’autre. Vient ensuite la vue pour apporter quelques informations complémentaires : la couleur, la forme précise. « Tu n’aurais pas du, note le plus jeune avec un petit sourire contrit, éclatant dans l’aube éternelle de l’endroit. Mais tu me connais aussi trop bien. Raconte-moi donc ce que c’est… Je le devine, mais tu voudras sûrement me le dire. »

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@Nikodim Missalov & @Darius Sorovkin
Il y a une semi pénombre qui règne dans la chambre. Un silence morne coupé par les respirations douces de "l'Héritier". Ainsi tout le monde le nomme. Comme si Darius n'avait pas d'identité en dehors de cette fonction. Nikodim détestait cela, et fusillait du regard quiconque osait réduire son ami d'enfance à cela. Le gamin avait commencé très tôt à éprouver cette affection et cette admiration trouble pour l'autre, mais n'en touchait jamais mot. Son regard parlait pour lui, même si il n'en avait pas conscience. C'est ce même regard qu'il portait sur Darius, alors qu'il s'installait face à lui, dans le lit, son regard cherchant celui du jeune homme.

"Qui d'autre Darius ? Tu penses encore que la petite servante tenterait de se glisser dans ta couche après la remontrance qu'elle a eut ?" Les gens pouvaient être ainsi, désespérés, à quoi s'attendait elle en agissant ainsi ? Une rétribution dodue ? Une rente pour nourrir une famille qui crevait la faim ? Piégé dans ce palais doré, on ne se rendait pas vraiment compte de la souffrance du peuple. C'est également pour ça que Nikodim s’échinait à traîner Darius hors du domaine. Ils n'avaient pas le droit, et le garçon se souvient encore des savons qu'ils se sont pris pour ce comportement. Double savon, car il avait morflé également le soir même, lorsqu'il était rentré à la maison. Et Nikodim se rapproche un peu plus du corps qu'il devine sous les draps, sa chaleur rassurante, ses jambes contre celles du futur Duc. Ils étaient trop proches, c'était ce qu'avait commencé à dire sa mère. Alors Nikodim faisait de son mieux pour ne pas se montrer tactile devant le reste du monde.

C'est un sourire fier qui tort les traits du fils du fauconnier du Duc. Et il parle, de sa voix douce. "C'est moi qui l'ai sculpté. C'est un sifflet pour appeler un faucon. Il est jeune, il est vif... Et c'est aussi moi qui l'ai dressé, il répond au sifflet et pourra t'aider à chasser. Père dit que c'est une belle bête et qu'elle sera digne de toi. C'est une femelle. Elle s'appelle Noch. Je te montrerai comment t'en occuper. Je prépare ce présent depuis si longtemps si tu savais." Il y a une effervescence dans le fond de sa voix, son regard brillant d'un éclat mutin. Et le gamin vient doucement presser son front contre celui de son compère. "Tu recevra sans doute plus beaux présents aujourd'hui. Mais... Le mien il vient du coeur." Et sa paume vient tendrement caresser la joue de son ami. "Je sais que tu as du mal à dormir. Il est affreusement tôt, tu ne souhaites pas te reposer encore un peu ?"

On est une charge, un rôle, un costume sur mesure tout au long de sa vie. Les vêtements dont on se pare et qui flattent notre existence ne sont qu’un accessoire de plus pour cette longue comédie aux accents tragiques dont nous sommes les acteurs. On est un homme de paille ou un bouc émissaire, le visage de toute une nation ou l’un de ceux qui portent le trône : des dizaines d’étiquettes et de tenues, de mesures et moulages par lesquels on finit par trouver un nom et une existence propre. A quoi bon parler d’âme ? Elle n’est qu’un autre bout de notre simulation, paradant comme le reste en s’affublant un moment de rose et le suivant d’une colère noire. Darius est bien conscient, de tout cela. Et quoi qu’en disent ceux qui voudraient qui se révoltent, lorsque l’on a un tant soit peu le sens du devoir, on ne peut que chercher à se conformer à ce que l’on attend de nous – certain, comme le reste du monde, qu’il y a plus. Pourquoi se retenir d’être juste ce que l’on vous demande, lorsque l’on est sûr que d’autres verront le reste de vous dans une facette que vous n’auriez jamais pensé explorer ?

Par exemple, aux yeux de Nikodim, Darius est un ami ; et aux yeux de Darius, Nikodim est tout de même. La relation instinctive et brûlante entre eux a toujours tendu un filin chauffé à blanc, une corde sans espoir d’un jour se rompre et néanmoins glissante. Pour les autres, il est le futur duc – pour lui-même, au dos droit et aux épaules douloureuses, il était le futur duc. Les deux peuvent se combiner sans jamais se confondre : dans l’intimité beige teintée de nuit et des premières lueurs du jour (l’ocre de la lumière solaire naissante laisse ainsi se transformer le gris impersonnel) le second n’a aucune raison d’être pour l’heure. « Elle était fatiguée, marmotte sans entrain le jeune homme. Si je conçois qu’une personne comme elle puisse s’évanouir et s’endormir sur le champ, je comprends moins pourquoi elle n’avait pas de vêtements. »

D’autant plus que la jeune femme était de loin son aînée de cinq ans. Se rappelant la scène plus que douloureuse, le brun secoue la tête. Il préfère en ces journées froides la chaleur de Niko, venue le cueillir là sous les draps, apportant la lumière et la douceur autrement absentes du palais. Ses doigts passent un instant dans les cheveux du jeune homme avant que son attention ne se focalise entièrement sur le sifflet.

Sous ses doigts, leurs corps entremêlés comme seule l’innocence sait faire, il devine sans peine à quoi il a à faire, sans vraiment avoir la pleine conscience de ce que les dons de l’autre ont pu faire d’un objet en l’apparence si ordinaire. Il sait tout de la famille du jeune homme, et sait aussi ses nombreux talents. Parmi eux, il y a de parler avec tant de passion et de joie de ce qui fera, sans doute, son métier d’homme – là où Darius reste taiseux et sombre sur ce que les choses du monde peuvent lui apprendre sur sa charge à venir. Mordant sa lèvre inférieure, son front pressé contre celui de l’autre, il retient un plus grand sourire encore. « C’est le meilleur présent que je recevrai aujourd’hui. Tu me la montreras tout à l’heure, d’accord.  » décrète-t-il avec un air décidé, les yeux plantés dans le regard chaleureux de son meilleur ami. Terre contre nuit, il a l’été qui scintille dans les prunelles là où lui n’a que la désolation. Il le sait, il a croisé son regard dans le miroir hier soir encore. « Se reposer est inutile quand le corps ne le réclame plus, et je suis un oiseau matinal, moi, dit le jeune homme. Comptes-tu rester encore un peu ? » et leurs doigts se mêlent, et son front part se nicher avec naturel contre le cou de l’autre. Une odeur familière.
Rassurante.
Humaine, enfin, après la cire et les parfums, les corps dégoulinants, la merde et les oublis, la graisse et le feu. Un palais pue toujours, et celui de Ryevost ne fait pas exception.

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@Nikodim Missalov & @Darius Sorovkin
Les deux amis avaient grandis ensemble, et si, devant le reste du monde, Nikodim était en retrait, même si il se laissait rabaisser, voir comme le petit "chien" de l'Héritier, dans l'intimité les deux garçons avaient noués un lien spécial, unique, solide. Y avait-il plus pur que leur amitié ? Nikodim n'en savait rien. Il savait juste que c'était la chose la plus précieuse à ses yeux. Leur chevelure prend une teinte roussie, nimbée par l'éclat du soleil qui se lève. Et bientôt, il leur faudra quitter leur abris, bientôt, il leur faudra prendre leur rôle aux yeux du monde. Lui, l'ombre docile du futur duc, et son ami, l'Héritier, qui se doit d'être parfait. C'était une charge sur les épaules de Darius, et il le savait. Et Nikita faisait de son mieux pour soulager le duc. Un petit rire lui échappe aux mots de son ami.

"Elle voulait se glisser dans ton lit pour pouvoir avoir accès à quelques faveurs. Ils sont nombreux, les gens qui souhaitent profiter de toi. Il faut que tu fasses attention à toi Darius." Mais il n'en parle pas plus, il sait comment cet épisode a perturbé Darius. Il s'était glissé plusieurs soirs dans son lit pour dormir à ses côtés. Front à front, l'un pressé contre l'autre dans une position apaisante pour le jeune fauconnier, il offre un sourire doux au brun. "Je ne sais pas si ce sera le meilleur, mais j'ai fais tout ce que je pouvais pour que ce cadeau là soit inoubliable, j'espère ne pas trop me louper."

Et le garçon sent l'autre se blottir contre son cou. Si plus jeune, cela ne lui faisait pas grand chose, cela fait un certain temps qu'il sent son cœur battre plus fort, son ventre s'emplir de papillon. Il n'en parlera jamais à personne, mais il éprouve un certain plaisir à leur proximité, et il entoure Darius de ses deux bras, comme si cette étreinte pouvait éloigner le futur duc de toutes les douleurs du monde. Mais il sait qu'il en est incapable, alors, il se fait refuge, un temps pour son ami qu'il serre doucement tout contre lui, glissant une de ses mains dans les cheveux de l'autre.

"Je resterai autant que tu le souhaites avec toi. J'imagine que pendant le repas, je ne pourrais pas rester près de toi, ils risquent de t'entourer d'autres nobles de ton âge. Mais... D'ici là, nous pourrions passer la matinée ensemble. Descendre en ville peut être ?" Qu'il propose dans un murmure. "Ou rester là, encore un peu." Ses doigts peignant délicatement la crinière de l'adolescent, il esquisse un petit sourire. "Je sais que tu es matinal. Tu dors très peu." Il prend le menton de l'autre entre ses doigts, lui relevant le nez. "Avec des valises comme celles que tu as sous les yeux, on pourrait partir pour faire le tour de Ravka pendant au moins trois semaines." Et il dépose une bise sur le front de Darius.

L’incompréhension se peint sur le visage du noble. Sous la lumière diffuse du début du jour, lorsque la nuit bataille avec l’aube, il a l’air perdu entre le monde des rêves et celui, bien réel, auquel il appartient. Il n’est pas lent d’esprit mais peine à comprendre sans aucun détour qu’une jeune femme puisse ainsi s’oublier dans les draps d’un homme qui ne lui sera jamais destiné. On ne se marie jamais en dessous de ce que notre sang est en droit d’espérer : une fille de chambre, une dame de rien du tout écumant les couloirs, ne saurait jamais trouver sa place au sein d’une maison par deux fois déjà affiliée à la famille royale.
« Je fais attention. » proteste sans réellement le penser l’héritier. « Est-ce ma faute si j’accorde aux personnes des intentions bien plus nobles que celles qu’ils ont, au final, en eux ? »

Il s’agit là d’une véritable question, sans doute à jamais sans réponse. L’héritier de Ryevost est crédule et clairement incapable de songer à mal ; les années auront tôt fait de le plier aux convenances et aux errances des esprits plus faibles que le sien. Tout le monde n’a pas la chance d’être élevé dans l’apprentissage des grands philosophes et sous la houlette d’épéistes autrement plus talentueux que le premier chevalier venu de province.
Nikodim sent le savon, la nuit et la liberté ; une fragrance plus que particulière, unique, innommable. Il y a de la sueur et de l’air, l’eau ferreuse de la rivière dont les minéraux se sont déposés contre sa clavicule. En inspirant, le limon remué le jour précédent traîne au fin fond des narines de l’homme-enfant.
Quelques bouffées lui sont suffisantes avant qu’il ne se redresse en douceur et ne pose ses pieds sur le parquet déjà tiède. Un craquement suit son mouvement tandis qu’il s’étire.

« Allons en ville. Je veux profiter de la fraîcheur tant que c’est possible. » Il n’ajoute pas : de la liberté, mais les mots restent pendus sur le bord de ses lèvres comme autant de larmes à ses cils. Dans des mouvements empreints d’une lassitude maîtrisée avec soin, il se glisse derrière le paravent et enfile avec hâte un pantalon, une chemise et ses bottes – sa ceinture et son épée dont il ne se sépare jamais complètent l’ensemble. « Allons-y, veux-tu ? Ou j’irai seul. Et nous pourrons passer voir ce cadeau que tu m’as fait, qu’en penses-tu ? » demande Darius avec un air presque enjoué (quelques secondes avant que la retenue ne le rattrape).

Dans un vacarme presque silencieux, les deux jeunes descendent par l’escalier de service encore peu usité : la famille ducale dort encore et les domestiques profitent de ce silence pour vaquer à d’autres occupations bien moins pressantes. Le jeune a prévu quelques pièces avec lui pour les glisser aux personnes sur la route, au cas où, mais aucune ne termine dans la poche d’un serviteur jusqu’à l’arrivée aux grandes grilles séparant le domaine de la ville. Là, il lui faut soudoyer efficacement les deux soldats de faction pour l’aller et le retour à venir, une partie de son pécule du jour y passant. L’indulgence ne peut pas s’offrir à un anniversaire.

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@Nikodim Missalov & @Darius Sorovkin
Il y a, à travers ce port altier et cet air lointain, une certaine candeur, le monde semble parfois inconnu au futur Duc, il ignore comment les gens peuvent être. Et c'est un sourire d'une grande tendresse que son ami lui adresse. Nikita aimerait tout lui dire, le prévenir du moindre danger pour lui éviter de marcher sur des braises. Mais il ne le peut, parce que lui même n'est pas au fait de ce que l'humanité est capable de faire. Il ne peut faire qu'une chose, rester à son côté, le soutenir du mieux qu'il peut. Et le jeune homme a l'impression que cela ne changera jamais. Que ce rapport entre les deux sera toujours le même.

"ça c'est parce que tu es bien trop "noble" pour ce monde Darius. On le sait tous les deux. Les gens tenteront toujours de profiter de toi, le monde est ainsi fait." Et il esquisse un sourire sans joie alors qu'il ajoute : "Ce n'est pas parce que nos familles sont proches que les miens ne profitent pas de leur position par exemple, et ils sont prêts à vendre tout ce qu'ils ont pour protéger cette position." C'était une réalité. Placer leur plus jeune fils auprès du fils du duc, que ce gamin jouisse de la même éducation, c'était une fierté, et si Nikodim apprenait les jeux de la cour, c'était d'autres matières qui tenaient toute son attention. Il aimait les langues, il aimait la stratégie.

L'idée de sortir, de profiter du jour encore jeune pour aller dans les rues fait briller le regard du futur médecin. Il se redresse, glisse ses pieds dans ses bottes, celles qu'il avait laissé en s'approchant du lit, les laçant avec soin, avant de se redresser. "Te laisser aller seul en ville ? Tu rêves !" Et il sourit, claquant un dernier baiser enfantin sur sa joue, avant de s'élancer. Les excursions en ville étaient simples quand il était seul. Lorsque Darius l'accompagnait, c'était autre chose. Ils descendaient une volée de marche qui avait plusieurs siècles, que des pas inconnus avaient déformés. Le château ? Il est silencieux. Un joli monument de pierre blanches qui se dresse, aux toits arrondis, colorés. Joli décor que bien des artistes s'amusaient à peindre. Nikodim n'avait aucun talent là dedans. Ils arrivent aux grilles, et il faudra quelques pièces sonnantes et trébuchantes pour acheter le silence. Ce qui était drôle... C'est que tout... Tout a un prix. Cela marche aussi pour les deux brioches au miel qu'il attrape sur le premier étal qui vient, laissant une pièce d'argent au commerçant, donnant l'une d'entre elles au jeune homme, attrapant sa main pour l'emmener jusqu'au canal le plus proche.

"Observons un peu les bateaux, c'est l'heure à laquelle il y a les plus belles péniches." De jolies oeuvres d'art sur l'eau. Et il se pose, le garçon, pour observer les navires passer dans les étroits caneaux, le tout entourés de maisons bariolées, multicolores. Il en prend plein les yeux.

"Oh regarde celui là, on dirait qu'un requin est peint sur la coque et qu'il va se jeter sur nous, c'est génial ! Toi qui sais bien peindre, tu crois que tu pourrais faire ça sur nos prochaines coquilles de noix ?"

Est-ce ma faute, songe l’héritier d’un trône ducal ayant à peine conscience de la charge à venir lorsqu’il s’agit de choisir avec soin ses amis et ses fréquentation, si je ne comprends pas ce genre de gens ? Noble au coeur et certain que tout le monde autour de lui, si ce n’est l’intégralité de l’espèce humaine – grishas exclus, bien entendu – se comporte aussi noblement que les anciens chevaliers du temps d’antan, Darius se sent plus désorienté que coupable. Les vilenies du monde existent : voilà trois jours que pend le corps d’un homme ayant assassiné sa femme et sa maîtresse sans raison aucune ; les grishas semant la discorde sur leur passage de vagabonds créent meurtres et dangers tout en volant les âmes et les sous des gens de son peuple. La noirceur et la saleté des âmes existent : il semble simplement à Darius que celles-ci ne sont que des cas isolés plutôt qu’une affliction généralisée.
Le reste du monde est pur.
Ses pensées idylliques, il les garde pour lui – pour lui et Nikodim. On le taxerait bien trop vite de jeune idiot ou d’idéaliste – lui dont les peintures virent de plus en plus au sombre au fil des années, dont les visages se parent de larmes, de fractures, de veines dégagées et ouvertes aux quatre vents. (Mal d’âme inconscient ? ) .

« Merci. » lâche le brun en acceptant l’offrande de la brioche avec un air heureux. Le sourire sur ses traits est sincère. « Prends dans ma bourse pour te rembourser : c’est mon anniversaire, tu as déjà fait un cadeau. Pas question que tu me fasses celui-ci également. » Il n’est pas près à laisser cela passer.
La brioche est délicieuse, soit dit en passant.

La chaleur les attrape sur la route, tandis que leurs pas les approchent du canal. La lourde chape de plomb s’installe au rythme de leurs pas adolescents, tandis que le vent se tait autour d’eux. «L’année sera chaude, prédit celui qui, à défaut de voir la saleté et la crasse humaine, connaît bien son monde et encore plus son pays. Nous irons plus en amont, si ça te va, nous tremper dans la forêt. Là où les bateaux ne passent pas. » la décision est à moitié prise : le jeune homme respecte toujours les envies et les besoins de son compagnon de jeux. « Ou nous pouvons voir pour le lac près du château : à cette heure-ci, il n’est peut-être pas encore pris d’assaut par d’autres. »  

Appuyé contre un banc installé là, son regard dérive sur les bateaux les plus sombres, ceux où les étoiles dansent au raz de la ligne de flottaison. Autant de cieux qui se reflètent dans l’eau claire, dont les vapeurs fétides déjà remontent jusqu’à eux. Elle stagne déjà un peu trop pour la saison. Mais la brioche est bonne, la compagnie agréable : le matin sera parfait, il ne peut que l’être. « J’essaierai, va. Je ne sais pas si j’arriverai à faire aussi bien. Il faudra que l’on trouve de la peinture, par contre : je n’ose pas en réclamer à nouveau, depuis que l’on m’a fait comprendre que ce hobby ne devait pas être trop… Prégnant. »
Il aime tant peindre, pourtant. La tristesse passe, fugitivement, sur ses traits – juste avant qu’il ne la ravale avec cette force de caractère qui fait le futur duc de Ryevost.

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@Nikodim Missalov & @Darius Sorovkin
Ils parlent... Ils parlent... De cette étrange histoire de servante, s'étant matérialiser nu dans la chambre du futur Duc, et pourtant... Pourtant Nikodim vit avec lui tous les jours, passe de longues heures avec Darius... Et jamais il ne l'a vu ne serait-ce qu'observer une fille, s'y intéresser. L'adolescent, quant à lui, sait depuis de nombreuses années qu'il n'est pas attiré par les femmes, mais plutôt par les hommes, et parfois... Parfois... L'amitié se mû en amour. L'amitié s'estompe, et ne reste que le rêve. Il en souffre, parfois, le jeune homme. Mais il n'en dira rien, jamais. Déjà que son statut de grisha est une honte, un malheur, selon ses parents, et que sa bonne entente avec l'héritier conditionne leur vie au château, bandes de petits profiteurs dorlotés par un Duc, ne rêvant que de luxe et de pierreries, là où dans le fond, ils ne sont que des rustres. Les petits bouffons du Duc, qui dressent des oiseaux. Il est au courant, le garçon, de ce qui se dit sur sa famille, et à dire vrai... Cela ne le touche que peu. Après tout... Il n'a que peu de liens avec ces derniers. Pour eux... N'est-il pas aussi encombrant, qu'il peut également être un tremplin ?

Il est déterminé, Darius, et Nikodim lui fait un joli sourire. "Tu n'as qu'à me faire un cadeau pour compenser. Mais je ne fouillerai pas dans ta bourse, ma mère m'arracherait la tête si elle l'apprenait !" Il rit, Nikita, loin de se douter que dans les années à venir, ce ne serait plus le cas. "C'est ton anniversaire. Normalement tu es le roi de la journée Darius !" Et le jeune homme croque dans sa pâtisserie, laissant les différents arômes de fleurs d'oranger et de sucre se déposer sur sa langue, les cristaux de sucre fondre dans sa bouche. Il fait beau, il fait chaud, et le soleil s'amuse à dessiner de jolies ombres sur le visage de Darius, jeu fascinant, duquel Nikodim a du mal à détourner le regard. "Alors si l'année est chaude... Nous pourrons nous rendre plus régulièrement en forêt, ou dans les endroits frais. L'hiver... Il fait froid et nous ne pouvons plus sortir sans que je me fasse tirer les oreilles." Qu'il clame, penaud. Il se sent adulte dans l'âme, et pourtant... Encore tellement infantilisé par sa famille, parfois, ça lui donne d'la rage dans le ventre, un feu qui a du mal à s’apaiser. "Va pour le Lac !"

Mais ils prennent quand même le temps d'observer les bateaux. Enfant, Nikodim ne loupait jamais une occasion de regarder les belles coques colorées et lustrées fendre les eaux des canaux de Ryevost. Il sourit, le futur médecin, alors qu'il attrape la main de son amie, qu'il noue ses doigts aux siens pour l'entraîner à sa suite. "Cette peinture je te l'achèterai. Tu as un talent fou, et j'aime tellement te voir peindre. Tu as l'air tellement apaisé, quand tu termines. Je te fournirai toutes les couleurs du monde si il faut." Qu'il lance, plein d'énergie, alors qu'il l'entraîne derrière lui. Darius peut paraître triste parfois, mélancolie. Nikodim s'est toujours dit que c'était sans doute le poids de la fonction. Il s'était donné à coeur de le distraire du mieux qu'il pouvait, pour éloigner ces idées, et laisser fleurir quelques sourires sur ce beau visage.