We are trouble ~ Ace

Bordel de merde. Il soupire, croise ses yeux dans le miroir, avant de descendre un peu plus sur sa réflexion et de regarder le carnage que son son omoplate et son flanc. C’est pas super beau, mais ça a arrêté de saigner, y a un moment. Quelques jours même. Il sait qu’il aurait pas dû aller dans la rue pour taper des mercuriens, il sait qu’il aurait pas dû bosser et dégager des tocard du Dahlia rouge, il sait qu’il aurait dû rester tranquille dans son lit à guérir… ça aurait p’t’être fait plaisir au p’tit voleur, de savoir qu’il ne fait rien de dangereux mais…ben c’est sa vie depuis ses douze ans hein. Il a pas le temps d’attendre que ça guérisse, alors faut vivre avec. Il faut continuer à se battre pour ses conviction, continuer à ramener de l’argent pour bouffer et surtout, continuer à protéger le barrel. Il s’est fait une raison, Ace, il en a rien à foutre des gens…sauf certains. Il sait pas comment c’est possible, mais ces cons là ont réussi à l’atteindre et maintenant, il est foutu, in s’inquiète pour eux. Alors voilà, il continue de demander des missions au Dahlia, pour vérifier que les fleurs vont bien. Parce que même avec son bras en écharpe il peut toujours dégager les gros connards qui comprennent pas où est leur place. Et il continue d’aller faire chier les mercuriens pour montrer à son père qu’il est en vie, qu’il compte bien le rester et qu’il aille se faire foutre avec tous ces connards qui se croient plus importants et influents qu’eux…c’est ce qui l’a amené à aujourd’hui.

Il soupire, touche du bout des doigts l’estafilade sur son flanc et souffle. C’est pas trop douloureux, ça tire mais ça ira. Ce qui l’emmerde c’est plus ça. Il touche en même temps la peau abimée et fragile qui couvre le trou refermé dans son omoplate. Un grognement impromptu s’échappe de ses lèvres et Ace râle intérieurement. Bordel de merde. Il sait qu’il le referait mille fois, comme pour les bleus qui ont disparu et sa putain de peau déchirée sur ses côtes. S’il devait protéger encore son petite voleur, il recommencerait encore et encore. Il sait pas trop pourquoi il a fait ça, ils deviennent amis, il a l’impression. Il aime vraiment passer du temps avec lui et c’est tellement putain de rare que Ace veut pas que le gars crève, c’est suffisant comme explication non?

Il regarde par la fenêtre, voit le clocher au loin et la grande horloge de ville et se rend compte qu’il a intérêt de se dépêcher s’il veut pas être en retard sur son avance. Parce qu’il aime être en avance, c’est son truc. Alors il enfile sa chemise, passe une main dans ses cheveux noirs et soupire de nouveau.

-Putain de merde.

IL a une mission, Ace, commandité par la princesse qui plus est, donc ultra importante. Il aime bien Merida, elle est réglo, et elle est toujours très marrante dans ses propositions de boulot. C’est plutôt souvent dangereux et Ace passe pour un gros bras qui ne sait que taper et ça, c’est son rôle préféré. Il sait pas trop si elle sait, Merida, qu’il est plus intelligent que ça. Il pourrait se vexer mais c’est pas son genre. Tout le monde le prend pour un gros baraqué sans cervelle, il a l’habitude. La mission est chouette, ils vont s’infiltrer chez des mercuriens. C’est imprudent, il le sait. Les mercuriens se connaissent tous les uns les autres et Ace a beau ne pas le vouloir, il ressemble à son père. Son portrait craché, on lui a dit, quand il était petit. La meilleure insulte qu’il ait jamais reçu, celle-là. Du coup il a trouvé un truc. Il est allé voir les lavandières, celles qui lui ont appris à laver son propre linge et a fabriquer de la lessive et leur a demandé un coup de main. Il se sent comme un alchimiste ou presque, avec toutes ces conneries. Si ça fonctionne pas, il pourra se reconvertir. Mais bref, grâce à une mixture bizarre à base de charbon, ses cheveux sont aussi noirs que la nuit. C’est pas moche mais c’est trop étrange et si c’était pas par les vilaines cicatrices sur le corps qui le porte depuis sa naissance, il se reconnaîtrait pas forcément. Parfait donc.

Il descend les marches de l’auberge, hoche la tête dans un bonjour habituel au tenancier qui, profondément ancré dans sa routine, lui répond à peine. Il demandera pas. Il demande jamais. Il a jamais demandé. C’est pour ça qu’Ace loue une chambre ici depuis qu’il peut se le permettre. Le type est sympa, très très flatteur avec sa clientèle, un excellent commerçant qui peut se faire votre ami le temps d’une soirée et qui sait faire tourner son auberge. Mais il promet aussi une intimité et l’anonymat qu’a toujours recherché Ace. Donc c’est parfait. Tant qu’il paie son du à la fin de la semaine, peu importe ce qu’il fait dans sa chambre. Et si un type brun étrange est descendu de sa chambre ce matin et que le tenancier ne l’a pas vu faire de même, il en dira rien à Ace. Et Ace lui en parlera pas non plus.

Il descend rapidement dans la rue, marche bon train pour se diriger vers le point de rendez-vous et l’atteint sans trop de mal. La place est calme, les rues alentours sont plutôt occupées et déjà Ace entend s’élever les cris d’une dispute stupide. Elles sont toujours connes, les disputes, mais parfois ça mène à la castagne et ça permet d’en sortir un truc drôle. Il tourne la tête vite fait, quand même, pour vérifier que c’est pas un truc grave, on sait jamais, mais non. Des mecs qui se disputent parce qu’ils pensent plus avec leur queue qu’avec leur tête et qu’ils avaient apparemment la même paire de seins en vue…aucun des deux n’a gagné parce que cette ruelle n’abrite aucun parfum floral ou voix aiguë ou autre connerie féminine. Bref deux gros cons qui se disputent comme des gros cons. Rien de neuf sous le soleil. En parlant de soleil, ce connard est de sortie, ce qui veut dire qu’Ace y voit pas bien grand chose, et en plus de ça il peut pas regarder le ciel sans avoir cette impression désagréable qui lui donne envie de gerber. Il sait, c’est con et pas rationnel d’avoir peur du ciel bleu mais ce truc est immense et c’est comme si le regarder trop longtemps peut leur rappeler à tous à quel point ils sont insignifiants et inutiles. Un frisson lui parcourt le dos, vient terminer sa course dans son omoplate fatiguée et blessée, lui tirant une grimace de douleur. Il s’oblige à faire rouler son épaule pour faire disparaître la sensation, échauffant ses muscles sous la peau juste refermée et soupire. Putain, il a hâte que ça fasse plus mal. En attendant Merida, il met ses mains dans les poches, joue avec le briquet gentiment offert par Crocus. Il a toujours ces vieilles bagues dégueulasses modifiées par lui-même, pour lui-même, depuis que la p’tite conne rousse lui a pété les siennes et franchement, il les aime pas. Elles lui font mal. Elles sont profondément laides, mais elles font le taf. Et s’il les casse, il se débarrasse plus jamais du briquet. C’est un cadeau, et on ne jette pas les cadeaux, c’est trop précieux.

Il attend un peu, pas longtemps, puisqu’il est distraits par les cons dans la rue, et la voit arriver de loin. Elle est canon, objectivement, Merida. Pas a son goût propre, il préfère des cheveux plus courts et un peu plus bouclés…et puis elle a trop de formes pas vraiment là où il faut mais bon elle est quand même belle, il peut le dire. Et elle a une prestance qui illumine la rue. Merde c’est une chance pour les Crows, qu’elle soit l’une des leur parce que cette femme là peut magner son monde à la baguette, alors autant l’avoir de son côté. Ace la connait depuis un moment maintenant et c’est une des seules nanas qui lui donne pas envie de se barrer en courant ou de l’emplatrer dans un mur. Elle est intéressante, elle est assoiffée d’aventure et pas du genre à le retenir de taper le moindre con, au contraire, ce qui est un atout. Un sourire sur les lèvres, il fait une petite révérences, les épaules voûtées, la tête légèrement blessée.

-Madame la comtesse. Comment ça va? T’es prête?

La voilà, arrivant fièrement, la tête haute, les épaules en arrière comme si elle pouvait diriger le monde. Il croit qu’elle peut, Ace. Cette nana… Il pourrait, en vrai, suivre ses directives. Il a jamais voulu être un crow. Il a jamais voulu travailler uniquement pour les crows mais elle…Merida dégage un truc qui donne envie de la suivre. Comme si elle respectait les gens qui lui accordent de l’attention, il sait pas. Ace l’aime bien. C’est un bon leader, il peut le voir. Il l’a déjà vu. Il le verra encore il le sait. Merida… traite les gens qui bossent pour elle comme des êtres humains et ça, par ici à Ketterdam, peut-être même ailleurs dans le monde il sait pas, c’est rare. C’est précieux. Et elle les estime pour leurs dons. Et elle leur en demande pas plus qu’il n’en faut. Il sait, Ace, pourquoi elle travaille avec lui. Il est réputé pour se bastonner. Il est réputé pour sauver la mise aux plus faibles. Et pour pas avoir peur de prendre des coups pour ses convictions. Et Merida, il pense qu’elle aime ça, cet aspect “j’en ai rien à battre de mourir tant que je gagne” de lui. Les gens qui tiennent à lui… Enfin Luka, ça les inquiète. Il voit dans son regard, parfois, qu’il est pas très sûr de Ace, même s’il lui fait confiance avec sa vie. Et il sait, l’inferni, que c’est vraiment pas sain de courir devant le danger comme ça. Il sait pourquoi il le fait. Il a conscience que les quelques battements de coeur qui le poussent dans ce monde ne sont utiles que s’il sert à quelque chose pour quelqu’un d’autre. C’est comme ça. C’est un truc qu’il a appris très tôt, Ace, les gens nous abordent que si on peut leur servir. Il aimerait dire qu'il est pas comme ça. Mais si. Il a abordé Merida pour le boulot. Il a abordé la gosse et son petit voleur de père pour le boulot d’abord. Et Luka… Y a p’t’être bien qu’avec Luka que ça s’est juste…fait. S’pour ça qu’il a l’impression que c’est la seule vraie relation qu’il ait jamais eu dans sa putain de vie.

Mais ouais. Du coup voilà, sa vie vaut pas grand chose si elle sert pas aux gens qu’il aime, aux gens qu’il estime. Il sait que c’est bizarre de penser comme ça. Adrian voit ça comme des dettes à rembourser, Luka…Luka pense peut-être qu’Ace est, il sait pas, suicidaire ou quoi. Et pour les autres… Les autres disent de lui qu’il a rien dans la tête. Qu’il est complètement con. Et ça lui va bien. C’est une bonne chose de pouvoir toujours surprendre, surtout quand l’inferni a même pas la surprise de sa petite science, tant il la porte avec honneur et joie. Alors ouais, Merida peut lui demander des services, sait pertinemment que tant qu’il sera pas alité ou six pieds sous terre, y a de grandes chances qu’il réponde, surtout pour faire chier les connards qui se croient plus importants qu’eux. Pour leur rappeler qu’ils chient tous par le même trou, même si c’est pas sur le même type de latrines.

Il se redresse alors qu’elle lui fait face, lui envoie une pique gratuite, habituelle mais jamais blessante et son visage se fend d’un grand sourire joyeux, quand elle lui répond. Il passe une main dans les cheveux avant de soupirer en se renfrognant.

-Je suis connu, chez les Mercuriens, je veux pas griller la couverture.

Il en dira pas plus, elle en demandera pas plus, c’est le genre de relation qu’ils ont tous les deux. Professionnelle. Amicale. Absolument pas dans l’abus de pouvoir ou la demande d’explication. Et ils aiment se charrier l’un l’autre et ça, c’est plutôt chouette.

-Avoue j’ai une belle gueule en brun. Je donne envie.

Il lui fait un clin d’oeil avant de se redresser et d’étirer son bras fatigué avec précaution. Il manque pas le regard de la boss qui glisse vers celui-ci et grogne de frustration. Elle sait qu’il peut se battre, c’est pas un souci. Avec assurance, il répond.

-Quatorze, je dirai… Non sincèrement j’en ai tenu quatre à distance bien avant qu’il soit bien guéri, pendant un certain temps. Donc je dirai…sept. Sept ça me parait bien. Dans tous les cas je serai plus efficace qu’eux, même avec un bras en moins.

Il sort un briquet de sa main, le cadeau de Crocus, avant de l’allumer pour lui montrer la petite flamme modeste.

-Tu m’connais. Si j’suis en difficulté je saurai m’en sortir. Et tu peux compter sur moi.

Il ne peut s’empécher de souffler un sourire en entendant la suite.

-Tu me l’as dit ouais. Un mercenaire avec de la bouteille, vu mes bobos. C’est histoire de rajouter de la véracité à notre couverture.

Il lui fait ensuite un clin d’oeil, plus détendu.

-Je peux m’tenir. Dis-moi ce que tu veux que je fasse, et j’obéis. S’pour ça qu’tu me paies.

Sans l’attendre, il se détourne et se met en marche. Après tout, c’est pas en tapant la causette au milieu de la rue qu’ils vont arriver à quelque chose.