Il était une fois... [PV Siver]

Il y a un cri qui s'échappe de sa gorge. La corde autour de son poignet brûle sa peau mais c'est le vide sous ses pieds qui est le plus impressionnant.

Le vent, son meilleur ami, qui accompagne sa chute, fait voler ses boucles et s'engouffre dans son grand manteau de cuire, faisant claquer les pans dans son dos.

-A l'abordaaage !

Ses bottes claquent sur le pont du vaisseau adverse. Son saut depuis le mât de l'Impolite a rougi ses joue. D'un geste du poignet, il se débarrasse de la corde qui revient se balancer sur son bateau. Derrière lui, ses compagnons accoste à leur tour. Ils se savent menaçant, les requins, ils arrivent les un après les autres pour faire bloque alors que le vent se lève, faisant bouillonner les flots. Une idée de hurleurs, évidemment.

Il en est fier et il la partage avec le meilleur.

Son équipage, ses amis, ceux pour qui il donnerait sa vie.

Mais aujourd'hui, peu ou pas de danger. Ils savent à qui ils s'attaquent et ils vont les dépouiller en bonne et due forme, avec le moins de mort possible.. S'ils ne résistent pas.

-Ne faites pas de vagues et vous ne serez pas trop blessé.

Madden à sa droite dirige les opérations, c'est toujours comme ça, c'est lui le capitaine après tout et Lev, c'est pas un pro pour la parlote. Lui, il se contente de sourire de toutes ses dents. Ca lui donne un air un peu flippant mais surtout, ça traduit parfaitement le plaisir que prend la Roussette à piller ce navire marchant.

Oui, vraiment, aujourd'hui, c'est comme tout les autres abordages.

Les matelots du bateau prennent leurs armes. Ils vont se défendre. Evidemment. Ce n'est pas un bateau de croisière et c'est aussi pour ça que L'Impolite les a ciblé.

Ils se lance vers eux.

Lev tend la main vers sa voisine de droite :

-Ils se défendent, t'as perdu.

Quelques krugs sonnent dans sa paume et le sourire de Lev s'agrandit alors qu'il sort sa dague de son manteau, prêt à attaquer.

Il la coince entre ses dents pour agiter les mains, les doigts, entame sa danse venteuse. Ses camarade se lance déjà à l’assaut, le bruit des pieds nus et des bottes claquent contre le plancher, déjà, les premier coups sont échangés. C'est encore léger, les shark ne sont pas à leur pleine puissance parce qu'ils savent ce qu'il va se passer ensuite. Parce qu'ils sont campés sur leur appui.

Le vent, violent, s'engouffre dans les voiles blanches du bateau marchant, les roulis de l'eau se font sentir de plus en plus fort, de plus en plus violemment. Le navire tangue avec force et les Shark restent bien à leur place alors que les premier mousses glissent et se mangent les bastingages.

Quel plaisir !

-Vous auriez du rester tranquille...

Parce que lui s'amuse bien trop pour arrêter.

Peut-être qu'il en rendra un ou deux malades ?

Il rirait tant...

Il y a des cris tout autour de moi.

Des grognements sur ma droite. Des injures ravkanes droit devant. Le vacarme des affrontements sur le pont, sous les cales, et des hurlements barbares dans le vent.

J’ai envie de vomir.

Je sais que je devrais brandir les armes, moi aussi. Je sais que je devrais me faire dessus, pour avoir eu le malheur de croiser des bandits de la Vraie Mer. Je sais que je devrais craindre pour ma vie et défendre mes biens.

Mais pour le moment, tout ce qui m’importe, c’est mon estomac douloureux qui se tord dans mon ventre.

Le métal s’entrechoque. Les cordages volent. Les voiles se gonflent en sens inverse et les vagues ricanent de plus belle contre la coque. Ce maudit navire tangue à nouveau. Je trébuche et me raccroche à la première chose que je croise ; une pirate qui renifle le rhum et qui jure comme une charretière. Elle me repousse comme si je ne pesais rien, braillant des mots que je ne prends pas la peine de saisir.

J’ai vraiment envie de vomir.

Mais que fait le putain de capitaine de ce rafiot ? A quoi il joue, merde ?! Des tonneaux retiennent ma chute. L’instant d’après, un réflexe inespéré me fait m’accroupir juste à temps pour sentir le tranchant d’un sabre frôler mes cheveux. Les deux combattants s’éloignent sans doute sans s’être rendu compte qu’ils ont manqué de m’embrocher.

Il faut que je me casse de là.

Mais voilà, c’est le problème. Comment se cacher sur un foutu bateau ? Comment s’enfuir alors qu’il y a l’eau tout autour ? L’angoisse me crispe un peu plus le ventre.

Déterminé à ne pas laisser la peur me tétaniser, je me jette en avant. Il faut que je trouve une planque le temps que tous ces abrutis aient fini de jouer. Au même instant, les bourrasques de vent réapparaissent, faisant tanguer le monde. C’est le looping de trop. Je perds l’équilibre. Mon épaule bouscule un grand type enveloppé de son long manteau, planté au milieu du pont. Je me vautre sans la moindre élégance contre la rambarde, juste à temps pour rendre le contenu de mon estomac par-dessus bord.

Quelques mètres en dessous, les flots dansent comme les flammes de l’enfer, prêtes à m’accueillir en me promettant leurs tourments.

J’ai la tête qui tourne. La perspective de tomber me glace le sang. Je me redresse et recule précipitamment. Pitié … Faites que le sol cesse de remuer … A la place, ma vision s’ébranle une nouvelle fois lorsque mon dos bouscule l’homme au manteau.

Putain. Je suis prêt à parier que c’est un pirate, celui-là.

C’est bien ma veine, tiens.

Il prend son pied, il prend tellement de plaisir à faire tanguer le monde, à tourmenter ces pauvres marins d'eau douce qui ont cru que la vraie-mer était une balade de santé, qu'elle était belle et calme. Ah ! S'ils savaient que toute la beauté de cette étendue d'eau se révèle pendant les tempêtes, quand les vagues se dressent, que les flots s'assombrissent, quand les courants chahutent ses habitants, que les cris des oiseaux disparaissent dans les vents et que les navires imprudents se transforment en épaves et en trésors enfouis. La beauté de la sauvagerie naturel. Et lui, Lev Roussette, joue avec comme un enfant joue avec un cerf-volant.

Le bateau tangue et tout les sharks tiennent debout, comme toujours, presque trop habitués à la sensation. Une partie de la Roussette est déçue de ne pas pouvoir les embêter un peu, l'autre est incroyablement fière de la mécanique qui à été mise en place. C'est beau, c'est classe, c'est eux.

Comme toujours.

Lev ne tarira jamais d'éloges pour l'équipage dont il fait parti. Jamais.

Il laisse sont regard gris se balader sur ses amis, sur leurs petites bastons et sur l'écrasage total qu'ils exercent sur les marchants récalcitrant. Et il s'apprête à se lancer lui aussi dans la bataille quand il manque de perdre l'équilibre. Le couteau encore entre les dents, Lev se tourne vers l'inconnu qui l'a bousculé... Et qui repart en courant vers le bastingage. Un sale sourire orne les lèvres du pirate, ravi d'avoir rendu un de ces petits marchants sans expérience malade. C'était ce qu'il cherchait après tout.

Lev retourne à la recherche de son adversaire quand l'autre malade lui rentre à nouveau dedans. Peut-être un petit peu agacé, il lève les yeux au ciel et déloge la lame d'entre ses dents pour la garder bien en main. La Roussette sort alors son meilleur jeu d'acteur, de pirate et pose un regard mauvais, féroce sur le jeune homme qui lui fait face. Son sourire s’agrandit.

-Et bien, on tient pas debout, petit canard boiteux ?

Il accentue son air cruel, le poignard volette entre ses doigts alors qu'il joue avec.

-Tu as besoin d'aide?

Il joue des sourcils et laisse au petit blond le soin de choisir si c'est une menace ou une proposition graveleuse.

Ce pillage est devenu, d'un coup, bien plus intéressant...

Il s'approche de lui, menaçant.

J’ai la respiration vive et les pensées en vrac. Moi qui parviens d’ordinaire à me sortir de n’importe quelle merde, cette fois mon esprit rame et patauge pour trouver une solution. Pourquoi est-ce si compliqué de trouver un endroit où me planquer et attendre que ça passe ? La terreur de voir le navire sombrer dans les flots combiné au mal de mer me rendent aussi efficace qu’un mollusque.

Ma main hagarde passe sur mon visage pâle. Petit canard boiteux ? Mon ventre se crispe. Je me dresse tant bien que mal devant l’homme qui me hèle. Non, je ne tiens pas debout. Comment ce connard fait pour rester droit et fier malgré les caprices du vent dans les voiles ? Je parviens à croiser son regard d’acier. Menaçant. Dangereux. Et son sourire à l’angle trop moqueur.

— J’ai pas… J’ai pas besoin de l’aide d’un pirate de pacotille… !

Le venin siffle entre mes lèvres. Il me laisse un sale goût sur la langue lorsque le soleil se reflète un instant sur le couteau qui danse entre les doigts de l’autre homme. P’tain… Ce type pourrait avoir dans l’idée de m’ouvrir la gorge d’un revers de la main. Et moi, j’ai rien trouvé de mieux que de l’insulter ?!

Toujours aussi fort pour m’attirer encore plus de problème.

Il avance et, d’emblée, je recule un peu gauchement, le dos raide. Je n’aime pas l’expression de son visage. Je n’aime pas cette lueur cruelle et joueuse dans le fond de ses prunelles. Je n’aime pas ce face à face et je dois trouver un moyen d’y mettre fin dans les plus brefs délais. Mes mains se lèvent pour lui prouver que je suis désarmé et, donc, inoffensif. Un rictus amer me traverse.

— Pourquoi tu perds ton temps avec moi ? Je n’ai pas d’objet de valeur et mes kruges sont dans ma cabine… T’as pas mieux à faire que de t’occuper de mes poches trouées ?

Comme s’intéresser aux marchands de ce bateau, par exemple. Ils sont plein aux as. C’est eux qu’il faut dépouiller, s’il ne l’avait toujours pas compris. Moi, je ne suis qu’un passager imprévu et décidément bien malchanceux. Dégage et oublie moi, abruti.

Oh qu'il va bien s'amuser avec celui là. Est ce qu'il aurait le mal de mer ? Ca serait si drôle... Ah que Lev est cruel quand il s'amuse. Comme un enfant avec un insecte... Sauf que lui, il s'en rend compte... Ce qui est sûrement, au final, bien pire.

Il a l'air si mal en point, tout pâle comme ça. Et Lev, la Roussette, le surplombe. Il s'amuse des mots de son petit souffre-douleur de la journée. Il n'a pas forcement envie de richesse, il a tout ce qu'il faut avec les Sharks.

Des amis et du rhum.

Les richesses ? Ce n'est qu'un bonus.

-Un pirate de pacotille ?

Il éclate de rire. Sincèrement. Le couteau s'envole, décrit une belle arabesque pour revenir dans sa paume.

-De... Pacotille...

Définitivement, ça l'amuse beaucoup. Et en plus l'autre n'a pas d'arme ? Qu'il est mignon. Lev range alors sa dague et imite sa cible en levant les bras.

-Moi non plus, j'ai rien...

Son sourire se fait mauvais.

-Je me fiche de tes krugs mais personne...

Il s'approche un peu plus, joueur.

-Personne n'a rien de précieux sur lui.

Sa main se referme sur les pans de la chemise de ce canard boiteux et la Roussette l'attire à lui.

-Qu'as tu de précieux, mon petit canard ?

Peut-être que l'autre mettra la main à ce qui compte le plus pour lui...

Ouh qu'il est vile.

Le pirate répète mes mots. Une fois. Deux fois. Le couteau vole dans les airs, presque avec paresse, avant de se figer à nouveau entre ses doigts. Pourtant, son regard n’a pas quitté le mien. Il ne s’est même pas coupé, j’en suis certain.

Un pirate de pacotille, oui...

N’empêche qu’il me fout quand même les jetons, à s’approcher comme ça. Je déglutis. Mes reins s’impriment contre la rambarde du bateau. Impossible de reculer et, à vrai dire, l’idée d’être aussi proche du bord, acculé, me donne le vertige. Quitte à choisir, je préfère me faire trancher la gorge, plutôt que de tomber à l’eau.

Mais l’homme fait disparaître son arme. Sous l’incompréhension, mes sourcils se froncent. A quoi il joue ?

A son sourire, je comprends. Oh oui, je comprends très bien.

Il joue, justement. L’idée n’est plus de faire les poches des malheureux voyageurs de ce rafiot, mais plutôt de s’amuser un peu. Et il a de toute évidence jeté son dévolu sur moi.

J’ai toujours été un sacré petit veinard, dans la vie.

Je n’ai pas encore trouvé comment me sortir de ce bourbier lorsque ses doigts se referment autour de mon vêtement. Le pirate m’attire à lui et je soutiens fermement ses yeux.

Ce que j’ai de plus précieux... L’image se calque dans mon esprit et, avant que je n’ai pu m’en rendre compte, mon regard anxieux plonge brièvement vers le collier à mon cou.

— J’suis pas un canard, j’articule en grondant. Et je suis encore moins ton canard.

D’autres à ma place lui auraient déjà fait flamber la couenne. Mais pas moi, parce que je suis un lâche doublé d’un piètre grisha.

— Tu veux savoir ce que j’ai de plus précieux ? Tu me l’as déjà pris. C’était ma tranquillité et mon espace vital. Et là, t’es clairement en train de les piétiner, connard.

Il recule devant le pirate aux yeux tempête, magnifique. Le jeu est incroyablement divertissant et ce … Ce piètre passager. Parce qu'on ne peut décemment pas parler de matelot ou moussaillon. Ce caneton ne tiendrait pas debout même en cas de mer calme. Rien qu'à voir comme il se tient au bastingage alors que Lev s'approche inexorablement.

Il ne réagit qu'à peine quand le pirate le tire jusqu'à son visage et l'interroge. Par contre, lui, voit très très bien ce qu'il se passe sur les traits du vilain petit canard. Il voit très bien son regard qui glisse vers son cou. Le sourire du pirate se fait carnassier, méchant... Mesquin.

C'était pas si dur, si ?

Il rit.

Et il rit encore plus quand le canard répond.

-Tu ne tiens pas debout, tu sais ? Si je te lâche, là maintenant tout de suite... Je sais que tu finis sur le cul... Tu voudrais pas que tout le monde vois, ça, hm ?

Il approche ses lèvres de l'oreille de sa cible.

-Ca serait vraiment honteux, tu ne crois pas ? Le cul par terre, à mes pieds...

Il rit encore.

-Donc, mon petit canard, je vais m'emparer de ce que tu as de plus précieux et on sait tout les deux, que ce n'est pas ton espace.

Sensuellement, ses doigts glissent sur le coup de sa victime pour plonger dans son col, sur sa poitrine. D'un geste sec, il arrache le collier qui pendait nonchalamment contre sa poitrine pour le porter à son regard.

-Alors c'est ce truc sans valeur qui te tient à cœur, mon canard ?

Il coule un regard sarcastique vers sa cible.

D'un coup, il lâche le haut de Siver.