Aujourd’hui, je n’avais pas envie d’aller dans mon laboratoire. Le temps était ensoleillé, pas encore trop chaud malgré la saison et les rues de Ahmrat Jen étaient déjà remplies de stands de marchands. Il y avait de tout, des vêtements aux objets en passant par les produits pour cuisiner. En plus des épices qui embaumaient l’air, les odeurs de plats préparés donnaient l’eau à la bouche. Glissant quelques pièces dans la main d’une grand-mère, je la remerciais pour la pâtisserie qu’elle venait de me préparer. Je continuais mon tour, marchant tranquillement.

Je n’avais pas besoin de me cacher. Plus personne ne savait qui j’étais. Le temps m’avait effacé à l’aide de mes ancêtres. Dans cette tragédie, j’y trouvais mon bonheur. Je pouvais traverser les âges avec une certaine sérénité. Je continuais ma vie, faisant ce qu’il me plaisait. J’avais trouvé ma place dans l’illégalité, moi qui était né dans la richesse et l'opulence de la royauté. Je me préoccupais uniquement de mes affaires, de cette guilde et de la richesse qu’elle m’apportait, me donnant ce que je n’avais pas eu depuis longtemps. Grâce à elle, j’avais pu obtenir une maison à l’extérieur de la ville, à moitié dissimulée dans les bambous qui longeaient les rizières.

Terminant mon encas, je m’arrêtais à un stand de bijoux. Mon regard allait et venait sur les bracelets, les colliers, les boucles d’oreilles et les bagues. Qu’ils soient en or ou argent ou simplement en cuir ou en bois, cela n’avait aucune importance. Je pouvais les porter à partir du moment où j’avais un coup de cœur. C’était d’ailleurs le cas : mes vêtements amples et légers étaient assortis aux bracelets à mes poignets et mes bagues aux doigts. Mon fidèle katana à ma ceinture tranchait avec mon style de noble.
Je ne sus pour quelle raison ma tête se tourna vers la foule, sur ma gauche. Je ne pensais pas avoir entendu quelque chose en particulier. Peut-être simplement mon instinct qui me soufflait quelque chose ? Je ne vis rien, mais j’avais la sensation que l’on m’observait. Je plissais le regard, apercevant une chevelure blonde très claire qui dénotait avec les cheveux bruns des shu. Peut-être un touriste ?

Je hochais simplement la tête au marchant, ne lui prenant rien et poursuivis mon chemin. J’étais désormais aux aguets. Mes yeux analysaient chaque personne devant moi et mes autres sens s’occupaient de mes arrières. Faisant comme si quelqu’un me percutait l’épaule, je me retournais à moitié, jetant ainsi un coup d’oeil derrière moi. Cette même chevelure, à plusieurs mètres. Un jeune homme, semblant chercher quelque chose. Ou quelqu’un.

Je maintins mon allure, tournant sur la droite dans une petite ruelle. Mes mains s’activèrent et j’en appelais ma petite science afin de me rendre invisible. Mon dos collé au mur, je vis le jeune homme s’arrêter dans la ruelle, pris au dépourvu. J’en profitais pour me placer derrière lui et réapparus en même temps que mon katana sortit de mon fourreau. La pointe au milieu de son dos, en plein sur sa colonne vertébrale, je le tenais en joue.

« Qui t’envoie ?* »

Ma voix s’était faite avec fermeté, bien que je ne savais pas s’il parlait le shu. Mes yeux se plissèrent et ma tête se pencha légèrement sur le côté, le détaillant. C’était un enfant, je doutais que ça soit une ruse de la famille royale. Et je n’avais tué personne récemment pour qu’on cherche à m’entourlouper avec un gamin. Dès qu’il baragouina quelques mots, je lui parlais en ravkan afin qu’il comprenne ce que je lui disais.

« Dis-moi qui t’envoie.** »

Je ne laissais place à aucun doute : c’était un ordre. Il était hors de question qu’il ne me réponde pas, tout comme il était évident que sa réponse allait déterminer si j’allais lui faire manger le sol ou pas.

Harassé par la chaleur du soleil, je sentais les gouttes de sueur glisser le long de mon dos et je détestais ça. Je regrettais ma tenue sombre, malgré le lin pourtant respirant. J’allais devoir me relaver les cheveux à cause de la poussière, le plus rapidement possible. Le voyage avait invité la crasse dans mes cheveux, malmenés par le vent et les intempéries. Je peinais à trouvais des endroits qui me permettaient de tenir une hygiène irréprochable. J’étais de ceux qui s’étaient habitués à un confort au-dessus de leurs moyens. Mais je trouvais toujours une solution. Toujours.

Un bruissement d’ailes contre mon flanc m’indiqua que Ola se retournait dans ma besace. Il n’était pas encore l’heure pour mon hibou d’être actif et il profitait d’une place de choix pendant que je marchais. Nous étions un bon binôme quand on y pensait. Il montait la garde la nuit, et moi le jour. Il allait me manquer le jour où il déciderait de fonder sa propre famille. Par chance pour moi, il n’avait pas encore trouvé la femelle de ses rêves. Je soupirais de résignation lorsque je passais les portes de la ville. Les rues grouillaient de monde, et je cherchais une personne dont la description était somme toute banale. Un grand brun aux yeux brun, typé Shu, probablement armé, avec une prestance princière et pour particularité, une grande beauté. Papa m’a même dessiné un portrait. Impossible de dire si c’était vraiment ressemblant, car peu de personne m’affirmaient l’avoir croisé lors de mes recherches.

Cela faisait des semaines que j’étais sur les routes, à parcourir les villes, les villages, à questionner tout en essayant de ne pas avoir l’air louche. Mais c’était chose difficile quand on avait mes cheveux et mes yeux. J’étais en colère contre mon père aussi, qu’il m’envoie rechercher son ancien disciple, espérant qu’il m’apprenne ce que lui n’a pas pu. Comme si ce disciple dont il m’avait tant rebattu les oreilles allait pouvoir faire quelque chose pour m’aider ! Je riais d’avance ! On verra bien qui cèderait le premier, j'espérais même presque qu'il ne veuille pas de moi.

J’avais fini par  me décider à chercher sur sa terre natale. Me disant, que peut-être, il avait cédé au besoin de renouer avec ses origines. Je n’en savais rien à vrai dire. Mon père l’encensait et pourtant il ne laissait guère filtrer d’informations utiles. Je le soupçonnais même de déjà savoir où il se trouvait et de me laisser chercher comme un idiot, parce que ça fait soit-disant partie de mon éducation. J’en étais presque jaloux, de ce Akihiko, j’avais l’impression qu’il l’aurait préféré comme fils. La lettre qui lui était destinée attisait ma curiosité, mais il m'avait interdit de l'ouvrir.

Tu ne comprendrais pas de toute façon, c'est écrit en Shu.

Pff. Évidemment.

Devant un stand de bijoux, une grande silhouette se détacha des autres par son aura particulière. Mon cœur accéléra, je sentis que je touchais au but. Je n’avais aucune idée de pourquoi, mais j’en avais la certitude. Fébrile, mon pas se fit plus rapide en direction du marchand, mais alors que j’arrivais à la hauteur de ce dernier, ma cible s’était déjà remise en mouvement. Je jurais entre mes dents, mais je restais calme, je ne voulais pas déranger Ola dans son sommeil par des mouvements brusques. Il était habile le bougre, il serpentait entre les passants avec fluidité. Et puis j’étais incapable de leur demander de se pousser, poliment, puisque je ne parlais pas un mot de Shu. Cela allait être particulièrement drôle lorsqu’il faudrait communiquer avec mon « mentor ». J’espérais qu’il parlait le ravkan. J’expirais un grand coup et me concentrais sur sur l’homme que je suivais. Rapidement, il disparut dans une petite ruelle où je me précipitais alors.

Mes yeux parcourant l’espace, les sourcils froncés, je regardais même en hauteur. Il ne pouvait pas avoir disparût aussi facilement. Je m’apprêtais à me retourner pour revenir sur mes pas et explorer la minuscule ruelle annexe lorsque j’entendis le tintement d’une lame et sa prise dans l'air ambiant avant de sentir sa pointe se ficher dans mon dos, collant mes vêtements à ma peau humide de manière désagréable. Un long frisson me parcourut, de malaise, mais je ne montrais rien, les oreilles aux aguets, je ne bougeais pas. J’étais persuadé que ma cible était derrière moi, même si les rôles étaient inversés. J’aurais pu être content, mais j’entendais encore mon père me dire que ce voyage serait l’occasion de prendre mon indépendance.

Tu vas découvrir de nouvelles cultures ! Qu’il disait.

J’étais tenu en joug par un sombre inconnu en attendant. Je haussais les épaules lorsque je l’entendis parler dans une langue que je ne compris pas. Levant les bras en l’air, de chaque côté, je me tenais pourtant prêt à dégainer ma propre épée.

« Va falloir parler en ravkan pour se comprendre, sinon ça va être compliqué. »

Et comme par magie, il répéta, avec le même ton. Peut-être plus férocement encore. Par pur esprit de contradiction, je n’avais pas envie de céder à son ordre aussi facilement. Je tournais alors légèrement la tête pour essayer de l’apercevoir et je glissais.

« Mon père. »

Peut-être avais-je eu un léger sourire en coin. Mais je repris mon expression boudeuse et je tournais à nouveau la tête devant moi, sans bouger. J’attendis qu’il réagisse. Il allait forcément exiger des précisions. Mais maintenant que je savais qu’il ne me tuerait pas sur le coup, je ne pouvais m’empêcher d’avoir envie de me faire désirer. Chacun son tour.

À peine avait-il ouvert la bouche qu’il m’agaçait déjà. Et pourtant, il était rare que ça soit aussi rapide ! Je me retins de faire un bruit exprimant mon agacement. Il n’avait pas bougé d’un iota. Je me trouvais toujours dans son dos, ma lame de katana prête à faire couler le sang. Il n’y avait aucune chance pour qu’il le voit - mais il pouvait très bien l’entendre.

Je captais son regard lorsqu’il osa tourner son visage vers le mien. Je saisis son air provocateur et mon regard se plissa. Quelle témérité ! Ou quelle stupidité - mon cœur balançait.

« Et qui est ton père exactement ? »

Il ne ressemblait à aucun homme que j’avais connu. Cette couleur de cheveux semblait venir d’ailleurs, elle semblait même irréelle, sans pour autant gâcher son charme de jeunot. Sa peau était blanche, bien que parfois sale sur certains endroits et je crus apercevoir un regard d’un bleu malicieux. S’il avait à peine la vingtaine, c’était le bout du monde.
L’âge d’un fils que je ne connaissais pas…

« Comment s’appelle-t-il ? »

Je sentais qu’il allait mettre ma patience à rude épreuve. J’osais un coup d'œil rapide derrière moi : personne ne faisait attention à nous. La ruelle était à moitié cachée par deux étales, rien de bien surprenant. Nous ne faisions aucune vague - pour le moment - donc pas de regard indiscret.
Soudainement, je retirais ma lame de son dos et posais ma main sur son épaule. D’un mouvement vif et précis, je le poussais contre le mur sur la droite et replaçais mon katana entre nous, le tenant en joue.

« Ça serait vraiment dommage que je te blesse, mais si tu fais quoi que ce soit qui me laisse entendre que tu veux me combattre, sache que je n’hésiterai pas une seconde. »

Affirmer que je n’étais nullement inquiet de mon sort serait mentir. Mais j’avais appris, au cours des nombreux voyages avec mon père, que plus on était calme face à l’assaillant, plus on s’ouvrait des portes de sortie. Je tablais beaucoup sur la curiosité d’autrui, je devais l’admettre. Mais si c’était un gars aussi intelligent que le disais mon père, alors, j’avais la possibilité de parler avec lui avant de sérieusement avoir la vie en danger. La pointe de la lame dans mon dos me démangeait, j’espérais qu’elle ne troue pas mes vêtements, je n’avais pas vraiment d’argent pour m’acheter une nouvelle tenue. A manger tous les jours, et où dormir, c’était déjà du luxe. Je vérifiais d’un coup d’œil qu’Ola ne bougeait pas, ce n’était pas le moment de faire un mouvement brusque.

L’agacement que je distinguais dans la voix de mon interlocuteur me fit jubiler, je devais l’avouer, mais je savais aussi que je jouais un jeu dangereux. Le temps que je me demande si j’allais directement balancer le prénom de mon père et lui fourrer la lettre que je ne pouvais pas lire entre les mains, je sentis la lame disparaître et une poigne ferme m’attraper l’épaule. En un rien de temps, je me retrouvais plaqué au mur, mes bras ayant un geste protecteur envers mon sac alors que mon dos tapait brutalement dans la pierre derrière moi. Je grimaçais sous la douleur soudaine avant de m’émouvoir de la beauté de ce visage menaçant qui s’éloigna presque aussitôt.

« Il n'avait pas menti. Vous sortez de l’ordinaire. »

J’étais à présent certain que j’avais l’homme que je recherchais en face de moi. Je souris légèrement malgré la situation. Le katana était pointé sur moi, pas sur Ola, alors, ça allait. Il me menaça encore une fois. Malgré l’adrénaline, mon sourire s’élargit.

« Milàn. »

Mon cœur battait à tout rompre, mais je ne me laissais pas démonter pour autant. D’un geste lent, j’attrapais la lame entre le pouce et l’index pour l’éloigner de moi.

« Vous permettez ? J’ai une lettre pour vous de sa part. Mais elle est exactement là où vous pointez votre superbe lame. »

Rester calme. A tout prix. Je guettais son expression et attendis son autorisation définitive avant de faire le moindre mouvement supplémentaire.

Je plissais le regard, suspicieux. Si je notais le compliment dans un coin de mon esprit, mon ego se gonflant comme un ballon de baudruche, j’étais bien curieux de la description que l’on avait bien pu faire sur ma personne. En quoi pensait-il que je sortais de l’ordinaire ? Était-ce simplement ma beauté ?
Mon regard s’agrandit légèrement en entendant le prénom de mon mentor. Je ne remarquais même pas que mes lèvres s’entrouvrirent sous le choc. Milàn avait donc un fils ? Était-ce le seul ? Il était parti comme un voleur, sans aucune explication. J’avais la sensation d’entendre un fantôme, de revivre en accéléré des souvenirs qui remontaient tellement loin qu’ils étaient en partie flous.

Je ne prononçais pas le moindre mot. Ses doigts attrapèrent la lame de mon arme et d’un mouvement habile, je la dégageais de sa prise. Du plat de la lame, je lui frappais les phalanges comme un professeur réprimanderait un élève.

« Non, je ne te permets pas. »

J’avançais d’un pas, me collant presque à lui. Nos torses étaient proches, nos visages à quelques centimètres. Mon regard était loin d’être dur, mais il était loin d’être amical. Je voulais lui imposer le respect et le calme, apaiser cette témérité qui me donnait envie de lui apprendre à tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de prononcer le moindre mot. Sans aucune gène, ma main glissa dans ses vêtements, attrapant un morceau de papier.

Je m’éloignais de lui, mon katana toujours entre nous, mais la lame baissée. Une position moins défensive, mais il ne fallait pas se fier aux apparences. En moins de deux secondes, je pouvais contre une attaque de sa part.
Mes yeux se baissèrent sur l’enveloppe et je reconnus l’écriture de mon mentor. Je la descellais et la lus. Je ne pus retenir mon visage de s’ouvrir en un sourire en coin, le regard plus détendu, imaginant sans peine la voix de cet homme qui m’avait tout appris. Je repliais le morceau de papier, mon regard se tournant vers le gamin en face de moi.

« Quel culot… »

Je parlais plutôt en pensant au père qu’à lui, mais qu’importe. Il me demandait de l’aider pour sa progéniture après autant de siècles, sans même venir lui-même ! Il ne manquait vraiment pas d’air ! Ni même de considération. Cependant, cela pouvait expliquer le comportement de son fils.

« Je ne vois vraiment pas pourquoi je t’aiderais. Même si ton père était mon mentor. »

D’un mouvement fluide et maîtrisé, je rangeais mon katana dans son fourreau. Il n’était clairement pas mon ennemi.

De manière générale, ça m’amusait énormément de chercher les limites des gens, mais là, avec le disciple de mon père, ça avait quelque chose de plus savoureux encore. Peut-être parce que je me plaçais dans une certaine rivalité avec lui. J’étais jaloux de tous les compliments qu’il lui faisait devant moi. Je voulais voir en quoi il était si exceptionnel. Pour le moment, en dehors de cette impressionnante aura, je ne comprenais pas encore tout à fait en quoi il pourrait m’aider. Le prénom de mon père eut un effet plus fort que je ne l’aurais crû. Je voulus en profiter pour me dégager de son joug mais il me frappa la main.

La douleur lancinante mais brève qui se propagea dans mes doigts me fit pousser un juron entre mes dents. Je lui lançais un regard noir.

« Je ne vous trouve pas très poli. »

Je dû le reconnaître, je perdis mes moyens alors qu’il s’avança vers moi, tout près. Nous faisions presque la même taille, plus ou moins. Je ne me défendis pas alors qu’il fourra sa main dans mes vêtements pour dégoter la lettre, absorbé par ce visage sans aucune autre émotion que l’agacement. Je me renfrognais alors qu’il s’éloignait pour en parcourir le contenu.

« Vraiment pas poli. Vous tripotez souvent les inconnus comme ça ? »

Mais il ne m’écoutait pas, occupé à lire la lettre, un sourire aux lèvres. Je levais les yeux au ciel et croisais les bras en attendant qu’il daigne reporter son attention sur moi. J’ouvris la bouche, outré alors qu’il parlait de culot.

« Parce que vous croyez que j’ai envie que vous m’aidiez ? C’est la condition pour que mon père accepte que je revienne… Mais je ne pensais pas que son incroyable disciple excellent dans toutes les disciplines allait abandonner aussi vite ! »

Maintenant qu’il avait rangé son arme, je me sentais pousser des aile. Je décroisais les bras et le pointait de mon index. Accusateur.

« Vous n’avez qu’à lui répondre par courrier que vous êtes incapable de m’aider comme ça je pourrais rentrer et reprendre tranquillement le cours de ma vie ! »

Mon père m'avait prévenu qu'il risquait d'être difficile à convaincre. Je ne comptais pas réellement abandonner, mais j'espérais toucher son égo.

Je penchais légèrement la tête sur le côté, analysant ses gestes, son visage, sa réaction. Si je pouvais lui trouver un côté amusant, il était bien vite remplacé par un côté agaçant.

« Dixit la personne qui jure. »

Je ne faisais plus partie des hautes sphères, mais s’il y avait bien une chose que je n’avais pas pu me détacher au fil des siècles, c’était le langage. Les rares fois où un juron était sorti de ma bouche étaient durant une bataille - chose qui remontait à ma jeunesse. J’étais resté vindicatif et violent, mais dans mes actes, pas en parole. J’agissais avant tout.
Ce fut pour cette raison que je me rapprochais de lui, peut-être trop, peut-être dangereusement. Ce fut court, mais suffisamment long pour que je remarque son corps se crisper. Je m’éloignais afin de lire la missive, grimaçant légèrement en entendant son commentaire.

« Quel âge as-tu ? Range tes hormones, je t’ai à peine frôlé. »

Avant même d’ouvrir le morceau de papier, mes yeux restèrent quelques secondes sur le cachet et je sus que c’était bien Milàn. Que j’avais donc bien son fils en face de moi. Je me demandais si c’était pour lui qu’il était parti ainsi, avant de me souvenir qu’il y avait peu de chances. C’était il y a si longtemps… Arkadiusz maîtriserait déjà sa petite science.
Pliant la lettre pour la garder, j’observais le jeune homme s'injurier. Je ne fis aucun commentaire, restant parfaitement droit et calme. Ce n’était qu’une façade : intérieurement, je comprenais Milàn et la leçon qu’il était en train de donner à son fils. Il semblerait que ce dernier ne la saisisse pas. Je haussais les sourcils face à son doigt accusateur sans même être touché par ses mots.

« Non. »

Je n’avais pas de temps à perdre à faire une lettre pour un mentor qui n’avait pas pris la peine de le faire pour moi. Il osait me demander de l’aide, alors que j’avais eu tellement besoin de lui ! De plus, je ne voyais pas comment je pouvais aider son fils alors que ce que j’avais appris venait de ses enseignements. C’était grâce à lui que j’avais commencé à maîtriser ma petite science. Si mon mentor ne pouvait rien faire pour son enfant, que pouvais-je donc faire de plus ? Rien.

« Sais-tu seulement pourquoi dois-tu maîtriser ta petite science, Arkadiusz ? »

Parce que j’étais persuadé qu’il n’en avait pas la moindre idée.

« Mon petit juron n’est rien comparé à votre attaque injustifiée. »

J’étais on ne peut plus agacé de voir qu’il me prenait de haut. C’était d’autant plus énervant que même si je le savais vieux, sans pour autant avoir son âge exact, il avait des traits aussi jeunes que les miens. Je me retrouvais en proie à sa présence contre de moi, de manière brève mais suffisamment intense pour me faire poser des tas de questions et me surprendre. Pourtant, j’étais bien préparé en cas d’attaque. Si je ne savais pas manipuler ma petite science, j’excellais au combat. Mais là, j’étais...pris au dépourvu. Mais admettre que j’étais soufflé par son aura était lui accorder trop d’importance. Je ne mis pas longtemps à sortir les griffes lorsqu’il ne fut plus dans mon espace vital.

« Si vous me traitez de gamin, devrais-je vous traiter d’ancêtre sans manières ? »

Ce n’était pas ce que j’appelais frôler. J’ai pu sentir la chaleur de sa main, j’ai même pu sentir le parfum qu’il portait. Et je crois bien que je détestais le fait qu’il se soit incrusté dans mes narines. Il refusa sans prendre le temps de la réflexion de me rédiger un message pour mon père. Je croisais les bras sur ma poitrine à nouveau.

« Je ne sais pas quelle était votre relation, mais s’il m’a envoyé vers vous, c’est qu’il doit avoir une bonne raison. Si je ne lui apporte pas une preuve écrite, il me renverra sur les routes... Urgh et puis je ne sais pas pourquoi je vous dis ça, de toute façon ce n’est pas comme si vous alliez en avoir quelque chose à faire évidemment ! »

Sa question tomba comme une attaque pour laquelle je n’avais pas de bouclier. Non pas à cause du contenu de la question mais bien parce qu’il prononçait mon prénom alors que je ne m’étais pas présenté. Mon père l'avait sans doute inscrit dans sa lettre. Je pinçais les lèvres et fronçais les sourcils. La réponse qu'il attendait me semblait évidente.

« A quoi ça sert d’avoir ce pouvoir si je ne sais pas m’en servir, Akihiko ? »

Et j’avais cruellement besoin de comprendre pourquoi un grand mentor comme mon père était incapable de m’enseigner ça. Je mesurais la tension de cette situation. Là dans cette ruelle avec mon seul espoir de pouvoir apprendre à maîtriser le feu pouvant partir à tout moment. Et par tous les Sankts, si je le perds, il est fort probable que je n’arrive pas à le retrouver. Je pris sur moi, serrant les dents, le regard aussi poli que possible.

« Aidez-moi. S’il vous plaît.»

J'ajoutais prestement avant qu'il ne puisse encore refuser, le visage aussi respectueux que possible.

« Si mon père m’a envoyé vers vous, c’est que vous savez des choses qu’il ne sait pas. Et, je pourrais peut-être me montrer utile pour vous. »

Il n’y avait que quelqu’un qui n’avait jamais été traqué de sa vie pour parler d’attaque injustifiée. Je l’enviais autant que je le détestais d’être si innocent. Et j’avais également de la peine pour ce garçon qui allait connaître des heures sombres. Depuis des siècles, les grishas étaient malmenés et dernièrement, c’était encore pire. Ce serait un miracle qu’il ne vive que de doux et charmants moments.

Je le fusillais du regard alors qu’il osait me traiter d'ancêtre. Espèce de petit…
Je me retins par je ne savais quel miracle. En effet, son père me l’avait envoyé et si une petite voix dans ma tête, celle de la vengeance, me susurrait de douces tortures à lui faire subir, la voix de la raison me disait qu’il n’était qu’un gosse. Il n’était pas son père, loin de là. Et pourtant, il pouvait très bien payer pour lui que ça ne me faisait rien - en fait, si, ça me soulagerait.

Et il me posait bien une drôle de question. En effet, être grisha, c’était manipuler la petite science. A quoi cela servait-il d’être différent si on ne maîtrisait pas le pouvoir que l’on avait ?

« Tu ne sais pas t’en servir ou tu ne t’en sers pas comme tu aimerais t’en servir ? »

Il avait manifesté sa petite science, mais elle ne l’obéissait pas. Ou du moins, elle ne faisait pas ce qu’il attendait d’elle. Il y avait certainement une raison derrière cela et si j’étais curieux durant quelques secondes, je préférais mettre cela de côté. Je n’avais pas le temps pour ce genre de choses.

Mes yeux le fixèrent alors qu’il me demandait de l’aide, y mettant toute la politesse dont il pouvait faire preuve. Mon visage restait de marbre, pesant le pour et le contre. En quoi pourrait-il se montrer utile ? Savait-il seulement ce que cela voulait-il dire ? Je me rapprochais de nouveau de lui, gardant une distance respectueuse entre nous.

« Es-tu prêt à m’écouter ? Je ne serais pas tendre parce que ton père était mon mentor, il ne l’a pas été avec moi et je doute qu’il ait pris des pincettes avec son propre fils. »

En dépit des années qui s’étaient écoulées, c’était bien une chose dont j’étais persuadé. Il n’avait jamais été indulgent et je doutais qu’il le soit un jour nonobstant les siècles qui passaient.

« Tout d’abord, je vais t’acheter des vêtements. Il est hors de question que tu portes ça sur le dos. »

Je me détournais de lui, marchant de nouveau vers la grande rue et les différentes étals du marché. Je n’avais aucune idée dans quoi je m’embarquais, ni même à quel point je le regrettais déjà.

Un sentiment se satisfaction me traversa quand je le vis fulminer au mot "ancêtre". J’avais joué avec le feu, c’était le cas de le dire et je m’estimais heureux d’avoir échappé à la mort, mais je sentais que s’il ne m’avait pas encore mis une raclée, c’est qu’il réfléchissait plus loin. Ça le fit automatiquement remonter dans mon estime. Mais je ne regrettais absolument pas d’avoir balancé ma pique. Oh ça non. Si je ne savais pas brûler avec les flammes je tâchais de le faire avec mes mots. Mais j’aurais trouvé ça bête de mourir pour ça, quand même. J’en ai d’autres à balancer, et des belles. Finalement une lueur d’intérêt se pointa dans ses jolis yeux. Il me retourna une question qui me fit réfléchir un instant.

« A priori, je ne sais pas m’en servir. »

La seule chose que je savais, c’était que je ne me brûlais jamais. Mais ça, je ne comptais pas lui dire tout de suite. Pas tant que je n’avais pas son accord, pas tant qu’il ne m’avait pas dit oui. J’insistais, faisant mon possible pour l’amadouer sans pour autant passer pour un hypocrite. En réalité, ma requête était sincère. C’était un challenge que mon père me demandait d’accomplir et je n’avais pas envie de le rater. Pour des tas de raisons. Je pouvais bien vivre sans lui et sans ma Petite Science, j’en étais capable, j’ai voyagé durant des mois, je sais que je peux le faire. Mais voilà. Si je pouvais comprendre ce qui se passe en moi, dépasser mon blocage, ça serait encore mieux. Il repris la parole et j’étais suspendu à ses lèvres. Mon regard s’arrondit de surprise, un rire léger me secoua.

« Non en effet, il est du genre direct et pas de temps à perdre. Devrais-je vous appeler Maître ? »

Je terminais sur un ton joueur, avec un sourire en coin, le regard emplit de défi. Mais je notais qu’il avait accepté, dans le fond. Je ne savais pas ce qui s’était passé entre mon père et lui, mais il avait accepté à demi mots. Puis finalement complètement, puisqu’il voulait que je change de tenue. A ses frais. J’en restais bouche bée, presque offusqué.

« Je...j’ai pas d’argent mais j’suis pas un pouilleux non plus ! »

Pourtant, je le suivis aussitôt qu’il me tourna le dos. Vérifiant qu’Ola allait bien dans le fond de la sacoche, je la caressais du bout des doigts avant de la laisser se rendormir et de trottiner avec légèreté vers Akihiko. Mon visage se tourna vers lui, légèrement ébloui par le soleil.

« Merci. »

C’était un merci emplit de sincérité. J’avais beau jouer les fines bouches, je lui étais vraiment reconnaissant d’avoir dit oui. Dans tous les cas, si ça ne marchait pas, j’aurais réussi une partie de la mission, le reste….était-ce vraiment de ma faute s’il ne voulait pas de moi ou si ça ne fonctionnait pas ? Malgré ça, j’étais curieux de voir s’il pouvait, lui, faire des miracles quand à mon cas.

« J’imagine que vous avez des règles ? Quelles sont-elles ? »

Mon regard le dévisagea avant de se porter sur les étals vers lesquels il me dirigeait. Je suppose qu’il allait m’habiller comme lui. A vrai dire, ça ne me dérangeait pas, j’étais sûr que ça m’irait parfaitement. Un jour, je le rembourserais.

Je manquais de soupirer face à sa réponse. C’était ce que son père disait, je le comprenais ainsi, pas ce qu’il pensait lui. Mais je n’aurais pas plus venant de lui. Il ne comprenait pas, il ne savait pas à quel point la petite science pouvait être vaste et s’exprimer de multiples façons. Je n’arrivais pas à me détacher de cette question : pourquoi son père me l’avait-il envoyé ? Je doutais fortement qu’il n’y pense pas.

« Si tu m’appelles maître, c’est que tu es prêt à être mon esclave. »

Il était hors de question qu’il m’appelle ainsi. J’avais conscience que cela se faisait, naturellement, dans d’autres pays, mais il était inconcevable pour moi que l’on me donne ce titre. Les souvenirs de ma captivité étaient gravés dans ma mémoire au fer rouge. Jamais je ne pourrais oublier ces moments.
Je finis par me détourner de lui, revenant dans l’allée principale où les étales proposaient mille et une couleurs. Je ne me retournais même pas lorsque je l’entendis s’offusquer.

« Si tu n’en es pas un, raison de plus pour changer de vêtements… Et faire un brin de toilette par la même occasion. »

Vivre sur les routes n’était pas le plus propice à une hygiène acceptable. Et ce n’était pas avec un simple sac à dos qu’il avait de quoi se changer. Je me souvins encore des loques que j’avais dû porter durant dix ans à cause de l’entraînement de son père. Moi, un prince, je n’avais pas pu me changer lorsque mon vêtement avait un simple accroc ou pire, un trou.
Mon regard se fit en coin afin de croiser son visage. C’était bien la première fois qu’il était sincère et je me surpris à me dire qu’il pouvait se montrer mignon lorsqu’il le décidait.

« Tu les sauras en temps et en heure. Pour le moment, ne m’appelle pas par mon prénom lorsque nous sommes à l’extérieur. Pour le moment... »

Je me tournais vers lui, l’air sérieux, afin qu’il comprenne bien l’importance - mais j’en doutais. Je ne pouvais pas lui demander de m’appeler par le prénom que les Himitsu connaissaient, ça pourrait le mettre en danger. Et en même temps, s’il m’appelait par mon vrai prénom, ça pouvait également le mettre en danger.

« … Appelle-moi sensei. Cela veut dire professeur. »

Je tournais les talons pour saluer une marchande, lui demandant des tenues pour le jeune homme qui m’accompagnait. Sept tenues devraient faire l’affaire pour le moment, dont deux assez légères pour les entraînements. Inutile d’être trop changé.

« Comment ça votre esclave, faut pas abuser non plus. »

Je marmonnais plus que je ne répliquais. Il fallait dire qu’il avait l’air sacrément sérieux. Il lui était arrivé des choses pas très nettes à cet homme. Et s’il avait la jeunesse sur le faciès, il avait clairement des tas d’années dans le fond du regard. Ça avait suffit à me faire taire. Pour cette fois.

Ma respiration se coupa sous l’offense. Il avait réponse à tout. Et il m’énervait au plus haut point, mais là, il dépassa les bornes lorsqu’il suggéra que je fasse un brin de toilette. Le pire, c’est qu’il avait raison ! J’étais dans un état lamentable aujourd’hui. Je me justifiais inutilement, incapable de garder ma bouche fermée.

« C’est à cause du voyage ! D’habitude je suis toujours propre ! Mes cheveux sont toujours propres ! »

La mine boudeuse, je me renfrognais en le suivant, mais je finis tout de même par le remercier. Ce n’était pas comme si je pouvais vraiment me rebeller. Il avait, malheureusement pour moi, toutes les cartes en main, et si je voulais de son aide, je ne devais pas trop le contredire. Je détestais mon père soudain. C’était l’humiliation la plus totale. Pourtant, lorsque le regard d’Akihiko se reposa sur moi et que je captais une différente façon de m'observer, cela me détendit. Je retrouvais ma verve, en profitant pour essayer d’en savoir plus.

« Faudra pas m’en vouloir si je fais un truc qui ne vous plaît pas alors. Vaut mieux le dire tout suite...  »

Je plantais effrontément mon regard dans le sien.

« ...Sensei. »

Mais je perdis aussitôt ma superbe lorsqu’il demanda littéralement sept tenues. Pas que j'avais compris ce qu'il disait en Shu, mais j'avais vu les tenues s'empiler sur le comptoir. J’en avais deux. Une sur moi et une de rechange dans mon sac. Il allait m’en acheter sept. Mais par tous les Sankts, qui était-il pour avoir autant d’argent ?

« V..vous êtes sûr ? »

Je voyais déjà l’incroyable somme que j’allais devoir rassembler pour le rembourser et je devenais de moins en moins sûr de moi à propos de cette promesse silencieuse. J’avais bien fait de la garder pour moi. Je soupirais. Dans quoi m’étais-je embarqué ? Je remerciais la vendeuse qui me tendais la pile de vêtement enveloppée dans un tissu et m’inclinais poliment en imitant mon professeur, puis je me tournais vers lui, bougon.

« Et où est-ce que je suis supposé faire un brin de toilette ? Dans la fontaine publique ? »

Je raillais parce que j’étais agacé d’avoir été comparé à un pouilleux. Mais j’espérais qu’il me dise pas de faire ma toilette en public. J’étais pudique moi.

Je me retins in extremis de lever les yeux au ciel, le laissant bien dire ce qu’il voulait. J’étais réaliste : son père ne lui aurait jamais permis de se relâcher ainsi. Le chemin qu’il avait dû faire jusqu’ici avait dû être éprouvant et il voyageait léger. Il était donc normal qu’il ait une telle apparence.

« Je te crois. »

Mon ton était plat, sans jugement. Il pouvait bien dire ce qu’il voulait de toute façon, ce n’était pas le cas à l’heure actuelle. Mon regard passa de l’étale de tissus à ce gamin insolent au possible, plantant mon regard dans le sien. Il aimait défier les autres, mais il se trompait lourdement s’il pensait que j’allais lui laisser gagner la moindre bataille.

« Je n’allais certainement pas m’en priver. »

Je demandais sept tenues, choisissant quelques couleurs différentes, mais rien de bien voyant. Je rejetais quelques propositions et acceptais d’autres - ce n’était pas comme si la marchande ne me connaissait pas. Je payais les tenues, m’inclinais et fis signe de tête au jeune homme de prendre le paquet enveloppé.

« Ce ne sont que les premières, je viendrais t’en prendre d’autres à l’occasion. »

Parce que les entraînements allaient être si intenses qu’il valait mieux prévoir. Je me souvenais encore à quel point mes vêtements avaient souffert durant mon adolescence. Je n’allais pas lui faire le même affront. Je tournais les talons, marchais quelques pas à peine avant de me stopper et de me tourner de nouveau vers cet idiot. Était-il seulement sérieux ?

« Ne sois pas ridicule. »

Je lui tournais le dos et repris la route, m’arrêtant à un autre stand pour prendre le nécessaire de toilette - un savon et une serviette. Je ne manquais pas de lui mettre dans les mains, refusant de porter quoi que ce soit.
Nous quittâmes les rues de la ville et prîmes un sentier dans les bambous. Les bruits de la civilisation devenaient de plus en plus lointains jusqu’à ce que ceux de la nature prennent le dessus. Enfin, nous arrivâmes à une petite chute d’eau - quelques mètres à peine - qui formait un petit bassin avant de serpenter entre les bambous.

« Fais un brin de toilette, mais ne traîne pas. »

Je m’installais sur un rocher et attendis patiemment, croisant les bras contre ma poitrine.

« Ah. »

Je ne me voyais pas répondre autre chose. En réalité, je m’étais attendu à ce qu’il réplique par une autre raillerie. Les gens aimaient me charrier sur mon obsession pour les cheveux propres et mon hygiène impeccable au possible dans les conditions où je vivais. Mais là. Il n’y avait rien de plus qu’un constat. Je mis un peu de temps à retrouver contenance mais aussitôt que ce fut fait, je n’hésitais pas à relancer des attaques en douce. Il me plaisait d’autant plus qu’il ne se laissait pas démonter. Il était toujours d’un calme olympien. Mais pour ma part, je ne pouvais pas m’empêcher, il fallait que je teste les limites.

Évidemment, ça ne dura pas longtemps. Il avait réponse à tout, et visiblement les moyens. Je commençais à me demander ce qui allait bien nécessiter autant de vêtements. Mes tenues avaient déjà quelques années et se portaient plutôt bien. Mais voilà qu’il semblait avoir des plans pour moi, à peine avait-il accepté d’être mon mentor. Bien décidé à ne pas me faire du mouron dans mon coin, je ne pu m’empêcher de railler à mon tour. Mais si j’étais ravi qu’il réagisse, j’étais vraiment soulagé qu’il m’accuse de ridicule. Je haussais les épaules l'air innocent lorsqu'il se tourna vers moi et trottinait pour revenir à ses côtés, non sans vérifier que Ola était toujours à son aise.

L’achat suivant, fut, en toute logique, le savon. Akihiko empilait les achats sur mes bras. Je me demandais si, ça avait été des achats pour lui-même, il aurait fait la même chose. Je fronçais les sourcils. J’étais quasiment sûr que oui. Il m’aurait fait porter tout ça sous couvert de soit-disant m’apprendre l’humilité. Il avait vraiment un port princier. Et quelque part, ça m’amusait de l’observer. Son air imperturbable était parfois trahi par ses regards. Ou la manière dont frémissaient ses lèvres quand il était agacé, ou encore, la tension dans son attitude si fière.

Le paysage changea lorsque nous quittâmes le marché, puis la ville. J’avais, à l’allée, pu observer la nature environnante, bien différente de celle dans laquelle j’avais vécu ailleurs. Je me demandais si Ola allait apprécier de rester aussi longtemps ici. Je ne voulais pas qu’il se sente mal. Déjà que le climat était peut-être un peu rude pour lui. Je soupirais un peu, les muscles des bras tendus à force de porter tout ça en plus de mes affaires habituelles, mais je ne bronchais pas. Nous arrivâmes finalement à un endroit idéal pour une toilette à l’abri des regards. Enfin, ça dépendait de lui. Je scrutais ses mouvements. Il allait sûrement me garder à l’œil pour que je me dépêche. Je poussais un léger soupir résigné et déposais toutes mes affaires sur une pierre plate et propre, là dessus, je me défis avec précaution de mon sac en bandoulière.

La tête de Ola fit son apparition presque aussitôt. Curieux, mon hibou tourna son cou sans bouger le corps, pour observer les alentours avant d’estimer qu’il pouvait sortir. Il s’arrêta un instant, le regard fixé, à la fois curieux et méfiant, sur Akihiko.

« Senseï, je vous présente Ola, Ola...on va passer un peu de temps avec de monsieur, c’est un ami, sois gentil. »

Je grattouillais la tête de mon ami à plume avant que ce dernier ne s’envole pour se dégourdir les ailes autour de moi, puis alla se poser quelques part entre les arbres. Je pris une tenue au hasard, d’un bleu sombre, le nécessaire à toilettes et je m’éclipsais en direction de la cascade. Là, je lui tournais le dos pour me déshabiller. Il pouvait bien regarder après tout, je n’avais à rougir de rien. Pas même de mon tatouage recouvrant mon dos d’un hibou aux ailes déployées.

Je plongeais prestement dans le bassin. Pas de temps à perdre avait-il dit.

L’eau froide contrastait avec la chaleur ambiante mais me revigora aussitôt. Je me redressais pour laisser ma tête et mon torse dépasser, ramenant mes cheveux en arrière, un grand sourire aux lèvres.

« Senseï, vous ne vous rafraîchissez pas ? »

Mes yeux se posèrent sur l’oiseau qui sortit de son sac. Je ne fis aucune remarque lorsqu’il fit les présentations, n’affichant même pas une certaine surprise lorsqu’il osa nous présenter comme des amis. C’était présomptueux, mais soit. J’observais l’interaction entre l’animal et Arkadiusz. Il n’était pas évident de dresser un animal, surtout sauvage, mais il semblerait qu’une confiance se soit installée entre eux. L’oiseau vola, détendant ses ailes, avant de se cacher dans les arbres. Ma tête se redressa, suivant les mouvements du hibou.

J’entendis sans voir Ark se déshabiller, mes yeux sur la cime des arbres pour distinguer Ola. Mes oreilles perçurent le bruit distinctif du plongeon. Je retins un sourire étirer mes lèvres : il pouvait se montrer conciliant lorsqu’il le voulait. Et tout était dans cette dernière phrase : lorsqu’il le voulait.

« Je me suis lavé ce matin. »

Je ne bougeais pas d’un iota, ne lui adressant pas un seul regard. Cherchant dans mes poches, je trouvais quelques fruits secs. Me rapprochant du sac d’Arkadiusz, je pris une pierre et les broyais en miettes, espérant qu’Ola viendrait les picorer. Ma tête se tourna vers les arbres où l’hibou s’était caché, mais pas de signe de sa part. Je reculais lentement et retournais à ma place, attendant patiemment qu’il se montre - et que mon nouvel élève termine.

« Quand as-tu mangé pour la dernière fois ? »

Le ventre vide, je pouvais lui dire n’importe quoi qu’il ne retiendrait rien du tout. J’allais devoir jongler entre mes activités à la guilde et lui - et mieux valait que personne ne soit au courant. Je pris une lente inspiration et expirais de la même façon : cet imprévu perturbait mon train-train quotidien. Et je n’aimais pas les imprévus.

« Et je parle d’un vrai repas. »

Je doutais qu’il connaisse la cuisine shu, mais s’il pensait que j’allais m’aligner à ses habitudes alimentaires, il se trompait lourdement. Je n’avais pas eu le choix lorsque j’avais son âge - il n’aurait pas le choix également.

« Nous nous entraînerons ici à partir de demain. »

Si nous pouvions éviter de réduire en cendres ma demeure…

Je levais les yeux au ciel lorsqu’il me répondit et lui tournait ostensiblement le dos. Après tout qu’avais-je espéré ? Qu’on ferait une bataille d’eau ? Probablement. J’étais d’humeur joueuse, comme souvent. Nalini aurait accepté elle. Je soupirais et me lavais aussi rapidement que possible. Mon regard chercha Ola sur les branches alentours, il s’éloignait rarement beaucoup de moi. Je ne le distinguais pas tout de suite, il poussa un hululement comme pour m’aiguiller sur la direction où regarder et je souris de le voir secouer ses ailes avant d’utiliser son bec pour réarranger ses plumes.

La tête de mon hibou se tourna vers Akihiko, j’en fis autant pour comprendre pourquoi. Puis je vis mon nouveau mentor écraser je ne sais quoi avec une pierre. Je fronçais les sourcils avant de comprendre lorsque celui-ci releva la tête pour observer les arbres. Un petit sourire étira mes lèvres. S’il cherchait les bonnes grâces de Ola, c’était plutôt bon signe. Profitant d’une dernière brasse pour me délasser, je me hissais sur la berge, attrapant la serviette que j’avais laissé là pour l’enrouler autour de ma taille et revenir auprès de mon enseignant qui me parlait de repas.

« J’ai mangé ce matin. »

Je croisais alors les bras sur mon torse dégoulinant d’eau lorsqu’il précisa sa question.

« Voyage ou non, je n’ai pas les moyens de m’octroyer des repas à l’auberge tous les jours. Mais je m’arrange pour m’arrêter chez des boulangers, je sais très bien faire le pain, et même des tourtes. »

Peut-être étais-je un peu véhément en prononçant cela. Mais il fallait dire qu’il avait cette façon de me prendre de haut qui était si agaçante que j’avais envie de lui prouver que je n’étais pas aussi inutile et incompétent qu’il le pensait. Ma seule incompétence, et je le déplorais grandement, c’était mon incapacité à maîtriser le feu. Décroisant mes bras, je sentis des plumes me frôler l’épaule et Ola se posa sur mon avant-bras, m’obligeant à garder mon bras tendu. Un doux son s’en suivit et je comprit sans mal. Mon sourire caressa mon ami à plume.

« Tu peux y aller. »

Le hibou quitta son perchoir pour atterrir sur la pierre où se trouvaient les morceaux de fruits secs. Le quittant des yeux, je me penchais pour récupérer ma nouvelle tenue. Enfilant l’espèce de veste, je bataillais avec les ceintures de tissu.

« Raaah comment ça s’attache ce machin ? »

J’avais toujours porté un simple haut et un pantalon sans fioriture, et surtout, rien pour se prendre les pieds dedans. Bien décidé à ne pas demander d’aide, je me contentais de pester dans mon coin, en essayant diverses façons de faire.