Stan || Une aurore boréale disparait-elle réellement ?

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|| La destinée s’écrit dès les premiers pas, de danse. (Années 709 – 719)

L’Aurora Borealis se produisait à Elling lorsque Stanislas est né. Ses parents furent ravis de l’accueillir malgré la dureté du monde qui les entourait, malgré les conditions de vie compliquées, malgré le manque de place et de moyens dans la troupe. Tato, surnommé ainsi car il était le chef et avait le rôle du père de cette grande famille de comédiens, avait accepté la contrainte de voyager avec un enfant et personne d’autre n’avait son mot à dire. Tato sentait que ce gamin devait rester là, avec eux, quoiqu’il arrive. Ce fut pour cela que, trois ans plus tard, lorsque les Druskelles vinrent arrêter les parents de Stan, il fit passer le petit garçon pour le sien, intimant à sa mère de ne rien dire. Il n’y eut pas d’au revoir déchirants. Stanislas dormait à poings fermés lorsque ses géniteurs furent emmenés vers de sombres desseins. Tato devint son père, les autres membres de la troupe des tantes et des oncles de substitution.

Il grandissait bien, habitué au froid, à manger peu, à ne pas se faire remarquer, à aider les plus grands. Il ne se sentait pas privilégié d’être sous la protection du chef. Tato traitait le garçon avec davantage de douceur à cause de son jeune âge, mais ne le faisait pas pour autant passer avant les autres. Mais ça lui allait à Stanislas. Il était heureux, là. Les journées étaient faites de découvertes selon les villes où ils s’arrêtaient, et les soirées, faites de jeux de lumières, de sons, d’histoires. Sa famille racontait les mythes, les légendes Fjerdannes aux gens qui en avaient besoin. Ils gagnaient ce dont ils avaient besoin pour vivre. Avec les années, la troupe gagnait en notoriété.

A sa sixième année, alors qu’ils faisaient un arrêt à Djerholm pour la célèbre fête du printemps fjerdan Hringkälla, Tato l’emmena se promener. Ils croisèrent des musiciens de rue, avec des instruments qu’il n’avait jamais vu, des sons qu’il n’avait jamais entendu, simplement habitué à des bruitages ponctuels pendant les représentations auxquelles on l’avait intégré dans des rôles minimes. Stanislas s’arrêta de marcher, surprenant Tato qui en lâcha sa main. Stanislas se mit à danser, il n’avait jamais dansé, mais, il commença à se mouvoir en rythme. Et c’était beau, c’était captivant, ce petit corps qui saisissait la moindre note pour onduler son corps gracieusement. Tato ne l’interrompit pas. Il eut une révélation. Le fils adoptif était devenu fils prodige. Il allait être à la base de l’idée qui donnerait un second souffle à l’Aurora Borealis.


|| L'âme s'élève avec la grâce des aurores boréales (Années 720- 730)

Du haut des ses onze années, Stanislas montrait à ses aînés les mouvements. Parmi les volontaires, les comédiens se métamorphosèrent en danseurs, les musiciens furent mis à la tâche, les spectacles furent repensés. En se diversifiant dans ses activités, la troupe s’ouvrit de nouvelles portes. Les représentations ne se faisaient plus à l’extérieur, on les accueillait désormais plus volontiers dans les tavernes et les auberges, même dans les grandes salles des nobles, tout le monde voulait voir ce jeune danseur dont on disait qu’il chorégraphiait les plus beaux spectacles. Stanislas utilisait les jeux d’ombres, en projetant celles des danseurs sur une grande toile blanche, hypnotisant le public.

Un jour il poussa la porte des Volkov pour une représentation qui allait complètement changer le cours de sa vie. Il était magnifique dans son art, son corps de jeune homme finement musclé capta le regard de Svetlana, la cadette de la famille qui ne le lâcha plus à tel point que lorsqu’il salua son public, son regard alla directement s’ancrer à celui de l’adolescente. Son coeur manqua un battement et il ne rompit le contact visuel que lorsque Tato lui donna une tape dans le dos pour le féliciter, remerciant les gens pour leur attention.

« Hey ! »
Stanislas sursauta. Il était en train de se changer. Il remit précipitamment se chemise, rougissant sous le regard intense et curieux de la jolie blonde qui venait de l’interpeller, là dans l’encadrement de la porte des coulisses.
« H...hey. »
« Comment tu t’appelles ? »
« St...Stanislas. »
« Svetlana, enchantée Stan. Tu bégaies toujours ou c’est parce que je te fais de l’effet ? »
Elle avait une forte présence, solaire, mais sa malice n’était nullement mauvaise. Elle devait avoir entre quinze et dix-sept ans, et elle était d’une assurance débordante qui coupait la chique au danseur.
« Je.. je...toi. »
Il osait à peine la regarder. Il était rouge. Mais Svetlana n’était pas du genre à attendre qu’on lui donne. Elle prenait. Elle attrapa les mains du jeune homme, plongea son regard dans le sien.
« Je veux que tu m’apprennes à danser comme toi. »
Qu’il dise oui oui non, son sort était scellé.

Il avait dix-sept ans quand il devint professeur particulier pour Svetlana Volkova. A vingt ans, ils étaient un couple de danseurs célèbres. Un an plus tard, ils officialisaient leur relation au sein de la troupe. Tout allait bien, l’Aurora Borealis ne s’était jamais aussi bien porté.


|| Le moindre faux pas et le château de cartes s’écroule (Années 731 - 751)

« Porte-moi plus haut.
-Je ne peux pas, je suis fatigué, on arrête pour aujourd’hui.
-Aller encore une fois Stan, on doit être prêts !
-On est prêts Svet !
-Por-te. Moi. »
Le ton de Svetlana était sans appel. Bas, comme un grondement de la louve qu’elle était. Alors Stanislas obéit et ils recommencèrent le porté. Mais alors qu’il la soulevait, sa main se positionna différemment, en plein sur son ventre plutôt que sous son bassin et elle laissa échapper un cri de panique, agitant les bras. Ils perdirent l’équilibre. La hanche gauche de Stanislas accusa le choc du poids de leurs deux corps et la douleur qui irradia alors ses nerfs lui fit perdre connaissance.

« Il ne pourra plus danser. »
La voix de Tato lui parvint dans les brumes de son cerveau cotonneux. Son corps entier était douloureux, mais pas autant que son cœur en entendant le timbre déçu de son père. C’était comme dire qu’il ne pourrait plus respirer. Il sombra à nouveau, entre fièvre et cauchemars.

A son réveil, il était encore tout engourdi. Il n’était pas dans sa roulotte, il était dans une chambre. Il savait où. Chez les Volkov. La pièce était richement décorée, c’était une des nombreuses chambres d’ami. Il avait l’impression d’avoir des pierres dans l’estomac. Sa bouche était sèche. Il voulu s’asseoir mais la douleur le retint. Il se sentit brisé. Humilié. Plus encore lorsque la porte s’ouvrit sur les parents de Svetlana. La discussion fut brève, loin d’être chaleureuse. Ils étaient en colère, déçus. Ils avaient laissé leur fille faire ce qu’elle voulait, danser, et elle leur était revenue enceinte d’un enfant déjà perdu. Stanislas n’en savait rien. Ils avaient toujours fait attention. Et elle ne lui avait jamais dit qu’elle attendait un enfant. Jamais il n’aurait accepté de danser avec elle, encore moins pour des mouvements aussi dangereux. Les parents Volkov ne voulurent pas de ses explications. Il devait désormais assumer ses actes et épouser Svetlana. Mais épouser la femme qu’il aimait encore, malgré les mensonges n’était pas ce qui le tracassait le plus. Stanislas devait reprendre l’exploitation familiale située à Halmhend et renoncer à l’Aurora Borealis.

Le mariage eut lieu dès qu’il fut capable de marcher à nouveau, s’aidant d’une canne sculptée d’une tête de loup. Lui, le moins que rien maintenant qu’il n’était plus un chorégraphe de renom, devint un Volkov et enterra avec ce nouveau nom, ses rêves. L’enthousiaste gamin était devenu un adulte taciturne. Le bonheur sembla définitivement lui tourner le dos lorsque, remise de sa fausse couche, et sûre qu’elle ne pourrait pas enfanter de nouveau, Svetlana repartit avec la troupe qui les avait réunis. Elle fut leur nouvelle tête d’affiche, avec un nouveau partenaire, s’attribua le rôle de chorégraphe. Vola sans même s’en rendre compte tout ce qu’avait bâti Stanislas depuis son plus jeune âge.

Les années s’écoulèrent rythmées par les profits excellents de l’exploitation d’absinthe des Volkov. Sans réellement s’en rendre compte, grâce à sa Petite Science, Stanislas créait une boisson parfaite. Les clients attribuaient même des vertus médicinales à cet alcool. Car même si l’espoir de danser à nouveau s’était éteint lorsqu’il avait compris qu’il ne pouvait pas marcher sans l’aide d’une canne, cela ne l’empêchait pas de travailler avec application. Il avait appris à apprécier sa solitude, lui qui avait toujours été tellement entouré, dans le bruit des coulisses et les clameurs de la scène. Il avait trouvé une forme de paix, à observer les plantes pousser, à observer le ciel changer, sachant qu’il allait pleuvoir à la densité de l’air avant même que sa hanche ne le lui rappelle. Il attendait patiemment que Djel lui montre un autre chemin.