L'histoire de Zero étant
très longue (je me suis imprégnée comme jamais du personnage), je peux totalement comprendre que vous n'ayez pas envie de la lire entièrement.
Je vous propose donc un résumé
en spoiler pour découvrir les événements clés du personnage. Bonne lecture ~
- Résumé de l'histoire de Zero Barkov:
- Né d’un père militaire, il débute très jeune sa formation en allant chasser avec lui.
- Sa mère meurt alors qu’il est très jeune. Lorsque son père part en mission, ce sont ses grands-parents maternels qui s’occupent de lui.
- Il fait la connaissance de Pietro lorsqu’il a 10 ans. Ils deviennent meilleurs amis.
- À 16 ans, il entre dans l’armée de Fjerda. Cette même année, son père décède des suites d’une blessure qu’il a subi lors d’un combat avec un Grisha. Zero découvre alors qu’il « sent » le pouvoir des Grisha. Il en fait part à Pietro et il s’entraîne pour développer ce don.
- À 18 ans, il rejoint les rangs des Drüskelles. Pietro le suit.
- Lors de la fête de Hringkälla, il rencontre Magdaléna. Il l’épouse un an plus tard, à 19 ans. L’année suivante, ils ont une petite fille, prénommée Nina.
- Bien que ce soit une enfant, Zero fait découvrir la nature à sa fille. Ils font de longues promenades ensemble et il commence à lui apprendre la botanique ou à repérer les animaux.
- Il a 28 ans lorsqu’il découvre sa femme et sa fille tuées. Il sent que c’est l'œuvre d’un Grisha. Il croise le chemin de Svani, un nouveau Drüskelle, sentant qu’il a des pouvoirs de Grisha. Il le laisse en vie.
- 6 mois plus tard, Pietro et Zero retrouvent la trace du Grisha. Zero apprend que c’est la vengeance qui a poussé le Grisha à tuer sa famille. Il la tue… mais elle a le temps de tuer Pietro. S’en suit un carnage à Sikursk.
- Zero retourne en Fjerda, dans les rangs des Drüskelles, mais il a radicalement changé. Il obéit de moins en moins aux ordres et il tue sans aucun état d’âme les Grisha qui osent croiser sa route. Il est révoqué de l’armée lors de sa trentième année.
- Il erre sur les routes, vendant ses services de chasseurs pour survivre.
- Il croise la route de Ludwig, propriétaire d’un monastère à quelques heures de Keramzin. Ils forment la guilde Okhotnik.
Histoire complèteMes parents n’étaient pas des personnes importantes au village. Mon père était militaire, comme son père avant lui, et ma mère était fille de pêcheurs - qui étaient anciennement des militaires. Rien qui sorte de l’ordinaire pour l’instant.
Je naquis au début du printemps, alors que l'hiver se retirait progressivement. Le temps ne changeait pas beaucoup à Fjerda, froid, neigeux, même le soleil avait du mal à faire fondre la neige par moment. Surtout dans notre petit village, non loin de Djerholm. Peut-être était-ce pour cette raison que ma mère eut du mal à se remettre de son accouchement ? Cela restera un mystère. Elle nous quitta alors que je tenais enfin sur mes jambes. Je n’en ai qu’un vague souvenir aujourd’hui, mais je savais qu’elle avait un humour qui ne faisait rire qu’elle et que c’était l’une des choses qui avait conquis le cœur de mon père.
Je restais chez mes grands-parents, trop jeune pour rester seul à la maison et encore plus pour avoir une fonction dans l’armée. Je les aidais à la pêche, j’appris à chasser et à reconnaître certaines plantes, mais je n’avais qu’un seul désir : rejoindre mon père chez les militaires. J'ai dû attendre jusqu’à mon dixième anniversaire pour débuter mon entraînement avec lui.
« Tu le vois. Maintenant, fais tout pour qu’il ne te voie pas. »J’écoutais avec attention les instructions murmurées de mon père. Nous étions à la chasse et un cerf se trouvait à une centaine de mètres de nous. Les bosquets et les épais troncs d’arbres nous couvraient. La légère brise était en notre faveur. Toutes les conditions étaient réunies pour que je puisse atteindre ma proie. Mon regard était fixé sur l’animal, attendant qu’il tourne légèrement sa tête pour que je puisse m’approcher. Il le fit, cherchant certainement à manger sur le sol, se déplaçant lentement. Ce fut mon signal : je bougeais, tentant de réduire la distance, mais je ne fis pas attention à ce que j’avais sous les pieds et une branche craqua. Le cerf prit peur et s’enfuit immédiatement. Je me redressais, observant disparaître ma proie, déçu de moi-même. Avant même que je fasse un mouvement pour rejoindre mon père, je me pris une claque derrière la tête. Il était venu à moi et je ne l’avais même pas entendu.
« Avoir sa proie en visuel est important, mais ne néglige pas ton environnement. Au lieu d’une branche, ça aurait pu être un piège. Au lieu d’une tape sur la tête, ça aurait pu être une lame. Reste en alerte, tout le temps. »J’acquiesçai simplement avant de sortir une dague de son fourreau, coincé sur ma cuisse droite. Mon regard observa la lame briller au soleil avant de se tourner vers mon père.
« Ne sois pas pressé de t’en servir, Zero. Tu le feras peut-être plus tôt que tu ne le penses et parfois même, tu devras t’en servir pour survivre et non par choix. »« Zero Barkov ! »Un grand sourire barra mon visage alors que je fis une accolade à mon camarade Pietro. J’étais enfin dans les rangs des militaires. J’étais enfin soldat ! Je venais tout juste d’avoir seize ans, comme mon père avant moi, et j’allais pouvoir revêtir l’uniforme de l’armée de Fjerda. Alors que je prenais l'uniforme que l’on me tendait, je cherchais parmi le camp mon père, pensant qu’il aurait assisté à mon entrée dans l’armée. Il brillait par son absence, mais j’imaginais qu’il devait être en mission.
J’attendis Pietro, lui aussi soldat désormais, pour qu’on se dirige vers la tente pour se changer. Nous nous sommes connus durant nos années d’entraînements. Nos regards s’étaient croisés, nous ne savions pas si nous devions nous faire un signe ou quoi que ce soit. Deux empotés. Ça avait duré un moment, quelques semaines. Un jour, j’étais parti à la chasse, voulant attraper un lapin. Mon chemin avait croisé le sien et la première chose que je lui avais dite, je l’avais hurlé. Il avait dans la main des baies non-comestibles et en deux enjambées, je lui fis sauter toutes les baies de sa main au sol, le pressant de me dire s’il en avait mangé une - heureusement, ce n’était pas le cas. J’en ai oublié mon lapin, mais je me suis fait un ami. Nous sommes devenus de plus en plus inséparables depuis ce jour.
Six mois. Une demie année durant laquelle je portais l’uniforme militaire et je venais de terminer ma première mission. Elle n’a pas été si longue.
Avec mon bataillon, nous nous sommes entraînés quelques semaines pour apprendre à se coordonner, à pallier les faiblesses des uns et des autres pour être efficaces sur le terrain. J’étais doué pour suivre les pistes et pour me faire discret. Je pouvais ainsi couvrir les arrières de mes compagnons d’armes ou me rapprocher d’une cible.
L’heure était à la fête. Nous étions autour d’un feu de camp, la bière débordait presque de nos pintes et nos rires couvraient le crépitement du feu. Nous étions quasiment tous du même âge, à trois ou quatre années près.
Cependant, la fête fut de courte durée pour moi.
« Barkov ? »Je bus ma gorgée de bière, mon sourire toujours présent sur le visage, mais ma tête se tournant vers l’officier qui venait de m'interpeller.
« Veuillez me suivre s’il vous plaît.
- Pourquoi ? répondit Pietro avant moi.
On a fait notre rapport de mission et tout s’est bien passé.
- Ça n'a rien à voir avec votre mission, soldat. Barkov, vous êtes demandé sur-le-champ. »Je posais ma pinte et me levais, intrigué par cette soudaine convocation. Je fis quelques pas vers le soldat avant de me tourner vers mon meilleur ami et mon bataillon.
« Ne prenez pas trop d’avance, les gars, déclarai-je avec un sourire en coin tandis que les ricanements et les non-promesses fusèrent.
»Je suivis l’officier jusqu’à la tente du général. Elle était plus grande que les autres, un bureau encombrant une bonne partie, ainsi qu’une table et plusieurs chaises. L’officier salua et quitta la tente, me laissant seul avec le général qui signa sa feuille avant de poser sa plume et de lever le regard vers moi. Je me mis au garde-à-vous et il m’ordonna le repos.
« Soldat, je suis content que votre première mission se soit bien déroulée. Et je vous en félicite.
- Merci, Monsieur.
- Je suis cependant porteur d’une mauvaise nouvelle et croyez-moi, je suis sincèrement désolé de gâcher votre fête. »Je fronçais légèrement les sourcils, un azimut de questions assaillant mon crâne. Avais-je mal rempli un rapport ? M’étais-je trompé dans la chronologie ? Avais-je oublié un détail ? Non, rien de tout cela. Ça devait être autre chose pour que le général lui-même veuille me parler. Mais je n’étais pas prêt…
« L’escadron de votre père est rentré il y a une heure. Votre père a été blessé durant la bataille par un Grisha et il est mort des suites de sa blessure… »Le reste de sa phrase mourut. Mes oreilles se bouchèrent, sifflantes, tandis que j’observais les lèvres de mon général bouger, mais je ne captais aucun autre son que le silence de cette vérité.
Je ne savais pas trop comment, mais je me retrouvais face à son corps, la couleur de sa peau ayant déjà tourné. Je tombais à genoux et m’effrondrais. Les larmes et les cris quittèrent mon corps, corps qui était sur celui inerte de mon père. Quelque chose en moi se brisa, je ne saurais pas vraiment le définir, ni même le décrire avec précision. Néanmoins, lorsque mes larmes se tarirent, je ressentis une sorte de picotement au bout de mes doigts. Ma main gauche était posée à l’endroit même de sa blessure. Je soulevais le drap, découvrant la plaie mortelle. Il y avait quelques échardes qui dépassaient, sûrement un morceau d’arbre. Je passais ma main au-dessus, à quelques millimètres à peine, tournant autour, allant et venant au-dessus de son ventre. Je ressentais quelque chose. Une sorte de force. Une sorte d’énergie. Je ne savais pas comment l’expliquer, mais l’idée qu’un
Hurleur soit à l’origine de la mort de mon père était une certitude. Mais comment ? Pourquoi ? Cette idée insensée tournait en boucle dans ma tête. Il fallait que je trouve quelqu’un et c’est ce que je fis.
« C’est un Hurleur qui a tué mon père ? demandais-je à l’un des soldats de son unité.
- Oui… Il s’est fait projeté dans les airs, répondit-il surpris.
»Il me posa une autre question, mais je partis, ne l’écoutant pas.
L’enterrement se déroula classiquement. Son corps fut enterré aux pieds d’un frêne, priant pour que son âme trouve la paix. La mienne était déjà en train d’être consumée par la vengeance.
Depuis cette nuit-là, je commençais doucement à changer. Je me renfermais. Pietro s’en était plus rendu compte que les autres, il me connaissait depuis plus longtemps, je ne pouvais pas faire semblant devant lui. Et je savais que je pouvais avoir confiance en lui. Il était comme un frère pour moi. Je savais que je pouvais lui confier n’importe quoi, il n’en dirait pas un mot à quiconque. Il était donc temps de lui dire ce qui me faisait perdre le sommeil.
Nous quittâmes Fjerda à l’aube pour nous enfoncer dans la forêt. Nous la connaissions depuis des années, nous savions où nous serions tranquilles sans que personne ne nous trouve, ne nous dérange, ne nous écoute. Nous marchâmes pendant trois heures avant de nous installer pour discuter. Personne ne nous avait suivis, nous avions bien pris soin de couvrir nos traces et de surveiller nos arrières.
« Bon, qu’est-ce qu’il t’arrive Zero ? demanda Pietro après avoir bu une gorgée d’eau.
Je sais que ce n’est pas que la mort de ton père, quelque chose d’autre tourne dans ta tête. »Et il avait raison. Je lui racontais alors ce que j’avais perçu. La sensation. Mon instinct. Quelque chose qui me disait que c’était un
Hurleur. Comme une marque invisible. Je lui racontais que j’avais eu la confirmation de cette idée complètement dingue et que je ne savais pas quoi en faire.
« Mais… Comment… ?
- Je n’en sais rien, soufflai-je complètement largué.
- Zero, tu n’es pas un Grisha...
- Il manquerait plus que ça ! m’étranglai-je en lui lançant un regard dur.
- Il doit bien y avoir une explication pourtant. »Oui, sûrement. Mais je n’en avais aucune.
« Mais... est-ce que c’est vraiment important de savoir comment tu as fait pour deviner quel Grisha a tué ton père ? »Je tournai ma tête vers lui, ne sachant pas très bien où il voulait en venir. Cependant, il ne tarda pas à continuer et à m’éclairer sur sa vision des choses.
« Tu as la capacité de détecter une sorte… d'empreinte magique. Développe ce don et on pourra trouver encore plus de Grisha. Tu es un traqueur, Zero, tu es super bon pour ça. Si tu as en plus la capacité de les détecter sans qu’ils utilisent leur sorcellerie, ils n’auront pas le temps de faire quoi que ce soit qu’ils seront déjà enchaînés. Moins d’hommes seraient blessés. »J’acquiesçai, réfléchissant à ses mots. Ils prenaient du sens, ils me donnaient une idée qui quitta mes lèvres avant même que j’y réfléchisse à deux fois.
« Il faut que j’intègre les Drüskelles.
- Tu veux dire on. »Je regardais mon meilleur ami et je lui souris sincèrement, chose que je n’avais pas faite depuis des jours. Oui, nous allions intégrer les Drüskelles.
L’entraînement fut intense. Entre les missions, l’entraînement de l’escadron, la préparation pour être Drüskelle, les journées n’étaient pas assez longues et nos nuits devenaient de plus en plus courtes. Mais nous étions plus motivés que jamais.
Puisque Pietro était dans la confidence, il était ma motivation pour développer ce don. Lors des missions, j’étais encore plus concentré pour essayer d’augmenter cette sensation étrange, d’analyser ce que je ressentais, ce que je percevais. C’était un travail long et fastidieux que j'étoffais au fur et à mesure des années - et que je continuais à faire aujourd’hui.
Mais avant d’être Drüskelle, je devenais un mari. Je ne pouvais pas passer à côté de ce chapitre de ma vie.
Nous étions à une fête de Hringkälla. C’était une fête annuelle pour les nouveaux Drüskelles. Nous n’en faisons pas encore partis, mais en tant que soldat, nous nous étions incrustés à la fête sans vergogne. C’était le plaisir de l’année, la fête à laquelle tout le monde venait. Par nous nous étions incrustés, je voulais dire Pietro et moi, ainsi que notre escadron. Nous avions dix-huit ans et nous étions comme tout le monde : nous regardions les femmes, désireux d’avoir une épouse. Enfin, pas Pietro, il n’était pas encore décidé d’après lui.
Ce fût lors de cette fête que je la vis pour la première fois. Mon meilleur ami avait déjà repéré une jeune femme, accompagnée d’une amie et c’est en l’accompagnant que je fis sa connaissance : Magdaléna. Meilleure amie de la future conquête de Pietro. Elle avait les cheveux blonds et longs, coiffés avec des fleurs sauvages. Ses yeux étaient d’un bleu glacial et pourtant, si chauds. Elle avait la peau pâle, mais légèrement teintée de rose au niveau des joues. Elle avait des formes et ne paraissait pas frêle. Même avec sa robe à moitié cachée par ses fourrures, je trouvais qu’elle ressemblait à une amazone.
Si je fus subjugué par sa beauté, rien n’était gagné. Je voulais non seulement être sûr de mon choix, mais je voulais également qu’elle soit sûre d’elle. Je voulais être un Drüskelle, un soldat qui ne serait pas souvent auprès d’elle et qui avait un métier dangereux.
Je l’épousais à mes dix-neuf ans - elle en avait dix-huit.
La chasse avait débuté depuis deux heures déjà et le soleil commençait à peine à montrer le bout de son nez. J’avais repéré un troupeau de cochons sauvages. La piste était fraîche dans la neige. Je trottinais depuis un moment maintenant. Je n’avais pas froid et je ne sentais pas fatigué malgré la distance parcourue.
Ce n’était pas évident avec les cèdres parfois épais, mais je réussis à distinguer un groin. Puis, un cochon sauvage. Et enfin, le groupe a une centaine de mètres sur ma gauche. J’attrapais ma hache coincée dans mon dos et m’approchais silencieusement, un téméraire s’écartant du troupeau. Je continuai mon avancée, prenant garde au reste des cochons, faisant attention où je mettais les pieds et lorsque le moment fut opportun, je jetai ma hache vers l’animal puis, lui portais le coup de grâce à l’aide d’une de mes dagues cachées dans mes manches. Mais les cochons sauvages étaient courageux et ne laissaient pas facilement un membre derrière. Un cochon m’attaqua, voulant défendre son compagnon. J’esquivais son attaque avant de riposter et de lui porter le coup final.
Le reste des bêtes sauvages s’enfuirent sans demander leur reste.
Lorsque je revins à Djerholm, j'offrais mon tribut à une famille qui avait donné des animaux pour le rituel. Je ne pris même pas le temps de retirer le sang séché sur mes fourrures que je me retrouvais au pied d’un frêne accomplissant le sacrifice sur l’autel.
La fête de Hringkälla commençait. Cette fois-ci, pas de rencontre. Je dansais avec ma femme, fêtant mon statut de Drüskelle avec elle, Pietro et nos anciens compagnons d’armes. Et la nuit se poursuivit jusqu’au lever du jour.
J’entendais les hurlements de mon épouse et je redoublais de vitesse pour atteindre notre chez-nous, légèrement à l’extérieur de Djerholm. J’entrais essoufflé par ma course effrénée.
Je venais de rentrer de mission, quelqu’un me prévint que ma femme était en train d’accoucher. Je n'attendais pas une minute de plus pour la rejoindre.
Aussi vite que possible, je fis irruption dans la pièce, un médecin, une botaniste et sa mère autour d’elle. Heureusement, il restait une place de libre à sa gauche sinon j’aurais poussé avec virulence la personne qui se serait retrouvée entre moi et ma moitié.
« Je suis là, soufflai-je en lui embrassant la joue et en lui attrapant sa main gauche, la serrant.
»Elle voulut me répondre, mais un hurlement quitta sa bouche, continuant le travail qu’elle avait déjà accompli. Ses cris cessèrent pour laisser d’autres, plus petits, plus aigus, rompre le silence de la pièce. Après une rapide toilette et un linge comme vêtement, le bébé fut mis dans ses bras.
« C’est une fille. »J’observais notre enfant, d’un rose vif, les yeux clos, les poings bougeant dans tous les sens comme si elle voulait se battre avec l’univers. Je tombais amoureux pour la deuxième fois. Je me rapprochais, calant mon visage contre l’épaule de Magdaléna. C’était parfait. Tout était parfait.
« Il faut lui trouver un prénom, fit remarquer mon épouse.
»Évidemment. Mais je n’en avais aucune idée. Mon regard était fixé sur elle, uniquement elle, et je m’imaginais déjà mille et une aventure.
« Que penses-tu de Nina ? »Je quittais notre fille des yeux, croisant le regard brillant de mon épouse. J’acquiesçai et l’embrassai amoureusement en guise de réponse.
C’était un été chaud au point que la neige avait fondu, les ruisseaux et les rivières plus denses que d’habitude. Je ne portais pas ma hache, ayant un autre paquet sur le dos une bonne majorité du temps durant cette promenade. Je remontais la rivière jusqu’à ce que je trouve un nid inhabité.
« Tiens Nina, fis-je en m’accroupissant pour que ma fille quitte mon dos.
De quel animal est-ce le nid ? »Ma fille de quatre ans s’approcha de l’amas de branchages inhabité depuis longtemps, les traits de son visage concentrés.
« Une sorte d’oiseau ? me répondit-elle peu assurée.
- Oui, une sorte d’oiseau, mais ça fait longtemps qu’il a abandonné sa maison.
- Pourquoi il a fait ça ?
- Je ne sais pas mon ange. »Il était sûrement mort à vrai dire, mais je n’allais pas être aussi direct. Je la laissais découvrir un peu l’endroit, remplissant les gourdes d’eau fraîche, gardant un œil sur elle. Les rochers pouvaient être glissants sur la rive. Elle s’éloigna un peu, remontant une pente d’herbes hautes pour finalement disparaître de ma vue. J’eus à peine le temps de me redresser, fermant la gourde, que Nina cria :
« Papa, viens voir ! ». Il n’en fallut pas plus pour que je sois à ses côtés en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire. Heureusement, rien de grave : ma fille venait de découvrir un champ de fleurs sauvages. Ce genre de champ était extrêmement rare, notre terre étant une vaste étendue de neige, mais il arrivait certains étés, que des fleurs poussent çà et là. À ses yeux brillants, elle était ravie de sa découverte exceptionnelle.
« Et si tu en cueillais pour maman ? »Un cri de joie, elle avait déjà trois branches de fleurs dans ses petites mains. Il fallut deux branches supplémentaires pour qu’elle revienne me voir et me demande de les lui garder précieusement, le tout sur une demande très sérieuse.
Nous étions camouflés autour de la route, prêts pour l'embuscade. Nous étions en territoire ennemi, sur le sol de Ravka. Il faisait chaud, très chaud, comparé à notre terre natale. Je jetai un coup d'œil à ma droite, croisant celui de mon meilleur ami, Pietro. Je savais, rien qu’avec ce regard, qu’il était impatient, qu’il en avait aussi marre que moi d’attendre. Un sourire en coin de ma part, un clin d'œil de sa part, il n’en fallut pas plus pour nous redonner un peu de force.
Quelques secondes plus tard, nous entendîmes le bruit des chevaux et nous savions que c’étaient nos cibles. Nous nous tournâmes dans la direction où notre guetteur nous donnerait le signal. Il le fit. Nous nous préparâmes.
La bataille commença, mais je restais en retrait, attaquant plutôt dans l’ombre. Je restais à couvert, protégeant au mieux les arrières de mes compagnons. Si la hache était mon arme durant mes quatre années à l’armée de Fjerda, les dagues étaient désormais mon arme de prédilection. Mais le combat prit un virage inattendu : si nous avions éliminé un
Hurleur rapidement, il a été notre priorité d’ailleurs, il n’y avait pas que lui dans ce groupe de mercenaires. Un
Inferni avait rejoint ces crapules et si nous avions déjà l’impression d’être en enfer, la chaleur avait encore augmenté d’un cran. J’entendais mes frères d’armes hurlés, blessés grièvement par les flammes, mais je fis en sorte de ne pas être repéré pour contourner le Grisha et le tuer rapidement. Les flammes cessèrent et le sol se colora de rouge à mes pieds.
Si j’avais su ce qui se serait passé, j’aurais agi autrement. Cependant, les ordres étaient les ordres : pas de prisonniers, le jugement était déjà prononcé et nous devions exécuter la sentence. Soit.
Nous pansâmes au mieux nos plaies, chargeâmes les corps des nôtres dans les gondoles volées et nous prîmes la route, laissant les cadavres des voleurs derrière nous - Grishas et civils.
Ce que je ne savais pas, c’était qu’une personne avait survécu, cachée derrière les épais troncs d’arbres.
Nous nous arrêtâmes à Ulensk où nous rendîmes les biens. Nous pûmes avoir un âne et un chariot pour transporter nos compagnons décédés jusqu’à Djerholm.
« Alors, qu’est-ce que vous avez prévu pour l’anniversaire de Nina ? me demanda Pietro alors qu’on apercevait les premières habitations de Djerholm.
- Je n’en ai aucune idée, lui répondis-je avec un sourire en coin.
Léna a eu pas mal de choses à faire avec la fête de Hringkälla.
- On va avoir quelques jours, tu auras tout le temps d’y réfléchir. »C’était le moins que l’on puisse dire. À ce moment-là, ni Pietro, ni moi, ne savions ce qui s’était passé à Djerholm. Nous avions pris un peu de retard avec l’âne et nos compagnons, pas un grand, juste une journée, mais c’était suffisant pour que le Destin frappe.
Nous arrivâmes alors que les premiers rayons du soleil se glissaient entre les habitations. Nous nous rendîmes au campement, délivrant un résumé des faits oralement. Les funérailles de nos compagnons morts au combat se feront en petit comité avant la fête de ce soir. On nous ordonna de rentrer chez nous pour faire notre rapport et le donner dans la journée. Je saluais mes frères d’armes et rentrais tranquillement chez moi lorsqu’un frisson remonta ma colonne vertébrale, me stoppant à deux mètres de la porte d’entrée.
Un Grisha.
Mon sang se glaça et je pénétrais dans ma maison, hélant ma femme et ma fille. Le silence assourdissant me répondit et je vis mon pire cauchemar de mes propres yeux. Le corps de ma femme gisait, inerte, entre la table et une chaise retournées. Je hurlais à pleins poumons le prénom de mon enfant, de ma petite fille, la cherchant. Je la trouvais à côté de son lit, comme si elle était tombée et qu’elle dormait encore - elle le faisait tellement souvent. Je m’approchais, m’agenouillais, mais dès que je la touchais, je sus qu’elle était avec sa mère. Mes yeux se brouillèrent, mon nez coula et un sanglot m’étrangla. J’attrapais son petit corps, son corps d’enfant, lourd, la berçant contre mon torse en lui susurrant des mots doux, apaisants et en lui disant que j’étais désolé.
Je la portais jusqu’à mon épouse et m’assis à même le sol pour pouvoir les prendre toutes les deux dans mes bras. Un vide, que je pensais avoir comblé, réapparut en moi, comme une vieille amie. Je lui ouvris les bras, déversant ma tristesse et mon désespoir.
Mes larmes cessèrent, laissant mon visage avec les marques de ma douleur. Je sentis cette perception, cette chose, progresser. C’était comme une extension de moi qui analysait les corps dans mes bras et je sus qui les avait assassinées. Un
Corporalki. Un
Fondeur.
J'attendis des heures avant que quelqu’un ne passe le bas de la porte. Je refusais de les quitter, alors j’étais resté dans cette même position, caressant de temps en temps leurs cheveux.
Elles m’avaient été enlevées et je regrettais de ne pas avoir passé plus de temps en leur compagnie. Je regrettais chacune de mes absences. Je regrettais d’être un soldat. Je regrettais d’être un Drüskelle. Je regrettais d’être un Fjerdan.
Je levais les yeux lorsque j’entendis la voix de Pietro. Évidemment. Mon meilleur ami, mon frère d’âme. Ça ne pouvait être que lui.
Il m’aida à les confier à d’autres personnes, me faisant lâcher leurs corps.
Mais la journée ne s’arrêta pas là. Animé par l’adrénaline et la vengeance, je me préparais. Je voulais retrouver ce Grisha et lui faire payer au centuple la douleur que je ressentais. Même si je devais honorer mes frères d’armes, tombés au combat, que Djel me pardonne, j’avais une nouvelle mission désormais : éliminer les Grishas.
« Zero, ne fonce pas tête baissée. Tu ne sais même pas par où commencer.
- Je peux suivre sa trace. Elle est suffisamment fraîche, c’est comme si j’étais guidé par un fil rouge. Je peux le retrouver !
- Tu n’avais jamais eu cette impression avant… »En effet, ce don s’était développé pour une raison que j’ignorais et je ne savais pas vraiment comment il fonctionnait non plus. Seulement, s’il me permettait d’accomplir ma mission, je ne poserais pas plus de questions.
« Je viens avec toi.
- Tu ne peux pas, Pietro, tu te maries dans quelques semaines et je ne sais pas combien de temps cette traque durera.
- Elle m’a attendu des années, elle peut bien encore attendre, déclara-t-il en attrapant mon avant-bras et en croisant mon regard.
Tu es mon frère, je viens avec toi. »J’aurais fait la même chose pour lui et il le savait. Nous nous soutenions depuis notre enfance, il n’en était pas autrement. Pourtant, je ne me doutais pas un seul instant que j’allais causer sa perte…
Nous fîmes nos bagages, laissant nos rapports et un mot à nos supérieurs, et nous partîmes pendant la fête. Enfin, presque. Je sentis une énergie, ce quelque chose que j’identifiais chez tous les Grishas. Et il était tout prêt. Je m’arrêtais, scrutant du regard la foule sous mes yeux, entendant les rires, les cris de joie et les chopes qui s’entrechoquaient. Enfin, je le vis. Il était jeune, peut-être dix ans de moins que moi, les cheveux roux, le regard vif, le visage carré et d’une ossature imposante. Un Fjerdan pur souche, on aurait dit.
« Hey ! Tu sais comment il s’appelle ? demandai-je à un nouveau Drüskelle, qui avait l’air de son âge, en pointant le jeune homme.
- C’est Svani. @Svani Karlstad. Il est très doué au combat à ce qu’on dit. »Je le remerciais d’une tape sur l’épaule et le laissais reprendre ses activités en m’avançant de quelques pas. Pietro me rejoignit, fronçant les sourcils en se demandant ce que je faisais.
« C’est un des leur, soufflai-je sans quitter des yeux le dénommé Svani.
- Est-ce que tu crois que… ?
- Non. Ce n’est pas… la même signature.
- Qu’est-ce qu’on fait ? »Sous-entendu, est-ce qu’on le dénonce ? Est-ce qu’on le tue ? Je me rapprochais de son groupe, le pas déterminé, le regard dur et je m’arrêtais lorsque toute l’attention fut sur moi - et sur Pietro, qui me suivait de près.
« Svani Karlstad, vous êtes convoqué. Veuillez nous suivre.
- Mais c’est la fête de Hringkälla, les gars, ça ne peut pas attendre ? demanda un jeune Drüskelle, visiblement déjà bien imbibé par la bière.
- Ce sont les ordres, soldat, répondis-je sur le même ton, le regard froid sur Svani.
»Un hochement de tête et le jeune homme se dirigea vers nous. Naturellement, je pris la tête de l’escorte, Pietro derrière Svani. Je savais qu’au moment même où nous serions suffisamment à l’écart et à l’abri des regards indiscrets, mon meilleur ami ferait le nécessaire pour ne pas qu’il s’enfuit. Ça ne loupait pas, même si, en effet, le lionceau cherchait à se défendre. Une lame sous la gorge et une main coincée dans le dos suffit à le maintenir tranquille.
« Écoute-moi bien, je sais ce que tu es. Non ! l’arrêtais-je alors qu’il ouvrait la bouche.
Ne me sers pas un mensonge tout prêt, c’est inutile. Je peux sentir ton pouvoir qui coule dans tes veines comme du lierre sur un arbre. Je sais ce que tu es, mais j’ai quelques questions pour toi, dis-je en observant son visage.
Et tu as tout intérêt à me dire la vérité… Connais-tu d’autres Fjerdans qui sont des Grishas ? »Son regard se fit dur, mais il secoua une fois la tête négativement et cela me suffit.
« Où étais-tu la nuit dernière ?
- Je ne les ai pas…
- Je sais, le coupais-je,
mais peut-être sais-tu qui l'a fait.
- Non, je le jure. »Je continuai de l’observer et je savais au fond de moi que ce gamin était innocent. Pourtant, j’avais envie qu’il paie pour les autres, j’avais envie de déverser ma colère, ma rage, sur un Grisha et il était une proie facile. Une proie innocente.
« Dernière question, soufflai-je en plongeant mon regard dans le sien.
De quel côté es-tu ?
- Je suis un Drüskelle, déclara-t-il après quelques secondes.
»D’un mouvement de tête, je demandais à Pietro de le relâcher et il s’exécuta. J’étais partagé, les idées embrouillées et je n’arrivais pas à réfléchir. J’avais un objectif : tuer le Grisha qui avait assassiné ma famille. Il ne faisait pas parti de ma mission, il n’y était pour rien et il cherchait à survivre, il était un Fjerdan, un Drüskelle aujourd’hui, même si je savais qu’il avait une nature de Grisha.
« Si j’apprends que tu as retourné ta veste, le monde sera trop petit pour te cacher. Je t’en fais le serment. »La chasse dura plus que je l’espérais. De quelques semaines, nous enchaînions les mois et bientôt, nous arrivions à une demie-année de traque. Nous avions exploré des contrées que nous n’avions pas encore foulées, mais nous avions fini par apprendre à nous fondre dans la foule.
Nous nous dirigeâmes vers Sikursk, proche de la frontière Shu Han, lorsque la piste se réchauffa. Nous trouvâmes un campement, à quelques heures de la ville, dans la forêt. C'étaient des mercenaires, mais il y avait des Grishas parmi eux. Ils étaient huit, dont deux Grishas. J’informais Pietro que la fille en rouge était celle que nous recherchions depuis des mois. Nous nous positionnâmes, sachant très bien ce qu’on devait faire sans même se concerter. En même temps, nous éliminâmes un humain et un Grisha. Le groupe était en alerte, mais il ne savait pas où nous nous trouvions. Nous avions l’avantage. La forêt était relativement dense, nous pouvions facilement nous cacher.
Les corps tombèrent un par un jusqu’au moment où nous n’avions plus le choix : nous devions nous montrer. Le combat n’était pas égal, même si nous étions encore en infériorité numérique, nous étions entraînés depuis tellement d’années que c’était presque trop facile. Mais tous les entraînements du monde ne nous avaient pas préparés à cette éventualité : le choix entre un frère d’armes et notre proie.
Si nous pensions avoir assommé la Grisha pour pouvoir nous battre tranquillement avec le reste du groupe, elle se réveilla bien vite. Tout son groupe était mort, mais elle tenait la vie de mon meilleur ami entre ses mains, son regard rivé sur moi.
« Je savais que tu finirais par me retrouver, fit-elle avec un regard mauvais.
Tu m’as tout pris et tu me prends encore tout…
- Tu n’aurais jamais dû t’en prendre à ma famille.
- C’est exactement ce que j’allais dire. »Aussi vite que possible, je lui envoyais une dague en plein cœur. Le temps s’étendit quelques instants, mais ne soulagea pas ma peine d’avoir vengé mes amours. Je me tournais vers mon meilleur ami, lui aussi au sol, et je me précipitais vers lui. Il avait succombé. Je hurlais ma rage, implorant Djel de ne pas le prendre, de me le rendre. Je lui implorais le pardon, je demandais pardon à Pietro de l’avoir entraîné dans cette chasse. Je pleurais sur son corps avant que cette amie, la vengeance, ne m’enveloppe pleinement une fois de plus et m’insuffle une rage incommensurable.
Après avoir trouvé un frêne, différent de ceux de Fjerda, mais un frêne tout de même, j’enterrais Pietro selon nos traditions. Je priais pour son âme, je priais pour son pardon et je jurais sur sa tombe de fortune de tuer tous les Grisha de ce monde.
Je retournais ensuite sur les lieux du combat, fouillant les cadavres à la recherche d’indices. Visiblement, ils devaient aller à Sikursk pour retrouver un groupe de Grisha qui souhaitaient passer la frontière Shu Han, par les montagnes.
Après avoir brûlé chaque corps, je me dirigeais vers la ville. Je ne mis pas beaucoup de temps avant de les trouver et je les tuais jusqu’au dernier. Je repartis comme j’étais venu. Il était temps pour moi de rentrer à Fjerda.
Le coup-de-poing résonna autant dans la tente que dans ma tête. Le général y avait mis de la force, me faisant éclater la lèvre inférieure, mais je restais debout malgré tout.
« Vous avez agi sans qu’on vous ait donné le moindre ordre, soldat ! »Il rugissait de colère, mais j’étais indifférent à cela. J’avais vengé ma famille, vengé Pietro, et j’avais réduit le nombre de Grisha sur cette terre. Je savais que je n’avais pas agi sous ses ordres, que j’avais laissé mon frère d’armes sur une terre qui n’était pas la nôtre, mais j’avais honoré sa mémoire. Le général en avait conscience, mais il était tout de même contrarié que je sois devenu aussi dissident.
« C’est la dernière fois que je vous reprends, soldat ! Et je vous offre cette chance par rapport à vos années exemplaires. »Je ne prononçais pas le moindre mot, regardant fixement mon supérieur. Je ne lui promis rien, je le laissais parler, mais je me doutais que je n’allais pas retourner dans les rangs comme il l’espérait.
Les mois passèrent et je transgressais les ordres, tuant les Grishas à la première occasion. Je n’attendais pas qu’on les juge, j’exécutais ma sentence mortelle. Mes coéquipiers me craignaient de plus en plus au point de me mettre de côté. Je devenais un solitaire et ce fut peut-être pour cette raison qu’au bout de deux ans, alors que j’entamais ma trentième année, je déposais mon uniforme de Drüskelle sur le bureau de mon supérieur. Je ne partais pas de mon plein gré, on me virait proprement des rangs de l’armée. J’étais trop incontrôlable à leurs yeux. Pour moi, j’étais juste plus efficace que n’importe qui. Je pris mes affaires et je quittais ma terre natale sans un regard en arrière.
Je parcourus un long chemin, vivant dans l’ombre, assassinant dans la discrétion totale. Je laissais des cadavres derrière moi sans que personne ne me soupçonne. De Drüskelle, j’étais devenu un Assassin.
Il ne s’écoula que quelques mois avant que je m’approche de Keramzin, en territoire Ravka. Ma tenue de chasseur passait inaperçue et si elle attirait l'œil, c’était pour traquer du gibier à quatre pattes. Je n’avais pas trop de problèmes à me faire de l’argent, n’ayant même pas pensé à ce détail lorsque j’ai décidé de partir loin de Fjerda. Où me trouver un toit lorsque le temps était capricieux. Mes talents de chasseur étaient appréciés et me facilitaient la tâche.
Cependant, je cherchais souvent la générosité de croyants - même si je ne partageais pas du tout leur croyance, le but était seulement de trouver une couche, de l’eau et un semblant de repas pour une nuit. Il fallait survivre avant tout.
Ce fut pour cette raison que je me dirigeais vers une sorte de monastère. L’endroit n’était indiqué par aucun panneau, mais j’avais suivi un chemin parmi tant d’autres en me dirigeant vers Keramzin - qui devait être à une ou deux heures encore. Les portes en chêne massif étaient grandes ouvertes et des hommes pieux allaient et venaient, s’occupaient du jardin, du potager. Je ne bougeais pas, n’osant mettre un pied dans ce lieu.
Une branche craqua derrière moi et je me retournais vivement, une dague dans ma main droite, prêt à me défendre si nécessaire. Un homme se tenait à une dizaine de mètres de moi, un grand sac sur l’épaule. Il avait les cheveux noirs comme la nuit et les yeux aussi bleus que le ciel. Son visage était rond, mais sa carrure était sportive.
« Bonjour, étranger. Je m’appelle Ludwig. Tu cherches un endroit où dormir cette nuit ? »Je ne répondis pas, me contentant d’acquiescer. Un peu de repos me ferait le plus grand bien.
« Alors bienvenue à toi, déclara-t-il en s’approchant de moi, faisant un mouvement de tête vers la bâtisse.
Je vais te montrer où tu peux dormir. »J’entendis le bruit distinct du métal, me donnant une idée de ce qu’il avait dans son sac. J’étais méfiant, mais je ne dormais jamais sans une arme sous l’oreiller. J’avais passé des nuits plus terribles que celle d’attendre si on allait m’assassiner dans mon sommeil. Donc je le suivis, découvrant une architecture incroyable. Je ne savais pas quel Dieu il vénérait, mais c’était un lieu agréable.
Nous fîmes seulement quelques mètres avant qu’il ouvre une porte, dans un couloir menant au jardin, m’invitant à entrer. La chambre était simple, minimaliste, mais je la trouvais confortable. Un lit, une chaise, un coin pour se rafraîchir et une commode, c’était plus que je ne l’espérais. Une petite fenêtre offrait un rayon de lumière.
« Je vais te montrer où l’on mange. Tu viendras lorsque tu auras faim. »Je déposais mes affaires sur le lit et le suivis, retenant chaque chemin dans ma tête - vieille habitude que je ne perdrais jamais. Les torches sur les murs éclairaient les couloirs lorsque le soleil de fin d’après-midi ne le faisait pas.
La salle commune pour manger était immense. Je n’avais jamais vu des tables aussi longues pour aussi peu de personnes. Deux grandes tables barraient la pièce et au bout, une énorme cheminée de plusieurs mètres était encastrée dans le mur, décorée d’ornements sculptés.
« Nous ne sommes pas autant, déclara Ludwig en me regardant.
Enfin, je dis nous, mais je veux parler des hommes de Foi.
- Tu n’en es pas un ? demandai-je, légèrement surpris.
- Non. Je possède cet endroit. Mon père l’a construit à vrai dire. Il était architecte pour le Roi, mais il a réalisé des œuvres çà et là dans le pays. »Je n’ajoutais rien, mais je savais que son père n’était plus de ce monde. Ainsi, la conversation se termina et je regardais mes quartiers provisoires, m’autorisant un peu de repos.
Je fus réveillé en sursaut par des portes qui se claquent et le bruit caractéristique des pas de soldats en armure. Ma porte claqua contre le mur et un soldat pénétra. Je ne réfléchis pas une seule seconde : je lançais ma dague en plein milieu de sa gorge, le tuant instantanément. J’attrapais son cadavre pour éviter de faire trop de bruit et le déposais sur le sol. Je jetais un coup d'œil dans le couloir. Ne voyant pas d’autres soldats venir, j’en profitais pour m’équiper.
Silencieusement, je parcourus le couloir, découvrant quelques soldats dans le jardin et deux Grisha. Ils portaient des tenues bleues et Ludwig se tenait devant eux.
« Tu es un traître ! Tu dois payer pour tes crimes.
- La vengeance n’est pas un crime, répondit Ludwig.
- C’est ce que tu diras lorsque nous te présenterons au Général Kirigan. »Je ne savais pas ce qu’il avait fait, ni même pourquoi je voulais intervenir. Cependant, mon corps bougea et je lançais une dague en plein sur un Grisha, le blessant grièvement à l’épaule. S’en suivi d’un long combat : les soldats étaient facilement neutralisables, mais je devais rester prudent avec les Grisha. Je fus surpris de constater, après en avoir tué un, que Ludwig avait tué l’autre.
J’avais plein de questions et si ma raison que disait de mettre les voiles immédiatement, mon instinct me disait que j’avais trouvé ma place. Je ne savais pas pourquoi, mais ce n’était pas la première fois que je n’avais aucune réponse à ce que je ressentais.
Nous enterrâmes les corps dans la forêt, les hommes de Dieu nous aidant même à la tâche. Puis, nous nous installâmes à une table de la salle commune, un verre de vin chacun et un repas en face de nous.
« Tu as sûrement envie de parler maintenant. Je t’écoute. Pose-moi tes questions, étranger. »Il prit son verre et but une gorgée avant de mordre dans son morceau de pain. En effet, je ne parlais pas beaucoup, la solitude me faisait économiser ma salive. Néanmoins, j’étais intrigué par tant de choses que je me lançais.
« Je ne pensais pas que tu savais te battre, fis-je avant de grignoter mon assiette.
- Ce n’est pas une question, mais je vais mettre cela sur le coup de la solitude, déclara-t-il avant de manger un bout lui aussi.
Je suis bien le fils d’un architecte et j’ai appris à me battre pour survivre.
- Survivre au Roi ?
- Entre autres. Mon père a fait beaucoup pour la famille royale et malgré tout, lorsque j’ai demandé justice parce qu’il a été tué par un Grisha, ma demande a été rejetée d’un revers de main. Je me suis donc entraîné jusqu’à ce que je sois prêt. Et j’ai fait Justice moi-même. »Je comprenais mieux pourquoi les soldats et les Grishas voulaient le ramener avec eux.
« Comment t’ont-ils retrouvé ?
- Un homme de Keramzin a dû me reconnaître, fit-il en haussant les épaules.
Je sors rarement depuis des années de cet endroit. Ils ont dû me suivre.
- Pourtant, l’endroit n’est pas indiqué.
- Pourtant, tu es ici, répliqua-t-il.
»Touché. Je ne savais pas encore pourquoi j’étais ici d’ailleurs. Même si les explications qu’il me donnait éclairaient la situation, ça sentait les problèmes. Et je n’avais pas besoin de cela. Même si ma vie était tranquille, routinière presque, je n’avais pas besoin de m’impliquer dans la vie des autres.
« D’ailleurs, merci pour le coup de main. »Je hochais simplement la tête. J’attrapais mon verre et bus une gorgée de vin.
« Tu es un Drüskelle, n’est-ce pas ? »Je m’arrêtais, plongeant mon regard dans le sien. Comment savait-il ? Était-ce si visible ? La formation m’avait donné beaucoup d’habitudes, j’avais un entraînement au combat particulier, un style caractéristique des Fjerdans, mais je ne pensais pas à ce point.
« Ce n’est en rien un jugement. J’ai vu des Drüskelles se battre et ça m’a fait penser à eux lorsque je t’ai vu. Tu es grand, tu as l’air fort et tu sembles venir du nord du pays plus que du sud, si tu vois ce que je veux dire. »En effet, j’avais les traits physiques d’un Fjerdan à n’en point douter. Je me mêlais si facilement à la foule, j’étais si invisible aux yeux des autres que je m’étais oublié moi-même. J’avais la sensation de retrouver Pietro. Lui aussi arrivait à trouver les mots.
« J’étais un Drüskelle, lâchai-je d’un souffle.
Je suis juste un traqueur désormais. »Ludwig hocha simplement la tête, acceptant que je lui entrouvre la porte. Nous finissâmes de manger en silence et la conversation reprit lorsque les portes de la salle commune se fermèrent. il ne restait plus que nous deux.
« J’aimerais te proposer quelque chose. Mais pour cela, il faut que je te montre un endroit avant de te dire quoi que ce soit. »J’acquiesçais et nous quittâmes la salle commune. Je le suivis dans un dédale de couloirs, menant à une porte qui donnait sur un escalier. Nous descendîmes les marches, longions un autre couloir avant que Ludwig ouvre une porte.
C’était une grande salle, très longue. Il y avait plusieurs tables, chaises, canapés, meubles en tout genre. On avait l’impression qu’une sorte de quartier général était en train de s’installer. J’entrevoyais d’autres couloirs, menant Djel sait où.
« Avant de te rencontrer, je ne pensais pas avoir utilité de cet endroit. Je voulais simplement l’utiliser pour me cacher jusqu’à la fin de mes jours. Mais te voir te battre à allumer une flamme en moi. Et de cette flamme est née une idée. »Mon regard se riva sur lui, déambulant entre les meubles avant de se placer en face de moi.
« Nous ne pouvons pas le faire seul de notre côté, c’est en unissant nos forces que nous aurons plus de poids.
- À deux ?
- Il faut bien commencer quelque part, non ?
- Tu veux qu’on forme quoi ? Un groupuscule ?
- Les groupuscules sont des fanatiques. Nous, nous sommes une guilde, guidée par notre credo. »Inutile de demander quel était le credo : les Grisha devaient mourir.
Cette idée de guilde était complètement folle, complètement révolutionnaire, complètement téméraire. Pourtant, elle se glissait en moi si facilement et mon cerveau réfléchissait déjà à certaines choses, comme si l’idée était normale et que j’avais entièrement confiance en Ludwig. C’était faux, bien sûr, mais il avait raison sur un point : ce n’était pas en restant seul que je ferais la différence. Lui, comme moi, nous n’étions pas seuls dans notre vengeance. Il devait y avoir d’autres personnes avec les mêmes aspirations que nous, d’autres Drüskelles, d’autres Ravkans, d’autres peuples.
« Est-ce que tu me suis, étranger ? me demanda-t-il finalement en me présentant sa main.
»Je l’attrapais, scellant un pacte silencieux.
« Je m’appelle Zero. »Okhotnik naquit, d'un Fjerdan et d'un Ravkan.
Les années passèrent. Le monastère était devenu mon pied-à-terre.
Ludwig était devenu un ami et la seule personne en qui j’avais confiance. J’appréciais les membres de la guilde, mais nous étions les piliers même du groupe. Certains passaient l’arme à gauche, d’autres changeaient radicalement de vie et d’autres retournaient leurs vestes pour écourter leur existence. Il était
le messager, j’étais
le traqueur, nous étions les fondateurs de cette guilde sans que personne ne le sache. Et ça nous convenait parfaitement.
La guilde grandissait au fur et à mesure, apportant son lot de problèmes par moment, mais notre cause était toujours aussi forte. Elle était même sollicitée par des soldats pour retrouver des Grisha - chose qui était bonne pour notre bourse. Rien n’était gratuit avec nous et si vous aviez le malheur de vouloir nous arnaquer, ou de nous tendre un piège, notre lame rencontrera avec plaisir votre peau.