The Hunt Has Begun [Flynaric]

« C’pas comme si on avait été attaqué. »

Je haussais les épaules, ne lui en voulant pas plus que cela en réalité. Il n’y avait pas à se prendre la tête sur ce sujet - pas celui-là en tout cas. Mon regard se tourna finalement vers lui, croisant ses yeux bleus insondables. Un sourire en coin étira ma bouche, mais rien ne sortit entre mes lèvres. J’étais assailli de tous les côtés par mes pensées. Oui, je le savais. Et cette information, je ne savais même pas comment la prendre.

C’était pourtant quelque chose de normal, entre deux amants, de le savoir. Néanmoins, avec les autres, j’en avais rien à foutre. Pas avec Alaric. Mon cerveau avait retenu comment il aimait dormir, comment je pouvais me caler contre lui, comment il papillonnait des yeux, comment son corps endormi réagissait dès le matin. Je savais quelle saveur avait sa langue le matin, tout comme sa peau. Je savais et s’il n’y avait rien de plus entre nous, je ne devrais pas le savoir.

Je m’occupais plutôt de ses vêtements et lui fis un simple hochement de tête lorsqu’il me remercia. Ce n’était pas grand chose, pire même, ce n’était rien du tout. Ca nous faisait gagner du temps surtout, et ça, ça n’avait pas de prix. Néanmoins, ça n’allait pas assez vite à mon goût et je commençais doucement, mais sûrement, à m’impatienter. Je voulus faire un trait d’humour pour détendre l’atmosphère, mais il semblerait que son ego ait été touché. Je levais les yeux au ciel avant de pousser un soupir.

« Oh, ça va ! C’était de l’humour. »

Hors de question que je m’excuse. Ma bonne humeur en avait pris un coup et j’avais décidé d’être la reine des cons. Pourquoi ? Aucune idée. J’avais cette sensation que c’était un jeu stupide où nous allions finir perdants tous les deux. Je devais donc répliquer, ne pas lui laisser avoir le dernier mot comme je le faisais trop souvent dernièrement. Et même le voir à moitié nu, se rhabiller devant moi, me laissa un arrière-goût amer sur la langue - peut-être parce qu’elle était restée dans ma bouche justement.

« Du rhum. »

Parce qu’il était hors de question que j’avale autre chose - et que l’alcool allait m’aider plus qu’autre chose. Je me levais, pliais mes affaires et allais jusqu’à mon cheval où je bus quelques gorgées de liquide ambré. J’eus de suite un coup de chaud qui passa rapidement.


Nous couvrîmes nos traces avant de reprendre la route. Notre allure était tranquille, beaucoup trop tranquille. Trop lente à mon goût. J’étais complètement dans mes pensées lorsqu’Alaric eut l’impression que nous n’étions pas seuls. Et c’était peu de le dire !
Avant même que je comprenne ce qu’il se passe, quatre fjerdans débarquèrent devant nous. Ils tentèrent de communiquer, mais je ne comprenais rien du tout.

« J’ai pas l’impression qu’ils veulent un morceau de pain. »

Pourtant, on aurait pu le croire avec des fringues aussi moches sur le dos - mais c’était un détail. Ma tête se tourna vivement vers Alaric lorsque je l’entendis m’appeler par ce surnom caractéristique. Et voilà qu’il recommençait ! Je grognais une onomatopée, levant une fois de plus les yeux au ciel - pendant quelques instants, les soldats fjerdans étaient le cadet de mes soucis.

« Lorsque tu arrêteras de souffler le chaud puis, le froid, tu me feras signe, Cap’tain beau gosse. »

Je lâchais les rênes de mon cheval, levant légèrement les mains en l’air. Mes émotions à vif, j’avais l’impression d’avoir de la foudre sur le bout des doigts. La brise se leva sans que je ne fasse quoi que ce soit, par moment, comme le vent qui se lève pour annoncer une tempête. Si le soleil nous éclairait de quelques rayons, il disparut, caché par de gros nuages qui apparurent. Habillement, ma jambe passa de l’autre côté de mon destrier et je glissais de ma monture, mes deux pieds au sol. L’air devenait de plus en plus épais et si je pouvais voir mes yeux, leur teinte marron s’éclaircit au point d’être de couleur or.

Les soldats reculèrent d’un pas, parlèrent sans que je comprenne quoi que ce soit. J’avançais, me plaçant devant Alaric. Il était hors de question qu’ils le touchent, hors de question qu’il soit blessé d’une quelconque façon. Je le refusais ! J’avais bien trop de proches qui se faisaient malmener dernièrement. Je refusais catégoriquement qu’il en fasse partie. Alaric était quelqu’un de…
Mon palpitant battait fortement dans ma poitrine, les sentiments grandissant en moi, coulant le long de mon torse, le long de mes bras.

Les soldats s’armèrent. Je n’attendis pas une minute de plus : avec vivacité, je bougeais mes mains, appelant ma petite science. Une tornade commença à se former et balaya les soldats, les faisant tourner dans un cercle infini. Je sentis mes pieds décoller du sol, emporté par le vent que je maîtrisais, de quelques mètres sans pour autant bouger de ma position. D’un mouvement, je la fis se déplacer sur la droite et les quatre corps volèrent vers d’autres lieux.

Doucement, mon corps redescendit et je mis genou à terre, toussant fortement. C’était comme si je n’avais plus d’air dans les poumons, mais je savais que ça allait se passer. Je le savais, car je venais de passer un cap dans mon pouvoir. J’en étais persuadé.

« Ça… c’est fait… »

S’il y a bien une chose qui ne change pas avec Flynn c’est cette volonté d’avoir le dernier mot. Je finis par soupirer, vaincu. C’est comme s’il voulait mes excuses et en même temps ne voulait pas les accepter. Il ne répond rien à ma remarque mais je ne manque pas de capter son sourire. Je donnerais beaucoup pour savoir ce qui se trame dans son esprit à l’heure actuelle. Il est à la fois si proche et si insaisissable. Mais le plus important est à noter, il est encore là, malgré toutes les bourdes que j’ai pu faire depuis notre départ, et ça, ça me donne de l’espoir.

Je ne suis pas spécialement acerbe quand je lui réponds, mais j’ai l’impression que ça l’atteint tout de même, est-ce qu’il s’en voudrait pour sa remarque ? Je ne vois pas pourquoi, ce n’est pas comme si c’était de sa faute, c’est la mienne, entièrement la mienne. D’être complètement troublé par sa présence, complètement désarmé par ses humeurs. D’être accroché à ses lèvres, d’avoir envie de regarder dans la même direction, et surtout, d’être quelqu’un pour lui. Je soupire tristement en voyant que mon baiser ne lui provoque aucune réaction. Je finis pourtant par sourire alors qu’il choisit la boisson des pirates pour petit-déjeuner. Lorsqu’il a finit je lui emprunte la bouteille, buvant une gorgée moi aussi, regrettant de ne pas l’avoir embrassé à pleine bouche.


J’essaie de prévenir Flynn en amont, discrètement, que je ressens une présence non loin de nous, mais il semble ailleurs. Finalement, les soldats sous son nez le rappellent à l’ordre plus que ma voix.  Je ricane un peu lorsque Flynn évoque le pain. Je poursuis en plaisantant, pour couvrir le malaise qui grandit en moi.

« Si c’est le rhum qu’ils veulent, faudra me passer sur le corps. »

J’enchaîne alors que les fjerdans essaient vaguement de parlementer. La tête de Flynn tournée vers moi me sort de ma contemplation de l’ennemi. Mon cœur s’emballe, trop heureux de cette soudaine attention avant que je ne fronce les sourcils.

« Comment ça c’est moi qui souffle le froid et le chaud ? »

Non mais il se fiche de moi ! De nous deux, je suis le plus constant. Je lève les yeux au ciel à mon tour, malgré tout conquis par le surnom qu’il me donne. Je pourrais lui montrer, là tout de suite, que je ne suis pas froid du tout à son égard, mais nous avons un public et un public qui commence à s’armer de ses fusils à défaut de sa patience. Les bras levés de Flynn pourraient faire penser qu’il se rend, mais il n’en est rien. Le ciel s'assombrit brusquement, l’air s’électrise, et un drôle de frisson me parcourt l’échine. Lorsque je vois Flynn descendre de sa monture, je l’imite, m’empresse d’aller attraper les rennes de son cheval. Apercevant rapidement son profil, je jurerais avoir vu ses yeux devenir dorés, mais, il se place rapidement devant moi et nos montures, en bouclier et étrangement, par l’énergie qu’il dégage, je n’ai absolument aucune envie de l’interrompre.

En miroir aux soldats, je recule alors que l’atmosphère devient de plus en plus lourde, entraînant les chevaux avec moi. Je suis étrangement en confiance, incapable d’expliquer pourquoi. Je sens que quelque chose d’important se passe et un sentiment de sécurité m’enveloppe. Flynn est différent dans son attitude. Un froid implacable l’entoure, puis le vent s’agite violemment à un point fixe. Il s’élève de quelques mètres, gracieusement. Je vois à peine les soldats décoller brutalement, le regard obstinément fixé sur cet homme qui m’impressionne de plus en plus.

Les cris de terreurs des fjerdans finissent par me sortir de ma contemplation. J’ai presque de la peine pour eux alors que je les vois voltiger au loin, subissant une chute à coup sûrs mortelle, tenant les rennes des chevaux qui commencent à piaffer et hennir. Pourtant, je les oublie tous aussitôt que je vois Flynn redescendre. Sa toux et sa posture m’inquiètent, je lâche les rennes des chevaux pour me précipiter vers lui.

« Flynn, ça va ? »

Je m’agenouille en face de lui, prêt à le réceptionner s’il vient à tomber, mais ça a l’air d’aller. Il semble satisfait.

« Je...wow...j’ai même pas eu le temps de lever le petit doigt. C’était très impressionnant. »

Mon regard se fait admiratif, mon sourire doux, puis je me redresse, l’entraînant avec moi. J’ai envie de l’étreindre, j’ai envie de l’embrasser même. Mais je me retiens, me contentant de le regarder avec intensité, mes mains tenant les siennes. Est-ce que je viens de retomber amoureux de cet homme ? C’est fort probable.

Je venais de passer une étape. Sans même m’en rendre compte, sans même y penser. Je le savais. C’était bien la seule chose dont j’étais sûr à l’heure actuelle. Ma petite science pétillait d’une façon différente. Elle avait changé comme si quelque chose en moi s’était débloqué. Elle s’était exprimée et je ne l’avais pas retenu, bien au contraire. Je lui avais donné carte blanche pour faire ce dont elle voulait, ce dont elle avait besoin pour s’exprimer.

Ma puissance venait de croître et je ne doutais pas un seul instant être plus fort que je ne l’étais hier. J’avais usé de mon pouvoir de façon rapprochée, est-ce que ça avait un impact ? Non, ça devait venir d’autre chose. Je l’utilisais très souvent sur l’Impolite et dès que je faiblissais, Lev était là pour prendre la relève. À nous deux, l’Impolite Shark était le bateau le plus rapide des océans. Et c’était glorifiant ! C’était une motivation sans faille : toujours être au top pour pouvoir être inarrêtable. Qu’est-ce qui avait changé alors ?

J’entendis sa voix, faisant éclater la bulle qui s’était créée autour de moi sans que j’en ai conscience. Ma tête se releva et mon regard croisa celui d’Alaric. Je sentis ses mains saisir les siennes et il m’aida à me relever. Je pouvais lire toute l’admiration qu’il avait pour moi en cet instant avec une pointe d’inquiétude. Mon ego se gonfla de fierté, mais mon palpitant fondit lorsque je discernais une chose dont je n’avais pas conscience : de l’amour.
J’aurais dû être effrayé. J’aurais dû être en colère qu’il éprouve cela, car cela signifiait que notre relation n’était plus la même. Qu’elle était quelque chose d’autre. Quelque chose de nouveau.

Et pourtant… Au même moment, je m’entendis prononcer ces mots dans ma tête.

Je l’aime.

Si j’avais provoqué une apocalypse il y a quelques minutes, elle s’était déplacée en moi. Ma respiration se coupa, mon cœur accéléra et avant même que je comprenne ce que j’étais en train de faire, je me jetais à son cou et je l’embrassais comme un affamé. Mes doigts s’extirpèrent de sa poigne pour qu’ils se glissent à l’arrière de sa tête, saisissant ses mèches de cheveux. Je me mis sur la pointe des pieds, mon corps se rapprochant du sien.
C’était donc ça aimer ? C’était donc ça, ce sentiment qui pouvait faire planer ? C’était donc pour cela que je ressentais autant de choses à son encontre ? C’était donc pour cela qu’il arrivait à me mettre à l’envers d’un regard, d’un mot, d’un geste ?
Je finis par stopper notre échange, gardant quelques secondes de plus sa lèvre inférieure entre mes dents, joueur.

« Ce n’est pas que je n’aime pas ce que nous faisons, mais nous avons une chasse à poursuivre, beau gosse… »

Je lui volais un autre baiser avant de commencer à m’éloigner pour pouvoir remonter sur mon cheval.

Ce qui vient de se passer laisse un silence palpable autour de nous. Même les chevaux restent figés. Mon cœur bat à tout rompre comme si je m’étais battu alors que je n’ai fait que regarder. Je mets quelques temps à décoller mes pieds du sol et à me précipiter sur Flynn. Il ne me regarde pas vraiment au départ, puis je capte enfin l’étincelle dans ses iris, ses pupilles encore dilatées par la puissance de sa Petite Science. Il a l’air exalté, je le sens fébrile sous mes mains, comme si de l’énergie me parvenait directement depuis ses doigts. Je m’attends à ce qu’il me repousse, j’avoue, ça me tenaille le ventre désagréablement. Mais non. Il me regarde comme s’il me voyait pour la première fois et ça me provoque une drôle de sensation. Celle d’être mis à nu, d’être celui que je suis vraiment. Pour lui.

Quelque chose s’envole dans le creux de mon ventre et mon cœur manque un battement lorsque je réceptionne mon Étoile du Nord contre moi. Mon monde est devenu Flynn, son étreinte, son odeur, ses lèvres contre les miennes, le son de sa voix, celui de son rire qui secoue mon âme. Tout m’est devenu vital. La langueur de ses baisers me coupe le souffle. Un long frisson me parcourt lorsque ses doigts accrochent mes cheveux, j’ai l’impression que ma poitrine va exploser. Mes mains s’arriment à lui, mes bras entourent sa taille comme s’il risquait de disparaître et pourtant, il est bien là, à m’envelopper de sa présence, à s’infiltrer sous ma peau, à s’imprimer dans chaque fibre de mon être.

J’ai le souffle saccadé lorsqu’il rompt notre échange. La tête qui tourne, la cage thoracique douloureuse, et pourtant, je me plonge dans son regard dès la première occasion, comme si c’était la seule chose qui pouvait m’empêcher de basculer en arrière. Ses dents tiennent ma lèvre en otage, mais ça ne m’empêche pas de sourire.

Ses paroles me ramènent durement à la réalité, d'autant plus lorsqu’il s’éloigne après m’avoir embrassé encore une fois, je sens un grand vide, un manque. Je me sens perdu, planté là à me demander si ce que je viens de vivre s’est vraiment produit. Mon regard avide de sa présence capte sa silhouette prendre de la distance, bien trop rapidement à mon goût. En quelques enjambées, je le rejoins.

« Flynn. »

Ma main attrape son avant-bras pour le faire pivoter dans ma direction. Mes doigts saisissent prestement son visage, sa mâchoire contre chacune de mes paumes, pour l’attirer à moi, l’embrasser passionnément, une nouvelle fois. Je soupire de bien-être, l’esprit loin de tout, là-haut où les étoiles se cognent entre elles. Lorsque nos lèvres se détachent, je l’observe, mutin, avant de murmurer.

« Je voulais juste être sûr. »

Je m’arrache difficilement à son aura magnétique avant de me diriger vers ma monture et de me mettre en selle. Il est temps de reprendre la route. Mais je me sens agréablement léger cette fois. Je prends les devants envoyant mon cheval au galop, un regard en arrière pour Flynn, l’invitant à me rejoindre. On devrait être tranquilles un certain temps, même si, rien ne nous met à l’abri de recroiser des soldats.


Peu à peu le paysage change, le temps se rafraîchit. L’influence du Permafrost est forte ici. Nous arrivons à Chernast, l’occasion de faire une pause dans une auberge, de reposer nos chevaux et de faire le plein d’informations. J’observe Flynn avec un sourire en coin. Si les choses ont toujours été ambiguës entre nous, quelque chose a définitivement changé, un lien invisible s’est installé, un lien qui me réchauffe, quelque chose d’étonnamment tangible et rassurant dans ce chaos de ressentis. J’ouvre enfin la bouche, mes paroles obligées par notre mission et la promesse faite à un ami.

« On s’arrête ici pour la nuit. Les chevaux en ont besoin. Ça te convient ? »

Je prenais conscience et j’étais, à la fois, encore loin du compte. Tenir Alaric dans mes bras, l’embrasser à en perdre mon souffle, sentir le battement de son palpitant contre ma poitrine, sentir son crâne sous mes doigts, ses mèches de cheveux s'emmêlant entre mes phalanges ; tout cela était comme une évidence qui me mettait à terre.

J’avais peur, pour la première fois depuis des années. J’avais peur de ce que je ressentais, peur de ce que cela signifiait et pourtant, malgré tout, je gardais les bras ouverts. Je me jetais du haut de cette falaise de sensations et j’accusais la chute par les sentiments que j’éprouvais. Que j’éprouvais pour lui.

Finalement, notre échange s’arrêta, nous laissant presque pantois aussi bien l’un que l’autre. Ce n’était pas la première fois que nous nous dévorions les lèvres ainsi, mais c’était assurément la première fois que nous le faisions avec autant de passion et de volonté. Ou peut-être avais-je cette idée en tête parce que la situation n’était pas totalement pareille ? Notre relation ne l’était plus aussi. Plus rien n’était comme hier et j’avais l’impression que l’avenir en serait irrévocablement changé.

Reprenant contenance, je tentais de rester naturel, m’éloignant de lui pour reprendre notre chemin. Il m’appela et je ne pus que me retourner, le voir se rapprocher et poser de nouveau sa bouche contre la mienne. Son baiser me fit tourner la tête et pendant une seconde, je me demandais si ce n’était pas lui le hurleur qui me faisait un baiser de l’Ange. Je gardais les yeux ouverts par je ne savais quel miracle, surpris, mais je ne restais pas sans rien faire non plus. Je le lui rendis, agrippant ses hanches comme on pourrait s’accrocher à la corde d’un bâtiment.

Le baiser se termina bien trop tôt, mais je ne pus que sourire. Sa remarque m’arracha un doux rire et après un clin d'œil complice, nous nous mîmes en selle. Je le laissais prendre la tête, le suivant de près.



Les heures défilèrent au point que le paysage changea. L’air devint plus frais, très frais même, me faisant parfois renifler. J’avais les doigts gelés, mais je ne me plaignis pas et je manquais de pousser un soupir de soulagement lorsqu’il proposa de s’arrêter. Les balades à cheval, c’était chouette, mais la taverne, c’était mieux !

« On a fait une bonne partie du trajet, on peut s’offrir un peu de repos ici j’pense. »

Bien que je doutais fortement que l’on se repose. J’allais poser un pied dans l’établissement, me régaler avec de la nourriture de piètre qualité, mais qui allait descendre toute seule avec un peu d’alcool. J’imaginais déjà m’incruster dans un petit groupe de musiciens, chanter, danser et finir à califourchon sur Alaric - pas devant tout le monde, ça serait un spectacle qui mettrait les glandes à la plupart des gens.

« Et j’ai la dalle ! Tu m'invites ? »

Comme si c’était une excuse, je passais devant lui et entrais dans la taverne, cherchant une table de libre.
Je ne me doutais pas un seul instant que nous étions poursuivis par les mercenaires que nous avons laissé à Os Kervo. Ni même qu’ils voulaient notre peau pour avoir tué l’un des leurs. Non, vraiment, j’étais loin d’imaginer que nous allions devoir nous battre avant même de poser notre tête sur l’oreiller.



La nuit devenait reine, la lune éclairant le chemin à travers les sapins. Un groupe d’hommes était arrêté, observant les traces de sabots, traquant deux pirates qui, eux-mêmes, traquaient. Ils se rapprochaient de leurs proies et en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, ils étaient aux portes d’une auberge.

L’esprit tourné vers notre mission, dans un coin de ma tête, nos derniers baisers se rappellent pourtant sans cesse à moi, et je ne peux m’empêcher de lui lancer des regards, ignorant le froid qui me mord les doigts. Je ne me permets aucune remarque à ce sujet, je me doute bien que ses mains sont dans le même état, mais je sais aussi qu’il est trop fier pour s’en plaindre. Les mains calées dans la crinière, contre le pelage du cheval, ça rend les choses moins difficiles. Je suis presque surpris qu’il accepte aussi facilement de s’arrêter. Lui qui était prêt à retourner tout Ravka en une seule journée hier. Je souris avant de rire à sa requête.

« Avec plaisir. J’ai faim moi aussi. »

Mon regard équivoque indique que mon estomac n’est pas le seul à avoir envie de se repaître. Mais je n’insiste pas et le laisse passer devant moi, appréciant la vision de son derrière rebondit, le suivant de près dans la chaleur de la taverne.

Aussitôt le brouhaha ambiant nous envahit. Je laisse Flynn nous chercher une table pendant que je vais aussitôt passer commande, embarquant des boissons en attendant. Je les dépose sous son nez avant de m’asseoir tout sourire.

« On est loin de Ketterdam ici, ça se sent. Ça manque un peu d’ambiance non ? »

Je trinque avec lui, l’observant à la dérobée. Il y a quelque chose qui a définitivement changé chez lui, et malgré la fatigue évidente sur son visage, il dégage une énergie folle. Je dépose ma boisson, pose mes coudes sur la table et me penche vers lui, une fois qu’on enfin été servis.

« Tu as prévu de donner une prestation publique ? »

Mon sourire s’étire, amusé et taquin. Le regard pétillant. J’aime l’entendre chanter, jouer de la musique, le voir danser. Son côté artiste atteint mon âme mieux que personne, et pourtant, j’en ai rencontré des artistes, mais lui, il me touche là où personne ne m’a jamais touché.

- Le connard qui a tué ton frère est dans le coin, j’en suis certain.
- Il me tarde de lui mettre la misère, il va souffrir.
- Boss, y’a une auberge là. Tu penses à ce que je penses ?
- Ouais ils sont forcément là ces salauds, à s’empiffrer grâce à notre fric en plus.

Le groupe d’hommes pénètre dans la taverne, le regard vif, parcourant la foule à la recherche de leurs cibles. Et sans attendre le chef de la bande repère le visage beaucoup trop insouciant de celui qui a pris la vie de Frank au fond d’une impasse.  Il n’attend pas et d’une démarche agressive il se rend à leur tablée pour attraper Flynn par le col, lui crachant sa haine et des menaces de mort à la figure sous les regards étonnés et effrayés des autres clients.

Sous la table, discrètement, je fais jouer mes doigts pour provoquer à cet homme un malaise. Je ne veux pas qu'on nous accuse de créer des problèmes ici. Je n'ai pas vraiment le temps de passer à l'acte, une lame se loge contre ma gorge, menaçante.

« Même pas en rêve. Vous allez gentiment nous accompagner dehors. »

Il se penche à mon oreille pour me chuchoter les mots connards de grishas.

Je souffle mon accord, le regard fixé sur Flynn. J'ai confiance en nous, on peut se sortir de cette mauvaise passe, et ... je n'ai pas du tout envie de finir égorgé au-dessus d'un bon repas en face de l'homme que j'aime.

Croisant nos regards, je ne pus retenir mon sourire de se faire en coin. Il ne loupait pas une occasion de montrer son désir pour ma personne et ça avait comme un goût naturel sur ma langue. Mon regard pétilla de malice et le bout de ma langue, joueur, passa le long de ma lèvre supérieure, caressant quelques dents au passage.

« Profite de l’amuse-bouche. »

Haussements de sourcils, j’en profitais pour passer devant, lui laissant le loisir de me dévorer du regard. L’endroit n’était pas aussi jovial qu’une taverne à Ketterdam, mais ça ferait l’affaire. Je cherchais une table et m’installais non loin de l’entrée, dégageant les miettes de pain qui traînaient comme si j’en avais quelque chose à faire. Alaric me rejoignit avec les boissons et j’attrapais ma chope, soudainement assoiffé. Nos verres trinquèrent et je bus de longues gorgées.

« C’est clair que l’ambiance est pas terrible. »

Mes yeux observèrent les alentours. Ça ressemblait clairement à un repère de mercenaires, plus qu’autre chose. A tout moment, une bagarre éclatait dans un coin et les paris se faisaient.

« Je croyais qu’on devait être discret ! »

Mon sourire se fit amusé avant que je ne poursuive.

« Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, mais mieux vaut se ravitailler et se barrer loin d’ici. »

J’avais comme l’impression que les problèmes allaient encore nous tomber sur le coin de la mâchoire. Ça me rendait alerte, mais je mis cette impression de côté lorsque notre repas se posa en face de nous. L’estomac avait tout…
À peine à la moitié de l’assiette que les ennuis revenaient en trombe. Avant même que je m’en rende compte, j’étais menacé, par-derrière, un couteau me grattant la peau. Je ne bougeais pas d’un iota, mon regard se relevant uniquement vers Alaric et les connards que nous avions dupé un peu plus tôt dans notre aventure. Plusieurs possibilités me vinrent à l’esprit, mais la lame sous mon menton me fit lever les mains en l’air à contre-cœur. On m’obligea à me lever et à sortir de l’auberge. Adieu repas…

Recevant un coup de pied dans le cul, je faillis embrasser le sol en accusant le coup. M’époussiérant, je me plaçais devant Alaric, prêt à user une nouvelle fois de ma petite science si cela était nécessaire.

« Vous pensez que vous êtes suffisamment nombreux contre deux pirates ? J’suis un Shark et c’est le capitaine du Kraken. On va vous éclater, amenez-vous. »

Mains devant, je les provoquais un peu plus en leur faisant signe de venir, jusqu’à ce que l’un d’entre eux éclate et se rue vers moi, son arme blanche dans les airs. Mes pieds bougèrent naturellement, en défense, et d’un mouvement fluide, je parais l’attaque. Coup dans le ventre puis, dans la mâchoire, l’assaillant gémit au sol, désarmé.
Mes doigts dansèrent, appelant ma petite science, mais il semblerait que j’avais épuisé pas mal d’énergie. Je ne réussis qu’à faire se lever une petite brise qui ramena de la poussière dans les yeux de deux d’entre eux. Le combat se poursuivit jusqu’à ce qu’il soit tous par terre, regrettant - ou pas - leur attaque. Je me tournais alors vers Alaric.

« Tu crois qu’ils ont gardé nos assiettes et nos chopes ? »

Non parce que j’avais encore faim et soif moi…
Soudain, mon regard fut attiré par l’un des hommes qui se releva. Un couteau à la main, il le lança vers mon amant.

« Attention ! »

Je me jetais sur lui, le décalant pour qu’il esquive le projectile. La lame frôla ma joue sans que je sente la blessure. J’étais trop occupé à mettre mon pied dans son visage, l'assomant.

« C’est possible d’être tranquille plus de cinq minutes ?! Reste à terre. »

Je me tournais de nouveau vers mon compagnon de voyage et me rapprochais de lui.

« Ça t'a coupé l’appétit ? »

Sourire joueur, je ne pouvais pas m’empêcher de le titiller en dépit de la situation.