Si tu pensais vivre une vie de château, oublie. [TW]

Le monde est et sera toujours cruel. C’est une leçon de vie qu’Ace a appris au plus tôt dans son enfance. Peut-être que c’était un signe, de naître pendant le carnaval des monstres. Peut-être que seul un monstre pouvait naitre à ce moment là. A vrai dire il sait pas. IL a jamais su et c’est pas son délire, les introspections chelous sur sa vie passée. Parfois il le fait, un peu sans le vouloir, quand un truc lui fait penser à son pater. Mais c’est jamais agréable. Et c’est ce qui est exactement en train de se passer, alors que son poing vient se ramasser sur le visage de ce type, un connard qu’Ace connait absolument pas. Il a des faux airs de son père, à se tenir là, comme un type important, au milieu de Ketterdam. Qui fait ça, sincèrement?! Cette ville est un vrai enfer pavé de mauvaises intentions. Personne s’en cache à vrai dire. William Ivanov le premier. Son père, cette enflure, c’est le genre de type que la plèbe aimait le moins croiser. Le genre bourré de thune qui peut tout acheter, que ce soit un manoir super cher, la mort du boucher du coin juste parce que sa tête lui revenait pas ou un harem de filles de joies. Et s’il les rendait en morceaux, les filles, personne trouveraient à redire. Personne lui disait jamais rien, à son père. C’était ça, de vivre dans un monde aussi pourri que le trognon d’une pomme dans un caniveau. Lui, lui il avait mangé la pomme. Et eux, pauvres bougres, devait grignoter le trognon.

Ace se prend un coup bien placé dans la mâchoire qui lui fait pivoter la tête, un peu. Il pense un instant à faire flipper le gars, d’un claquement de doigts, une petite étincelle et hop embraser la soirée avec sa colère. Mais non. Non. Il peut se contrôler. Ce pouvoir, ce truc en lui, ce tourbillon de feu, il faut qu’il se le garde. Pour les au cas ou. Pour les moments où il pourrait pas être assez fort. Ou juste pour s’entraîner, pour plus tard. Le type est pas assez fort, de toute façon, pour qu’il ait besoin de faire appel à son “don”.
Il entend qu’on l’appelle, quelque part sur sa gauche, et le grisha croise le regard d’une fille. C’est une fillette, il a l’impression. Elle est frêle, elle tient à peine sur ses jambes, un peu comme un animal qui vient de naître. Et pourtant, elle appartient déjà à la rue. Elle donne déjà son corps contre de l’argent et elle s’est déjà fait vider les poches par des connards comme celui qu’Ace est en train de boxer. Et ses yeux lui rappellent sa mère.

Il a pas beaucoup de souvenirs d’elle, sa mère. C’est le genre de truc qui arrive, quand une femme de bonne famille épouse un mec trois fois plus vieux qu’elle…bon Ace exagère. Mais quoi? Elle sortait probablement de l’adolescence. Et ensuite, pop, le voilà, bébé rutilant qu’il était. Il pense qu’elle l’a aimé, sa mère, mais pas autant qu’elle aimait la drogue et les substances. Mais il a jamais pu lui en vouloir, parce que la maison et la vie que son père lui avait “offert” (la bonne blague) était un vrai cadeau empoisonné. Son père lui a mis la bague au doigt comme on aurait pu lui mettre des fers aux pieds. Elle est morte le jour où il l’a salit. Elle est morte pour de vrai pendant le carnaval des monstres des six ans d’Ace. Overdose apparemment. C’est aussi la première fois qu’il a manifesté ses pouvoirs de grisha. C’était pas beau à voir, il parait, mais il s’en souvient plus. Tout ce dont il se souvient c’est ces yeux. Ces yeux sans vie, vides. Vides, mais libres finalement. Et puis après l’enfer qui s’est déferlé sur lui, pendant des années.

L’homme qui lui fait face, la raclure, est par terre. Il respire à peine, mais il respire, roué de coups. Ace récupère les affaires de la petite, lui tend et lui dit d’un air peu amène de dégager. Il est pas la pour faire dans la charité, Ace. Il crache sur le déchet humain, à terre, lui adresse pas la parole, c’est pas utile, et sort de ses poches une boite métallique -des cigarettes- avant de s’en allumer une d’un claquement de doigts. Franchement, ce dispositif de bagues de phalange lui a coûté cher, mais il ne s’en sépare jamais, bien trop content de pouvoir utiliser son feu n’importe quand.

Ace soupire, retourne “chez lui” dans la maigre chambre qu’il loue pour pas grand chose. La soirée est finie et le jour baigne son pays d’un air maussade, comme d’habitude. Il se sert d’une bassine d’eau présente dans la pièce pour se nettoyer les mains et le visage, avant de se laisser tomber dans son lit, tout habillé. Les yeux de cet homme ne veulent plus quitter sa tête. Les yeux de son père ne veulent plus quitter son esprit. Ils y sont tatoué au fer rouge.

Le grisha soupire, se tourne et se retourne alors que la lumière envahit la pièce bien vétuste. Il pourrait y être entré hier et rien n’aurait été différent. Mais il habite dans cette chambre depuis des années maintenant. C’est juste une habitude qu’il a prit, dans la rue, d’avoir toutes ses possessions sur lui. Et ça fonctionne. Il se lève, agacé, tire les rideaux d’un geste vif avant de se recoucher et de refermer les yeux pour retrouver ce regard.

Il pourrait vomir d’effroi face à ces deux yeux bleus, glaçants. Tout comme il n’a presque pas de souvenirs de sa mère, il se souvient de son père comme s’il l’avait vu tous les jours depuis sa naissance. IL sait pourtant, qu’il y a peu de chances qu’il le croise, que ce fils de chien ne se mélange pas avec le petit peuple. Et pourtant, pourtant la peur le tient réveillé. C’est cette peur qui l’a animé pendant toute son enfance. Toujours être sur ses gardes, attendre les coups, les mots qui claquent son esprits et son âme, vifs, incisifs, qui le marquent à tout jamais comme le métal au bout de la ceinture. Comme le pommeau de la cane de son père. Toujours attendre le prochain soir où l’homme viendra se décharger de sa frustration sur lui, en lui, faisant disparaître le peu de son enfance qui avait pu exister dans les bras de sa mère. Il ferme maintenant les yeux si fort qu’il voit des étoiles blanches danser sous le couvert de ses paupières. Mais ce bleu glacial ne disparaît pas. C’est pour ça qu’il aime Ketterdam. Tout est sale ici. Et quand il ne pleut pas, il fait assez nuageux pour ne pas voir le bleu du ciel. Il déteste le bleu, Ace. Il sait que c’est ridicule mais il peut pas faire autrement.

Penser à autre chose. Penser à autre chose… Et puis merde. D’un geste souple, le blond se relève et quitte sa chambre comme s’il n’y était jamais entré, en premier. C’est pas ce matin qu’il va dormir. Autant faire autre chose. Quelque chose d’utile. Il descend les escaliers, salue à peine la tenancière de l’établissement avant de se glisser dans les ombres de la ville. On dirait qu’il va pleuvoir. Encore une journée normale. En marchant il salue rapidement deux trois personnes de la tête, un crow, un type qu’il a vu la veille et puis une femme, qu’il croit avoir pris au détour d’une ruelle mais impossible de se souvenir réellement. Et puis il pense, encore, au moment où il est parti. Quand il a choisi, à douze ans, que soit c’était la rue, soit c’était la mort parce que son père…son père était pire que l’enfer. Putain. Il se dit qu’il aurait dû faire ça bien avant. Même s’il sait. Il sait qu’il avait passé son temps à crever de peur, sous les gouttières, sous les ponts. N’importe où. Et puis, il se souvient pas trop comment, la peur s’était transformée en colère. En fureur. Il en voulait au monde entier, son père en particulier mais aussi à lui-même d’avoir laissé faire.

Même aujourd’hui, alors qu’il se dit que sa seule manière d’avoir emmerdé son père toute ces années, c’est de s’être entraîné en secret sur son don, pour devenir le monstre que son père disait qu’il était, aujourd’hui il trouve ça léger. Ace s’engouffre dans une rue, en direction d’une autre, plus fréquentée, à la recherche de nourriture. Au diable son père. La vie continue.