Once Upon A Time [/!\ TW ESCLAVAGE]

Le livre s’ouvre, et comme à l'accoutumée, le silence se fait. Il racle sa gorge alors que les enfants se calment et que les plus proches de lui se resserrent contre ses flancs. Le feu craque et la brise court dans les feuilles des arbres.

-Je crains mes amis, que cette histoire ne soit pas nouvelle. Mais Mary, ici présente, a gagné aux quilles le droit de choisir et la plupart d’entre vous sait que c’est sa préférée. Alors commençons.

Un bruissement de contestation s’élève dans l’assemblée mais à peine a-t-il levé la main que déjà, déjà le silence revient et se révèle à eux. Son index et son pouce droit pincent la feuille, la tournent avec délicatesse et après avoir fait retomber la page contre sa couverture, dans un joli bruit discret, il lève les yeux de nouveau vers la petite troupe.

-Il était une fois, car c’est ainsi que commencent toutes les histoires, un petit prince. Il était beau, poli, toujours bien habillé et respectueux des gens à qui il le devait. Son père menait un royaume d’une main de fer. Il était plutôt cruel, le roi de ce royaume, mais l’enfant, comme souvent un enfant peut le faire, buvait chacune de ses paroles comme il l’aurait fait avec celle d’un sankt. Et cet enfant, comme seul un enfant peut le faire, aimait profondément son père, parce qu’il était son père, son parent. Sa mère, pour le bien de notre récit, n’a ici aucune importance, mais son père, oh son père pour le jeune prince, était aussi important que le soleil.

Il prend une pause, un sourire un peu passé, sur le coin des lèvres, alors que déjà certains enfants regardent leurs parents, les yeux pleins de foi, se reconnaissant dans le récit. Oh oui, qu’il avait aimé son père. Il aurait pu tout faire pour le contenter, il aurait tout donné, même son humanité. Peut-être même l’a-t-il fait. C’était il y a longtemps, ce serait si facile d’oublier. Mais il se souvient, il se souvient de tout. Il tourne la page lentement, captant de nouveau le regard des enfants.

-Ce royaume, contrairement à notre réalité, n’était pas une terre contrôlée par un roi de génération en génération, non, le roi avait créé son royaume, et une fois que ce fut fait, il fallait le peupler. Il avait besoin de gens forts, le roi, de gens uniques qui pourraient l’aider dans son entreprise de créer quelque chose de plus grand, plus grand que lui et plus grand encore que le petit prince. Un héritage que le prince pourrait faire continuer, de génération en génération, comme les rois d'antan, comme les rois d’ici. La vérité, c’est que pour faire fonctionner ce genre de royaume, il fallait beaucoup de travail et le roi n’était pas du genre à se salir les doigts… mais comme personne ne voulait venir habiter son royaume, il décida de forcer les gens à venir. Et ça tombait si bien…

Il tourne une autre page, regarde les enfants qui attendent avec attention. Il n’est pas très tard, la nuit vient juste de tomber et, dans les colonies du sud, c’est le moment le plus agréable de la journée. Sa chemise en lin s’ouvre, se referme au gré du vent léger qui s’engouffre dans les plaines.

-Voyez-vous le pays sur lequel se trouvait le royaume abritait des êtres doués d’une magie qui les rendaient exceptionnels. D’aucun les disaient bénis, d’autres pensaient tout le contraire mais ces êtres d’une nature autre étaient la clé du roi pour obtenir un royaume prospère. Malheureusement, comme souvent lorsqu’on est ignorant, ces êtres étaient chassés pour leur magie, à cause d’elle. On les capturait, on les traquait, parfois même on les exterminait. Et le roi, qui je le rappelle était quelqu’un de profondément cruel, avait construit son royaume grâce à ces horreurs. Oh, bien sûr, il n’aimait pas faire les basses besognes, comme je vous l’ai indiqué il y a quelques minutes si bien qu’il décida de faire autrement. Il trouva quelqu’un qui avait capturé des êtres de magie et les lui acheta. Comme on achète un vulgaire pain au marché. Et puis, et puis il les rapporta dans son royaume, les mit au travail et c’est ainsi qu’il le fit prospérer. Les êtres de magie comprirent vite qu’ils n’avaient plus droit à la liberté. Et si l’un d’eux tentait de s’enfuir, de se révolter, ou même de répondre au roi, il était immédiatement exécuté, pour l’exemple. Et si l’un d’eux usait de sa magie devant le roi ou sa petite cour, il était aussi tué. Parce que les êtres de magie étaient considérés comme des abominations.  Le petit prince n’était pas encore né… il n’existait pas encore. Si bien que, quand il vint au monde, le royaume existait déjà. Et les êtres de magie étaient déjà à son service. Et comme le petit prince était un garçon obéissant, et comme il aimait son père si fort, il accepta qu’on puisse vivre ainsi. Qu’on puisse malmener ainsi. Qu’on puisse dégrader ainsi.

Il tourne la page alors que ses paupières se ferment lourdement. Il sait. Il sait que ce qu’il fait est mal. Il sait qu’embellir autant la vérité ne fait que renforcer sa culpabilité. Mais le besoin d’expliquer, celui de se trouver des excuses a toujours été plus grand. Alors il rouvre les yeux et reprend la parole.

-Il vécut les dix premières années de sa vie au contact des êtres de magie. Au contact du roi aussi, qui lui apprit à quel point ces gens-là n’étaient que des moins que rien, qu’ils ne méritaient pas plus de considération que leurs chiens. Et il le crut. Il le crut. Et pourtant, pourtant au fond de lui, le prince savait qu’il y avait un problème. Parce que ses amis, les enfants que son père achetait pour devenir de bons travailleurs plus tard, ses amis là lui étaient précieux. Et sa gouvernante aussi. Elle avait la magie guérisseuse, les baisers magiques qui pouvaient venir à bout de tous les maux. Elle était si douce avec le prince et à chacun de ses progrès, à chacune de ses réussites elle ne manquait pas de lui rappeler à quel point elle était fière de lui. Il aurait pu vivre toute sa vie ainsi, le petit prince, et l’histoire aurait prit fin mais…

Parce qu’il y a un mais. Un si grand mais qui lui a fait repenser toute sa vision du monde à l’âge de onze ans, puis de quinze… Grizelda. Elle s’appelait Grizelda. Et par bien des aspects elle lui a sauvé la vie. Elle lui a rendu la liberté, une liberté qu’il n’avait même pas conscience d’avoir perdue. Il tourne la page.

-C’était un jour d’été, chaud comme on en connaissait peu dans le royaume et, comme à l’accoutumée, le prince jouait avec ses sujets. Les enfants qui n’étaient pas encore assez grands pour aller travailler dans les mines royales étaient restés avec lui. C’est là qu’il se fit mal, le petit garçon, et avant même que la gouvernante du prince n’ait le temps de faire quoique ce soit, celui-ci se précipita sur l’enfant qui pleurait de tout son saoul, le prit dans ses bras, murmurant milles paroles réconfortantes, la main sur le bras tailladé de l’enfant. Quand la gouvernante réussit à les séparer, ils constatèrent que la blessure avait disparu. On aurait pu croire à un tour de l’esprit mais le sang, le sang était resté. Le destin du prince était désormais scellé: lui aussi était né avec de la magie.

Il relève les yeux du livre joliment manufacturé, un cadeau de l’un de ses protégés pour qu’il puisse raconter cette histoire que les enfants aiment tant, cette histoire qui est la sienne. Et ses yeux survolent l’assemblée, croisent ceux, pleins de sagesse, des personnes qui ont vécu cette histoire avec lui et ceux, plus innocents, qui la découvrent pour la première fois.

-Il ne pouvait rien dire à son père, c’était inconcevable parce que s’il l'apprenait, le petit prince craignait de devoir partager la condition de ses amis. Et c’était une condition qu’il ne souhaitait à personne. Il lui fallut plusieurs années, plusieurs mois de cachotteries sur sa propre magie, plusieurs mois d’entraînements de ladite magie mais surtout, il lui fallut énormément de temps pour comprendre, réellement, ce que faisait le roi. Il privait les gens de leur droit fondamental: celui d’être libre et de pouvoir être eux-mêmes. Ce qui fut déterminant, les enfants,  ce fut la perte d’un être cher. Grizelda. Sa gouvernante. Elle était…

Il se tait un instant. C’est toujours si difficile de parler d’elle. Ses yeux s’embuent doucement et le monde devient flou alors que son esprit se remémore. Elle était comme un rayon chaud de soleil dans un jour glacé d’été. Elle était la mère qu’il n’avait jamais eu. Elle était tout ce qu’il pouvait avoir de plus précieux et son père, ce fils de chien, cette raclure le savait. En avait témoigné. Avait jalousé cette relation sans jamais vraiment en vouloir une semblable.

-Elle était la mère que tous les enfants du monde pourraient vouloir. Et elle était un très bon professeur.

C’est si peu à dire mais c’est tout ce qu’il peut faire. Il prend une grande inspiration.

-Le petit prince n’était plus si petit. Il était déjà bien avancé dans sa quinzième année quand le roi, pris d’une rage soudaine, décida d’éliminer Grizelda. Un jour elle était là, le second elle n’était plus, privant le prince de tous ses repères. C’est là que tous ses doutes et toutes ses questions prirent sens. Et le prince commença à travailler. Il apprit, apprit et apprit. Montra à son père à quel point il était fiable. Lui donna confiance en lui plus qu’en quiconque. Et, le moment voulu, le prince se débarassa du roi.

Il lève la tête soudainement, fait le signe de la gorge que l’on tranche alors que les enfants sursautent de surprise. Un rire doux s’échappe de ses lèvres, vite suivi par ceux, moins discrets, de certains des adultes présents. Il a fait tant de choses, tué tant d’esclaves lui-même pour pouvoir prouver à son père à quel point il était digne de confiance. Et puis, un verre. Il a suffit d’un verre. Et de ce sourire malicieux dont il ne se départit jamais. Parfois, parfois, il rêve de ce qu’il a dit à son père ce soir là. “Te souviens-tu de ce que tu m’as appris? Reste proche de tes amis, encore plus de tes ennemis…je crois que tu aurais dû rester proche de moi, mon père”. 

-Une décision importante se posa pour le prince alors âgé d’environ vingt ans: abandonner le royaume, le détruire et laisser ces gens rentrer chez eux, dans un endroit qui n’existait peut-être plus ou alors prendre la suite de son père. Et, contre toute attente, c’est ce qu’il fit…En apparence, rien n’avait changé. Son père avait officiellement été assassiné et el prince cherchait toujours le coupable, il parcourait le monde pour acheter des êtres de magie, achetait ceux qui étaient…particuliers. Les enfants, les personnes âgées, ceux dont personne ne voulait et qui étaient destinés à être exterminés. Mais il achetait aussi ceux dont la magie était exceptionnelle ou se manifestait d’étrange façon. Il collectionnait les êtres de magie et bientôt, c’est le nom qu’on lui donna. On lui attribua une cruauté sans nom, considérant qu’il collectionnait les âmes faibles pour mieux pouvoir les exterminer, et les êtres insolites pour pouvoir les torturer. Mais la vérité était tout autre. Le prince avait fait un choix.

Il lève la tête de nouveau de son livre et son regard croise celui de l’enfant. Ce qu’il y voit lui plait, tout comme ce qu'il voit dans les yeux de ceux qu’il a pris sous son aile. La gratitude, un amour sans fond, la sécurité.

-Il avait choisi de conserver le royaume mais d’en faire, contrairement à son père, un foyer pour toutes ces âmes égarées. Il voulait que son royaume devienne un refuge pour les êtres de magie qui prenaient tant de risques à être au dehors et surtout, encore plus même, pour ceux dont la vie était entre les mains de ceux qui les considéraient moins qu’une miche de pain. Alors il se mit au travail. Fin.

Il ferme le livre dans un “clap” sonore qui semble réveiller les enfants qu’il entend déjà râler que “ce n’est pas une fin ça”, “et ensuite?”, “Seigneur Ulrich ça ne peut pas se terminer comme ça!!”. Il se met à rire, avant de caresser la tête de Mary, gentiment.

-Il n’y a pas de fin parce que les rumeurs disent que le prince continue encore sa lourde tâche, tentant de mettre à l’abri le plus de monde possible. Ce qu’il faut retenir les enfants c’est qu’on peut toujours être mieux, faire mieux, aider le plus possible, même si à la base on a pas appris à le faire. Allez…

Il se lève, s’étire, et sourit à l’assemblée alors que déjà les parents rassemblent les enfants.

-Il est temps d’aller se coucher. Demain va arriver plus vite que nous le pensons et la fraîcheur monte.

Une main sur son épaule le fait se retourner alors que son regard plonge dans celui du petit garçon de l’époque, celui qui a scellé son destin, son meilleur ami aussi et son sourire se fait plus doux encore alors que son regard balaie son visage avant de regarder derrière lui les trois autres personnes qui l’accompagnent. Ils sont ses quatre as, ceux qu’il conserve toujours dans sa manche. Ses meilleurs atouts, ses meilleurs amis, sa famille la plus proche.

-Rentrons à la maison, les amis.

C’est bras dessus, bras dessous avec son as de pique que le prince se dirige vers la plus grande maison de la propriété. Demain est un autre jour. Il y a encore du travail.