[FLASHBACK] Il faut le croire pour le voir (pv. Arkadiusz à Novyi Zem)

Novyi Zem, terre promise par delà la vraie mer. C’était la première fois que Nalini voyageait sur les flots : elle avait respiré l’air marin, tangué au rythme des vagues. La plupart du temps, les suli foulaient la terre ferme lors de leurs périples, l’eau n’était pas leur élément. Mais son peuple s’adaptait à toutes les situations, aussi elle n’eut aucun mal à apprécier la traversée. 
Cette expérience nourrit sa curiosité et lui donna envie d’appartenir à un équipage. 

Mais pour le moment c’était le peuple Zemini qui accaparait son attention. Nalini avait beaucoup lu à leur propos, elle s'était renseignée. Elle en avait même rencontré quelques uns dans les contrées ravkanes mais pour mieux s'imprégner de leur culture il lui fallait les rejoindre.

Il faisait chaud dans la capitale ce jour-là. La jeune suli avait noué ses cheveux avec un ruban dans l'espoir de garder sa nuque fraîche. Le monde autour d'elle était en efferscence, tous ses sens en éveil. De l'odeur des fruits aux bruits de calèche tractant diverses denrées.
Beaucoup de marchands ravkans se retrouvaient ici, sur la place qu'elle avait choisi. Du reste, une langue pour le moment nouvelle lui parvenait aux oreilles. Nalini ne connaissait que quelques mots en Zemini, pas assez pour tenir une conversation mais déjà efficaces pour se faire comprendre. D'ici quelques mois, son niveau aurait sans nul doute augmenté, cette jeune polyglotte savait apprendre rapidement.

Par conséquence ce matin là, Nalini eut du mal à ramener des clients. Son stand de fortune étalé sur une grande nappe par terre ne semblait pas attiser la curiosité. Les raisons ne manquaient pas à cet échec : son élocution bancale en Zemini, son appartenance suli surement rare par ici et bien sûr la nature des services qu'elle proposait. Nalini vendait ses dons de diseuse de bonne aventure. Elle commençait toujours ainsi pour récolter un peu de vivres et acheter par la suite des matériaux utiles à ses remèdes (qu'elle pouvait vendre plus chers).

Heureusement ce n'était pas la première fois que Nalini s'heurtait à la réticence des autres, de ce fait la jeune suli avait plus d'un tour dans son sac. La belle suli observa la foule, jaugea la fréquentation, évalua plusieurs critères plus ou moins arbitraires avant de choisir sa cible. Comme un coup du destin. Un grand gaillard, aux cheveux blonds presque blancs, élancé. Sans crier gare, elle l'interpela.

"Jeune homme !" dit-elle en Zemini. Nalini esquissa un mouvement de la main pour montrer qu'elle s'adressait bien à lui. Elle attendit qu'il la regarde pour continuer.

"Oui vous." Un sourire doux et radieux orna ses lèvres.

"Si vous faites mine de vous y intéresser, je vous paierai un verre dans une taverne voisine !" continua-t-elle en ravkan. Elle parlait evidemment de son stand. Lui arrivait-il souvent d'acheter les autres ? Oui c'etait son fond de commerce. Si personne n'osait l'approcher, il fallait simplement qu'elle trouve quelqu'un pour faire le cobaye. Elle ne le ferait pas payer mais ça lui permettrait de rassurer et d'inciter ceux qui n'osent pas à la regarder en action.

"Alors plutôt tirage relationnel, ambition ou introspection ?"

Pourvu qu'il se laisse tenter.

« Ark...va faire un tour. »

J’abandonnais le four et la pâte à pain à la demande de mon père. Il voyait bien que je tournais en rond. Je piétinais sans savoir pourquoi. Toute pensée me pesait en ce moment. J’étais particulièrement agacé de ne pas réussir à atteindre les attentes de mon père. Et plus encore, je savais qu’il me cachait des choses sans avoir la moindre idées desquelles. Et j’avais l’intime conviction que ça me concernait. Si bien que ça me mettait mal à l’aise. Mais mon père était une tête de mule, je pouvais toujours essayer de lui arracher des informations…

Une fois à l’extérieur, mon sac en bandoulière à l’épaule, je me dirigeais dans le village pour le traverser et rejoindre le bois où se trouvait Ola. Ma petite chouette était celle qui me recentrait efficacement quand ça n’allait pas. Mais avant d’arriver à elle, je devais traverser plusieurs rues bondées et ça ne m’enchantait guère. Il y avait tout un tas de marchands qui essayaient de vendre leurs articles en criant après les passants. Mais c’était le chemin le plus court.

Je grognais lorsqu’en essayant de passer entre deux individus qui prenaient toute la place devant un stand, on m’interpella. Impossible de faire croire que je n’avais pas entendu. Mon expression m’avait trahi. Je tournais ma tête vers celle à qui appartenait la voix et rencontrais un sourire si éblouissant que j’en étais un peu désarçonné. Je n’eus pas le cran de l’envoyer paître et m’approchais, une grimace sur le visage qui ressemblait à un sourire crispé.

J’étais un peu curieux tout de même, elle avait un accent qui signifiait qu’elle n’était pas plus originaire de Novyi Zem que moi, et j’étais quelqu’un qui adorait voyager, même si on pouvait penser le contraire lorsque je ronchonnais en suivant mon père sur les routes. Mais Novyi Zem était notre port d’attache depuis si longtemps que je me sentais zemeni moi-même. J’arquais des sourcils intrigués alors qu’elle enchaîna en langue ravkanne. Comment pouvait-elle savoir que je parlais le ravkan ? Peut-être tentait-elle le tout pour le tout, vu ma tête, ce n'était pas étonnant au final. Je m’installais en face d’elle, assis en tailleur, les bras croisés. Utilisant également la langue ravkanne, je répondis.

« Est-ce que vous êtes vraiment capable de prédire l’avenir au moins ? »

Je décroisais les bras et indiquais ses cartes et autres méthodes divinatoires d’un geste de la main. Sans regarder la tête des gens autour, je scrutais le visage de l’étrangère pour savoir si elle disait vrai. Elle était très jolie et avait un côté bienveillant sans que je ne sache trop dire pourquoi. Je crois que c’est ça ce qu’on appelle les ressentis au premier abord. Je la sentais maligne mais pas mauvaise. J’ajoutais, décidant de la tester.

« Partons sur de l’introspection. Il y a une question qui me taraude depuis quelques années, est-ce que je cours après une chimère ou est-ce que j’ai une chance de résoudre ça à l’avenir ? »

Je restais volontairement vague, curieux ce voir ce qu’elle allait deviner. Je ne pouvais de toute façon pas dire ouvertement que j’étais un grisha raté. Pour de nombreuses raisons. Mon regard détailla ses expressions puis se focalisa sur ses gestes. Alors que quelques minutes plus tôt j’étais parcourut de fourmillements,  incapable de rester en place, je me sentais étonnamment calme en sa présence, comme en état de méditation et je devais reconnaître que si c’était troublant, c’était fort appréciable.

Son instinct, c’était ce qui faisait d’elle une excellente diseuse de bonne aventure. Aussi surprenant que cela puisse paraitre. Comme un sixième sens, un don du ciel. Nalini analysait d’un regard ceux qui voulaient en connaître plus sur leur propre destin. Une tâche de rouge à lèvres sur un col blanc, un poil d’animal ou un brin de paille : tout pouvait lui servir à construire ses déductions.
Cette fois là ne fit pas exception, face au jeune homme devant elle. La suli l’avait vu au loin et avait choisi de croire qu’il saurait lui répondre en ravkan. Un pari gagné lorsqu’il prit la peine de lui répondre.

Du revers de la main, Nalini lissa les plis de sa nappe. Elle rangea sur le côté ses bâtons d’encens ainsi qu’une petite coupe en alliage qui lui permettait de ramasser son argent. En invitant son client à se pencher vers elle, la jeune suli rassembla les cartes qui jonchait le sol et commença à les mélanger avec dextérité.

« Est-ce que vous êtes vraiment capable de prédire l’avenir au moins ? » La question résonna en elle et lui soutira un sourire malicieux. Il n’était pas le premier à l’interroger et surement pas le dernier.

« Il faut le croire pour le voir. » rétorqua-t-elle du tac au tac sans lever les yeux. Y croyait-il seulement ? Un esprit fermé aux changements ne les verrait jamais venir, c’était ce que ses tantes lui avait appris. Une carte tomba d’elle-même sur le côté et se révéla lorsque le jeune homme termina sa question. Les cartes avaient parlé. Nalini fit mine de réfléchir un instant, réellement intéressée par la signification de cette arcane. Un arbre inversé. Tout bas, elle répondit.

« À l’envers. Cela signifie que vous ne cherchez pas au bon endroit. Ce qui vous trouble ne se résout pas car vous regardez dans le mauvais sens. » Elle semblait très sérieuse lorsqu’elle s’exprimait ainsi comme si les cartes lui confiait réellement quelque chose, tout bas et qu’elle devait se pencher pour l’entendre.

Sans attendre, elle fit à nouveau disparaitre les cartes sous ses mains agiles et brassa le paquet. Comme pour l’éliminer de toute impureté. À mesure qu’elle mélangeait, quelques curieux se rapprochaient pour venir observer la démonstration.

« Pour répondre un peu plus précisément à votre question, il va vous falloir piocher cinq cartes, celles qui vous appellent, celles qui vous inspirent. Ces cinq cartes représenteront votre futur proche et lointain ainsi que les atouts et les obstacles qui se dressent devant vous. Il existe différents types de tirages avec différentes dispositions qui répondent à différentes problématiques. » Il y avait beaucoup de fois la notion de différence dans une même phrase. Nalini se voulait toujours très pédagogue lors de ses mises en pratique.

« Cependant, d’avantage d’informations me seront nécessaires. Ne soyez pas offensé si je les cherche. Quel est votre nom et quel est le mois de votre naissance ? » déclara-t-elle en l’invitant également à piocher des cartes d’un geste de la main.

HJ: J'adooore

La drôle d’impression qu’elle m’attendait me tenaillait et pourtant, il était impossible qu’elle sache que j’allais passer aujourd’hui à cet exact endroit. Il n’y avait aucune raison que ça soit prémédité, nous ne nous étions pour sûr, jamais vu, et je n’avais fait de tort à personne. Je me contentais de suivre mon père et nous faisions profil bas, aidant ceux qui en avaient besoin, évitant de vexer qui que ce soit. Si bien que la manière dont elle avait de m’accueillir sur son stand m’intriguait au plus haut point. Ses gestes étaient précis, comme une habitude depuis longtemps ancrée, elle semblait à l’aise avec son activité et je tâchais de voir s’il s’agissait d’un rôle formidablement bien appris ou si elle était simplement complètement en phase avec ce qu’elle faisait.

J’observais les cartes se mélanger entre ses petites mains agiles. Ses doigts étaient fins et elle n’avait aucune hésitation. Je vis que ma question qui aurait pu paraître être une attaque ne la troubla en rien. Je fronçais les sourcils devant son sourire avant de me détendre un peu. Il était évident que je devrais probablement y mettre du mien, pour qu’il se passe quelque chose, mais je n’étais pas prêt à croire ses balivernes si je les devinais.

Malgré moi j’étais très curieux de sa réponse, de ce que les cartes allaient me révéler. Je fus plus surpris que je ne l’aurais crû parce que le message résonnait en moi. Mais rapidement je me dis que finalement c’était évident, si rien ne s’était produit avec les instructions de mon père, c’était qu’on s’y prenait mal. Mais, il était vrai que l’idée de l’inverse me titillait l’esprit sans m’autoriser à en trouver la signification. Je gardais cependant l’information en tête, voyant qu’apparemment le tirage n’était pas terminé. Elle m’expliqua ce qui allait suivre et je devais reconnaître que je me pris plus au jeu que je ne l’aurais voulu.

« Oh d’accord. »

J’avançais la main pour piocher et la retirait aussitôt, méfiant, lorsqu’elle me demanda des informations plus personnelles. J’examinais les possibilités de danger que représenterait de révéler ce genre d’information. Je n’étais pas recherché, je n’étais pas spécialement connu. Non, probablement aucun réel danger. Je crois. La curiosité l’emporta de toutes façon. Je baissais le ton pour qu’elle seule m’entende. Pas besoin que les badauds sachent.

« Arkadiusz, je suis né le onzième mois, le mois de Marya. »

J’eus un sourire en songeant que la sankta qui entourait ma naissance était celle qui protégeait les gens loin de chez eux. C’était assez drôle quand on songeait que mon père et moi voyagions souvent. A croire que mes parents avaient programmé ma naissance. Ma main se tendit enfin vers des cartes, au hasard, ou peut-être guidée par cette drôle d’inspiration lorsque l’on laissait notre esprit divaguer autour d’une question. Je lui tendis les cartes les unes après les autres, me doutant que l’ordre était important, puis j’attendis sagement qu’elle me réponde, essayant d’ignorer les regards posés sur nous. Je participais à lui attirer de la clientèle, je le savais bien, mais cette histoire de tirage était devenu très personnel.

Il y eut un certain sentiment de satisfaction lorsque le jeune homme confirma son intérêt pour ses pratiques en acceptant de participer. Soit, elle avait fait preuve d’une persuasion hors pair, ou bien, Arkadiuz de son nom, partageait plus d’affinités avec la bonne aventure qu’il ne voulait le croire. Quoiqu’il en soit, Nalini saisit cette occasion.

La jeune femme ne prononça aucun mot mais baissa la tête comme pour signifier qu'elle était enchantée de le rencontrer. De l'autre côté, elle arrangeait la disposition des cartes qu’il avait tirées. L’agencement qu'elles prenaient ressemblait à une rose des vents.

« Le mois de Sankta Marya, protectrice des itinérants en quelque sorte. Vous devez être souvent sur les routes.» Elle faisait un raccourci si facile, si simple, qu'elle risquait de se tromper. Mais elle conserva son allure. Les coups de bluff devaient toujours s’accompagner d’assurance. Nalini continua alors sa présentation.

« Dans l'ordre de votre tirage, je dispose les cartes de cette manière. D'abord, l'atout à l'est. Il peut être déjà dans votre vie. Dans le cas contraire, il faudra le trouver. Il pourra également venir à vous. En parallèle à l'ouest, un obstacle. Au sud votre futur proche et au nord votre futur lointain. La cinquième carte au centre permet de lier tout le tirage. »

Sa voix était une constante qui ne dérivait jamais. Aussi réconfortante que stable si bien que chaque phrase qu'elle laissait échapper ressemblait à un proverbe suli. Elle jouait de son personnage. Rapidement, elle présenta les cartes aux Zeminis rassemblés autour, comme une vendeuse. Si Nalini ne faisait plus de spectacle d’acrobaties, elle savait tout de même comment maintenir l’attention des foules.

Deux première cartes furent retournées. Celle de l'est représentait un homme tête en bas avec un bâton à la main. Quelques flammes se perdaient dans le décor. Sur la deuxième, celle de l'ouest, il y avait une grotte sombre dessinée avec le reflet d'un homme et d'étoiles dans l'eau. Nalini hocha la tête, comme satisfaite : elle avait des interprétations à transmettre.  

« Très intéressant. La carte de droite, votre atout est elle aussi inversée. Je crois donc pouvoir dire que vous ne l'avez pas encore rencontré. Il s'agira d'un homme, un mentor, sûrement quelqu'un qui vous aidera en vous apportant les connaissances nécessaires pour résoudre votre problématique. Pour ce qui est de la deuxième carte, c'est un peu plus subtil. Le reflet c'est vous. Ça me fait penser à l'arbre que vous avez tiré plus tôt. L'eau qui nourrit les racines, sous la terre, comme la grotte. Je crois que c'est lié. Il y a une force à l'intérieur de vous que vous devez découvrir. C'est peut-être vous qui êtes votre propre obstacle. Qui sait ? Et en même temps, l'ombre ne semble pas être votre ennemie, au contraire. Cette même carte chez quelqu'un d'autre pourrait signifier autre chose. C'est votre question qui lui donne un sens. Est-ce que ça vous parle ? » Il fallait toujours s'assurer de la pertinence des premières cartes avant de continuer la séance. Parfois, ça ne voulait rien dire et c'était comme ça, on ne pouvait rien faire de plus. Alors qu'elle entendait des murmures grandir depuis les spectateurs, la jeune femme osa poser une question à son tour.

« Les gens d'ici ne croient-ils pas au destin ? » murmura-t-elle de manière à ce que si quelqu'un d'autre parlait ravkan, il ne l'entende pas. Nalini s'interrogeait quant à la fréquence de sa pratique dans les contrées de Novyi Zem, ainsi que la réceptivité de son peuple.

Mon sourire se figea lorsqu’elle évoqua le fait que j’étais toujours sur les routes. Comment savait-elle ? Je plissais les yeux. Était-elle venue m’espionner pour ensuite monter ce petit numéro ? Je ne répondis rien à ça. Je n’avais pas envie qu’elle puisse s’imaginer qu’elle avait raison. Elle ne se démontait pas, continuait encore et toujours avec la même assurance dans la voix, et pourtant, je sentais qu’elle avait besoin de mon attention, que je rentre et reste dans son jeu. Pour attirer les clients potentiels, évidemment. J’essayais de suivre au mieux les explications, tout me paraissait un peu abstrait, mais je voulais bien la laisser m’expliquer.

Mon regard suivait les cartes, le mouvement de ses mains, bientôt, je pus distinguer les figures que j’avais tirées. Je me demandais si c’était une bonne chose ou non. Elle, semblait particulièrement intéressée. En même temps, elle le devait, sinon qui croirait à son numéro ? Mais je ne pus m’empêcher de me pencher vers l’avant, vers elle, pour écouter un peu plus attentivement ce qu’elle venait de dire. Un mentor. Mon père était mon mentor, je l’avais déjà rencontré, pourquoi en reparler. J’écoutais la suite. Je secouais la tête. Je serais un obstacle pour moi-même ? Mais ce n’était pourtant pas l’envie qui me manquait de réussir à sortir ma petite science de là où elle se cachait ! Si seulement elle existait ! J’avais probablement échappé au feu sur un coup de chance la fois où j’avais sauvé Ola.

Lorsqu’elle me demanda si ça me parlait, j’hésitais. Oui, ça résonnait en moi, étrangement, ça m’obligeait à me poser des questions. Mais désormais, je nourrissais des espoirs. Celui que tout n’était pas perdu. Mais n’était-ce pas ce qu’elle voulait ? Me donner de l’espoir ? Pour que je pose davantage de questions ? J’avais tout de même accepté de jouer le jeu en m’asseyant, alors je lançais en zemeni, bien au fait que les badauds tendaient l’oreille.

« Et bien oui, ça fait vraiment sens avec ma question. J’y vois plus clair et en même temps, j’ai encore plus de questions. Je ne suis pas certain de comprendre ce que je suis supposé faire. Est-ce qu’il faut que je retire des cartes ? »

Mon regard chercha dans les prunelles mordorées de la jeune femme une réponse, mais je savais que c’était le genre de questions auxquelles personne d’autre que nous-même ne pouvions répondre. Elle marmonna alors une phrase qui me surprit et je glissais à mon tour, en ravkan cette fois.

« Peut-être que ce genre de pratique est plus appréciée sous couvert d’intimité ? Qui oserait poser des questions personnelles devant un public ? Si c’est pour s’entendre annoncer qu’on finira couvert d’or, pourquoi pas, mais imaginez l’inverse... »

J’ajoutais en me redressant.

« D’ailleurs, vous, c’est quoi votre nom ? »

J’étais curieux. Je venais de révéler une grande part de moi-même à une inconnue et j’avais mis entre ses mains quelque chose de très personnel. De l’espoir. J’étais mal à l’aise avec cette idée, c’était comme si je lui donnais du pouvoir sur moi, et je n’aimais vraiment pas cette idée. Si elle était vraiment ce qu’elle disait être, il n’y aurait aucune conséquences, mais… si elle ne l’était pas ? C’était quitte ou double dans cette histoire. Il allait falloir que je passe un peu de temps avec elle ailleurs, sans le spectacle, pour pouvoir déterminer de sa vraie personnalité et de ses intentions.

« Je peux vous offrir à boire ou à manger en dédommagement si vous le souhaitez. A la fin de votre journée. »

Je songeais aux auberges, elle aurait bien moins de mal à se trouver des clients dans ce genre d’établissement. Alcoolisé, dans un recoin un peu tamisé, l’être humain était beaucoup plus enclin à parler de lui.

« Un deuxième tirage pourrait éclaircir d’avantage vos interrogations. Cependant je crois que les premières cartes tirées brouilleraient l’énergie des secondes si on enchainait dès maintenant. Il faudrait mieux que vous reveniez demain. » Voilà comment elle fidélisait ses clients.

"Si c’est pour s’entendre annoncer qu’on finira couvert d’or, pourquoi pas, mais imaginez l’inverse..."

Les questions qu’il renvoya lui soutirèrent un sourire. Il devenait curieux à son tour comme s’il mettait en doute ses pratiques. Nalini le prit comme un défi.

« Je ne dis que ce qu'on rêve d’entendre. » chuchota-t-elle sur un ton malicieux.

Elle pouvait avoir l’air d’un charlatan alors que sa démarche était toujours sincère.
Ce qu’elle disait était toujours assez poétique et imagé. Au final elle ne demandait que peu d’informations personnelles, elle n’était qu’une simple diseuse de bonne aventure et non une enquêtrice.

Soudain, les évènement basculèrent. L’un des spectateurs jeta une pièce à ses pieds qu’il accompagna d’un éclat de voix : il voulait parier sur ses compétences. Du coin de l’oeil, Nalini aperçut des membres de la police locale se rapprocher. Les jeux d’argent illégaux n’étaient jamais encouragés. Ce qu’elle faisait ne s’en rapprochait pas, pour autant il lui fallait mieux éviter les représentants de l’ordre. Elle était une femme, suli et vivait du commerce.

"Halte là !" Les hommes se rapprochaient à toute vitesse.

« Par tous les sankts. » siffla-t-elle.

Un geste adroit lui permit de rassembler d’un coup ses affaires en pinçant deux angles de sa nappe et en les ramenant vers elle pour former un baluchon. La jeune femme fit un clin d’oeil à son acolyte de démonstration et se releva.
L’instant d’après elle avait disparut dans la foule. Elle savait bien que les spectateurs ne couraient aucun danger. La police locale les aurait simplement repris à l’ordre alors que de son côté, ils auraient pu l’arrêter.

Nalini avait changer la position des foulards qui la couvraient ce qui donnait l’impression qu’elle avait changé de tenue et qu’elle n’était plus la même personne. Elle retrouva facilement la trace d’Arkadiusz dans la rue après quelques minutes et se planta à ses côtés.

« Je ne dirai pas non à un petit repas pour découvrir les auberges du coin. » Elle espérait ne pas lui avoir fait peur en réapparaissant brutalement. Nalini laissa donc un moment de silence pour qu'il accepte sa présence. Et comme si l'épisode précédent avait rendu l'atmosphère propice aux confidences, elle reprit un peu plus bas.

« J’exerce généralement dans les marchés. Je paye l’emplacement et créé un petit stand avec quelques draps qui isole les clients de la vue de tous. De cette manière, ils n’ont pas peur de se.. confier. Les auberges peuvent être dangereuses pour les gens comme moi. » dit-elle en insistant sur les derniers mots. Elle se désigna également du regard : il n’y avait qu’à voir ce qu’elle était, une femme de couleur.

« Au fait, je m’appelle Nalini, désolée pour le désagrément. »

Un léger sourire s’arrima à mes lèvres lorsque je l’entendis répliquer sans se départir de son calme et de son assurance. Un bon point pour elle. Je voyais bien que je n’obtiendrais rien de plus à ce moment-là, alors je hochais la tête. Évidemment que je n’allais pas revenir. Comment pourrais-je me laisser berner par une diseuse de bonne aventure ? Elle ne faisait que jouer avec ma curiosité, je me devais de me montrer plus fort que ça ! Pourtant, au fond de moi, l’envie de savoir me chatouillait si fort que je m’entendis lui demander.

« Où serez-vous installée demain ? »

Mais l’atmosphère changea brutalement. Une tension s’installa chez la brune qui commença à observer derrière moi. Je sentais aussi une agitation dans le public. La pièce qui avait claironné de son son métallique contre le sol avait été le point de départ au reste. J’entendis les gardes zemenis commencer à appeler ma comparse à l’ordre. J’eus à peine le temps de voir les outils de divination disparaître de ma vue. J’admirais l’efficacité de sa technique. Elle devait avoir l’habitude, telle une vendeuse à la sauvette. Mon corps se redressa tout aussi prestement, il était hors de question que je reste au sol alors que la masse de badauds grossissait par la curiosité d’une future altercation.

Malgré ma rapidité d’action, je n’eus pas le temps de me mettre à sa poursuite, la divinatrice avait disparu dans la foule, laissant les policiers sur la touche. Je croisais les bras avec un nouveau sourire. Elle était sacrément maligne. Mettant mes mains dans les poches, je repris ma route, ressassant les informations que j’avais désormais. Pire encore, cet espoir implanté dans ma poitrine, que tout n’était pas perdu et que je n’étais peut-être pas le grisha bon à rien que je pensais être, car après tout, ses phrases énigmatiques prenaient sens dans mon esprit.

Je marchais au hasard, le nez au vent, cherchant les effluves les plus attirants. J’avais un petit creux depuis que je lui avais proposé à manger et je cherchais le plus inspirant. Une présence s’affirma soudainement à mes côtés et à peine étais-je en train de tourner la tête pour regarder la personne que j’entendis une voix familière. Un sourire plus franc s’afficha sur mon visage.

« Vous ne perdez pas le nord vous. »

Évidemment qu’elle n’avait pas oublié mon invitation. Je n’étais pas du genre à revenir sur mes paroles. Et puis, même si je ne roulais pas sur l’or, je n’étais pas non plus sur la paille. Je travaillais dur, tous les jours, pour mon père, mais aussi pour d’autres. La jeune femme commença alors à m’expliquer pourquoi elle préfère opérer dans la rue plutôt que dans un lieu clos.

« Je comprends, vu votre technique pour plier bagage, c’est d’autant plus efficace en pleine rue. J’ai été impressionné par votre doigté et votre discrétion. Les gens autour de nous n’y ont vu que du feu. »

Je m’arrêtais sur cette expression idiote. Surtout dans ma bouche, mais je ne m’y attardais pas et répondit.

« Enchanté Nalini, c’est joli comme prénom, c’est quoi comme origine ? »

J’avais beau voyager souvent avec mon père, je n’avais pas la science infuse. D’un geste de la main, j’indiquais une devanture d’auberge à quelques mètres où je savais que l’on faisait d’excellents légumes et viandes grillées. Les mets étaient marinés dans des sauces aux nombreux aromates et il y en avait pour tous les goûts.

« Chez eux, c’est très bon. »

Non sans garder mon attention sur mon invitée, j’observais les alentours pour être sûr de ne pas y croiser des connaissances. Je n’avais pas envie qu’on rapporte à mon père que j’invitais une femme à manger. J’allais en entendre parler pendant des années. Je guidais Nalini vers une table extérieure un peu en retrait mais qui laissait vue sur les passants, tout, comme une échappatoire vers une petite ruelle si le besoin se faisait sentir.

« Ils sont suffisamment connus pour avoir le local le plus grand de la ville, et ils ont tellement de succès qu’ils sont obligés de mettre des tables dehors, je me suis dit que ça pourrait vous convenir. »

Un petit sourire un peu fier sur le visage, je lui tirais une chaise pour l’inviter à s’asseoir et puis hélais un serveur pour passer commande. En attendant, je posais un coude sur la table et appuyait mon menton dans la paume de ma main, observant Nalini.

« Vous êtes venue ici toute seule ? »

Je ne pouvais m’empêcher de me demander si elle cherchait quelqu’un ou si elle aimait simplement voyager et faire en sorte de prédire l’avenir des gens au hasard des rencontres.