I'll Be good, I'll be good [Noah Linden]

C’est un peu étrange, quand on y pense, une troupe de cirque composée de membres essentiellement grishas, basée en terre fjerdanne. Mais ne dit-on pas que le meilleur endroit pour se cacher est sous le nez de la menace? Si bien que le cirque des étoiles a été bâti et a perduré pendant des années, au nez et à la barbe de mille et un druskelle qui venaient, ravis, voir le spectacle, rire aux frasques des clown, s’énamourer des voltigeurs, s’émerveiller des tour de magie de Griga la magnifique. Les enfants attendaient toute l’année durant que le cirque des étoiles ne fasse une halte dans leur petit village reculé, ou bien les villes proches, pour faire vibrer leur coeur d’amour et rêver leurs yeux de liberté et de magie. Ils distribuaient en plus, pour quelques piécettes, de petites confiseries fabriquées au feu de bois, dans un grand poêle en fonte qui permettait de chauffer tout le chapiteau. Et ce cirque, magnifique et merveilleux, était étrangement normal. Absolument hors des radars à Fjerda car sa réputation anti grisha faisait de cette troupe une troupe d’excellence, car après tout un bon grisha était et a toujours été un grisha mort, n’est-ce pas? Quelle surprise pour l’enfant qu’avait été Noah de découvrir le double jeu dangereux que ses protecteurs, sa famille jouait habilement. Comme un équilibriste sur le fil, ils laissaient voir leurs talents naturels, mais jamais leur petite science. Si bien que, même si Noah avait été trouvé par la troupe, dans une barge un jour gelé, quasi mort, il avait assisté à des démonstrations de petite science à l’âge de sept ans. Il avait participé à sa première exécution publique de grishas à huit et ça avait suffit pour qu’il comprenne. Personne n’était grisha dans sa famille. Personne n’était en danger, comme ça. Et si quelqu’un pensait le contraire, il fallait trouver un moyen de le faire taire. De ce fait Noah n’avait jamais rien pensé, n’avait jamais témoigné de rien donc cette menace à peine voilée n’existait pas.

Le cirque était tout ce qu’avait jamais vécu Noah, tout ce qu’il avait aimé dans sa vie, chéri. Ces gens l’avaient construit. Il avait grandi avec des enfants qui, comme lui, avaient été recueillis à la différence près que, contrairement à eux, il n’avait jamais rien développé, si ce n’était son agilité hors du commun qui lui servirait toute sa vie durant. Il se voyait vivre toute sa vie, comme ça, à l’abri de la haine du monde envers sa famille, à faire ce qu’il aimait le plus au monde et à continuer de tourner dans Fjerda, voir les visages émerveillés des enfants et bienveillants des adultes. Mais non. Evidemment que non parce que l’un des leur s’était fait attraper au centre du village et le reste du cirque avait suivi. Tout s’était passé extrêmement vite. A un moment ils étaient ensemble, se racontant des histoires et riants de bon coeur autour d’un feu, le second la panique régnait dans le campement. Tout le monde était attaqué.

Noah a très peu de souvenirs de ce soir là, sinon celui de s’être assommé en tombant sur une des gros troncs d’arbre sur lesquels ils s’étaient assis plus tôt et de s’être réveillé seul, caché par des fourrés dans le bois non loin du campement du cirque, une odeur affreuse d’animal grillé dans le nez. Quand il avait découvert pourquoi, il avait rendu tout ce que son maigre estomac avait abrité avant de chercher dans les restes encore fumant du campement quelque chose, quelqu’un, n’importe quoi. Il avait juste trouvé un médaillon frappé à l’effigie de sankt Grigori, le préféré de Hector, son père adoptif et l’avait empoché en pleurant à chaude larme, jurant de ne jamais oublier leur souvenir et de les faire vivre tous les jours, à travers lui.

S’en était suivi ensuite un voyage, une errance, à la recherche d’une sortie de ce pays de malheur et peut-être de lui-même. Il avait fini par la trouver, par prendre un bâteau et s’était retrouvé à Ketterdam, sans trop se souvenir comment, à apprendre la langue et tenter de s’acclimater autant que possible. Et puis, et puis finalement il avait tenté d’intégrer le cirque du soleil, avec succès. C’était il y a quelques semaines et aujourd’hui, aujourd’hui Noah n’aspire qu’à retrouver la familiarité des gens du chapiteau et la magie de cet univers dans lequel il a toujours baigné.