Olivia ◘ Moondust

On a toujours conté l’histoire d’amour de ses parents comme un roman d’aventure. Peut-être est-ce dû au talent exceptionnel du Cirque du Soleil pour rendre beau ce qu’il y a de plus laid. Ou peut-être est-ce lié à cette faculté humaine d’imaginer une extraordinaire épopée, là où la réalité n’offre finalement qu’un lot d’événements hasardeux, fades, et définitivement décevants.

La mère d’Olivia appartenait au peuple Sullis. Son père, lui, trempait dans la marine marchande. On dit que leurs chemins se sont croisés un soir de représentation, en plein été. L’homme aurait été envoûté par la danseuse, au point d’en oublier tout le reste. Dès lors, il n’aura eu de cesse de venir courtiser la demoiselle. Elle aurait pu lui demander n’importe quoi, sans doute aurait-il exaucé le moindre de ses souhaits. Le bougre ignorait tout du Cirque du Soleil. Mais même lorsqu’elle le détroussa de sa bourse, son cœur amoureux ne cessa de battre.

Alors, on dit que la danseuse, amusée, curieuse, laissa son prétendant entrer dans son cercle de danse. L’idylle était improbable, l’idylle était naïvement touchante. Et tant pis si l’homme s’était épris d’une voleuse. Qu’importe si ce n’était pas au goût de sa famille et qu’importe le double tranchant de cette vie de malfrat. Prendre aux plus aisés pour aider les plus démunies, n’était-ce pas somme toute un acte bienveillant ?

Par amour, il était capable de la suivre jusqu’au bout du monde. Et le destin ne lui laissa que peu de temps avant de devoir honorer sa promesse. Les mains chapardeuses de sa belle s’en prirent au mauvais adversaire. Jamais elle n’aurait dû escroquer ce Ravkan tout droit sorti des sphères influentes de la haute noblesse. La colère du seigneur bafoué retentit, et bientôt, le si beau visage de la voleuse devint la cible des autorités. Le Cirque dû plier bagage, emportant avec lui ses secrets … et ses talentueux criminels.

Olivia vit le jour un an plus tard. Si l’histoire d’amour avait si bien commencé, elle prit fin subitement, le jour où sa mère disparu sans explication. C'est prise dans la cage de son deuil que le don d'Ollie se déclara. Folle de chagrin, la fillette créa sans le vouloir un dôme de lumière empêchant quiconque de l'approcher et de la toucher. Mais quelle importance de découvrir qu'elle était grisha ? Elle avait perdu sa mère. Peu sont ceux qui s’attardent sur cette partie du conte. Personne ne saurait dire avec exactitude ce qui s'était passé. Beaucoup de rumeurs, en revanche, soufflèrent que la malheureuse avait été rattrapée par le courroux de cet homme d’Os Alta qu’elle avait volé, voilà quelques années. Ce vent de commérage ne fut jamais confirmé, mais il enfla longtemps dans le cœur de la petite fille, insufflant en elle une colère étouffée.

C’est peu de temps après que son chemin se lia à celui d’Ewan. Enfant abandonné à son sort. Sans parent. Sans frère, ni sœur. Juste sa peine et sa solitude, au bord d’une route désertée. Son opposé. Son double. Le garçon dont l’optimisme éclatant n’avait d’égal que l’obscurité de ses pouvoirs. Avec les années, à mesure des escapades interdites pour s’entrainer une fois la nuit tombée, la lumière d’Ollie se renforça aux côtés des ombres d’Ewan. Mais ces dons, aussi précieux que dangereux, devaient rester sous silence. Telle était la loi du Cirque.  

Elle était adolescente lorsque son père fut emporté par la maladie. Certains diraient qu’il s’était lentement laissé mourir de chagrin après la perte de sa moitié. Le Cirque devint alors tout ce qui lui restait.

Comme sa mère, elle a fait des airs son domaine. Elle danse, Ollie. Elle nargue le vide. Son corps se cambre et se laisse aller au rythme de la musique, à peine maintenue par cette étoffe de satin qui la préserve d’une chute vertigineuse. Elle éblouit la piste du Cirque, de sa grâce et de son ballet envoûtant. Elle semble ne jamais toucher terre.

Aujourd’hui, les pas d’Ollie suivent les traces du Cirque, où qu’il aille. Elle ne fait qu'un avec la troupe de voleurs. Ils sont sa famille. Au fond d’elle, pourtant, elle n’ignore pas cette flamme qui gronde. Minuscule mais persistante. Celle qui brûle, envers et contre tout, pour la mort de sa mère. Celle-là même qui réclame justice.

Celle-là même qui réclame vengeance.