Arthyen - Trois mondes de différence

705 — Naissance. C’est un gamin braillard, un peu frêle mais pas trop moche, qui sort et cause des emmerdes dès le premier cri poussé. Sa mère n’a pas la chance de le découvrir, jeune grisha aux pouvoirs retenus et à la santé plus que fragile. Elle meurt en couches alors que Arthyen s’éveille, dans la maison de travers des confins de Weddle. Son père tient une auberge, accolée à la demeure où un cadavre enfin se repose après dix-neuf heures de labeur.

707 — Remarié dans la précipitation, le père de Arthyen offre au gamin chantonnant, à la fois heureux et innocent comme tous les bébés de ce monde, un frère cadet duquel le futur musicien grandira proche.

710 — Selia, sa belle-mère, se trouve être une harpiste de bonne renommée – et une musicienne somme toute fantastique, en plus de savoir prendre soin d’enfants qui ne sont pas les siens. Elle a toujours eu un faible pour le petit dernier des enfants de sa prédécesseuse, et soustrait volontiers le gamin à ses travaux dans la salle de restauration pour l’éveiller à une éducation musicale. Lorsqu’elle ne gère pas le service ou les gones, elle aime à inviter son fils pour jouer devant une assemblée réduite – et quand il joue mal, alors, elle, elle joue plus fort.

715 — Son aînée met le feu, inconsciemment, à sa partition. Frustrée de ne pas réussir à jouer, si tout s’envole en flammes, tout est pour le mieux. Arthyen jette le vase d’eau le plus proche sur le tout : sa sœur, sa partition, et le public devant.
Dans les années qui suivront, toutes ses sœurs manifesteront une Petite Science plus ou moins puissante, toujours affiliée au feu. Jusque là contenue – quoi que l’on murmure que leur régime alimentaire dosé de poudre y ait été pour beaucoup dans la déclaration tardive de leurs dons – la Petite Science de la famille fait sourire et épate.
Ca touche et blesse Arthyen – car les années passent, son père se délite au gré des ans, et lui-même ne sent aucun changement.

725 — Il reprend l’affaire familiale, aidé de toutes ses sœurs, tandis que son père lentement se meurt et finit par décéder en 725. L’auberge fleurit, le monde continue de tourner, ses sœurs se marient. Elles servent, font la comptabilité, lui laissent la gestion pure… Et le retrouvent plus souvent qu’à son tour accoudé à une table ou au bar, à parler et à s’amuser. On n’est pas sérieux quand on vient d’hériter, qu’on est presque le petit dernier. Ca lui passera.

737 — Ca ne passe pas. C’est en essayant d’échapper à son rôle d’aubergiste glorifié, un soir, qu’il se fait passer pour le musicien qu’il a continué d’entretenir en lui. C’est ce jour-là qu’il rencontre Yasen, entre deux pintes offertes par la maison, bien entendu. Ils se lâcheront plus. Plus vraiment.

740 — Troubles à l’ordre public. Passe quelques temps en prison, pour avoir « blessé » quelqu’un. Il avait pas mal, le mec, faut pas déconner, ça fait pas mal une table dans la gueule.
Et puis d'abord, c'était un tricheur qui voulait qu'on lui "rembourse" ses "dettes" et "ce que Jaja lui devait". (Peut-être que le Jaja l'a fait vriller plus sûrement que le rappel des tunes perdues qu'il ne pourra jamais rembourser)

A sa sortie de taule, Arthyen se retrouve à la rue : ses sœurs acceptent de l’héberger dans une chambre à l’arrière de l’auberge, mais refusent qu’il reprenne son métier. Ca lui va. Sa lyre sous le bras, une sacoche dans le dos, il s’engage sur les routes pour jouer comme il le peut, quand il le veut. Advienne que pourra.

742 - Il vient à peine de s'installer en bordure de la mer, un chat sous le bras, Yasen sous l'autre, que des nouvelles de son frère cadet - pas franchement en bonne santé quoi qu'il arrive - lui parviennent. Une sombre histoire d'usurier et d'argent envolé, un règlement de comptes, un cadavres laissé en guise d'avertissement. Arthyen ne dit rien et serre les dents, ne pleure pas plus qu'il ne hurle ; au fond de lui, cependant, il sait que c'est ce qui l'attend, lui-même, au bout du chemin.

748 - Si le musicien gagne bien sa vie, étrangement, l'argent jamais ne dure dans le foyer : tout ce qui ne part pas pour leurs besoins personnels, à Yasen et lui, disparaît dilapidé entre alcool et jeux d'argent le long de la côte. Une fois ou deux, Arthyen se retrouve à baragouiner des histoires de bandits de grand chemin et d'argent qu'on perd à cause d'un schéma véreux de vente de petits cailloux supposément magiques.
Il ne dit pas que c'est de sa faute, que l'argent file entre ses doigts, s'écrase sur une table de jeu et lui échappe à jamais.

752 — Yasen disparaît de sa vie. Plus exactement, Yasen part travailler au loin, trop loin. Laisse Arthyen dans une fortune confortable qu'il s'évertue à ne pas dilapider trop vite... Mais qui diminue vite, trop rapidement, à chaque respiration brûlante d'attente.
La vie de musicien l'emmerde. Si Yasen a pu quitter Novyi Zem, pourquoi pas lui ?
Un matin où la chaleur est déjà trop écrasante, un sac sur l"épaule, il se présente au premier bateau venu et joue de son bagout - à défaut de son charme - pour se faire engager. Il en a envie, personne n'est là pour retenir le fantasque gamin à la quarantaine passée.
Il ne sait pas se battre à la loyale; il triche, joue très bien aux cartes quand il en invente les règles ; il traîne à sa suite l'odeur des barreaux d'une prison dont il fait encore des cauchemars les soirs vides de lune ; et il est seul. Trop seul.
Alors il attend, pirate de pacotille, que son amant revienne de par delà les mers.