Frerin - Wait for it

TW : Brûlure, mort, feu, violence

Parfois... Les destins s'enchaînent, se croisent, mais il y a des âmes, diamétralement opposées, qui ne sont pas faites pour s'assembler. C'est ce dont Frerin a toujours été persuadé. Son père était militaire, oh qu'est-ce qu'il a pu entendre parler de cet honneur, de cette fierté... Il n'y avait aucun titre de noblesse pour accompagner ça, aucun nom ronflant et pompeux. Non. Sa mère, quant à elle, était courtisane. L'une prônait l'amour et les expériences qui forment la jeunesse, l'autre, quant à lui, avait comme chevaux de bataille, discipline et rudesse. Trop choyer, trop "aimer" ouvertement ses enfants, c'était donner aux gamins une sensiblerie, à son humble avis, bien entendu, inutile.
Le gamin, est un enfant du printemps, il arrive à la saison où les pluies se font entendre sur les carreaux, à la saison où la vie reprend, et bordel, ce qu'il aime ça, voir les feuilles renaître, l'herbe pousser, les animaux sortir de leur léthargie hivernale. ça l'a toujours fasciné. Quelques cruciales poignées de minutes avant lui est né une soeur, jumelle. Leÿ, lorsqu'on dit qu'un lien unique unit deux jumeaux, ce n'est pas un mensonge. La présence de l'un parvenait à calmer l'autre, et l'un, n'allait jamais sans l'autre. Il en a toujours été ainsi, et, dans la tête de Frei, il en sera toujours ainsi.

Leÿ est pleine de vie, de vigueur, et une énergie vive, Frei quant à lui, est l'enfant calme, plus docile, il n'est pas aventureux, il n'est pas brave, mais il aime de tout son coeur observer les animaux, surtout les chèvres de la voisine, qu'il vient caresser régulièrement. Un jour il a même tenté de soigner une chauve souris, ça n'a pas sauvé la bête, mais elle a eu une cérémonie d'inhumation. Frei s'en souvient, il était avec sa mère et sa soeur. Du moins... S'en souvenait-il jusqu'à ses 7-8 ans.

Lorsque les deux gamins ont 6 ans, tout change. Leur père, déjà bien patibulaire, se décide à "faire de son fils un homme". Cette phrase, elle heurtera Frei. Il hait, cette image de l'homme fort, insensible, puissant, qui ne doit rien montrer, qui doit être cruel, violent, affreux, encore aujourd'hui. C'est l'genre de brutes qu'il s'emploie désormais à remettre à sa place, lorsque l'occasion se présente. Frei hait ce regard froid, dans les prunelles de son père, il déteste sa demande, qui est de tuer un pauvre lapereau qui n'a rien demandé, piégé dans une cage. Il voit, son être se soulever au rythme de ses respirations, il voit la peur dans ce regard animal, plein de candeur, de douceur, et il n'apprécie pas. Il se voit dans le regard de l'animal, il voit sa peur, il sent son coeur battre, il a peur, n'a pas envie, refuse, pleur et, la torgnole que lui donna son géniteur, il se souvient de ce son cinglant, qui claque dans l'air, de cette douleur cuisante qui pulse, sur sa joue, de cette étincelle de petite science, de l'odeur de poils brûlés. C'est ainsi que l'enfant découvrit, pour la première fois. Son père, après ça, ne fut plus jamais le même, et le peu d'attention qu'il leur donnait disparût.

La petite famille, amputée du père, partit vers d'autres horizons. Le daron souhaitant cacher les dons possibles de ses enfants pour ne pas jeter l'opprobre  sur son nom. Les enfants vécurent une année merveilleuse, en compagnie de leur mère, à gambader dans les étendues sauvages, à profiter de l'air frai. Tout se cassait littéralement la gueule le jour où, le père, furieux fit un retour des plus redoutés. Il n'avait jamais cru Leÿ quand elle lui avait dit que c'était elle qui l'avait brûlé. Et le gamin avait senti les regards couroucés, coléreux sur sa nuque à chaque fois. Il avait finit par oublier, il avait fait comme chaque enfant, cloisonnant ce souvenir, le murant juste assez pour qu'il l'égare quelque part. Et c'était ainsi que sa soeur lui permit de fuir, le balançant dans l'eau vive, manquant de se noyer, le jeune homme n'ayant jamais été particulièrement bon nageur, il s'échoua sur la rive à quelques lieux de là, les cris finirent de le décider, Frei rebroussa donc chemin pour voir de quoi il retournait, pour trouver sa mère, le regard morne, sur le sol. La pauvre femme avait rendu son dernier souffle, sa soeur gisait au sol. Puisant dans cette rage, il usa, instinctivement, du feu de la cheminée, pour incendier la maison dans laquelle il avait vécu heureux. C'était un crève coeur. Une poutre était tombée sur son père, pour sa part, il s'était reçu quelques cuisantes brûlures au dos, il sentait ses vêtements prendre eux aussi feu, la douleur... La douleur était intense, et son dernier réflexe, avant de tomber dans l'inconscience, des fait de la fumée, fut de se jeter, lui et sa soeur dans la rivière, une trappe donnait sur celle ci. Une fois dans l'onde, il sombra. Ses souvenirs finirent grignottés, ultime protection d'un enfant face à l'horreur, un mur métaphysique se bâtit dans sa psychée, un mur qu'il ne faudrait jamais faire tomber. Ultime dénis, ou traumatisme profond, Frei ne s'est jamais attardé à ce fameux mur. Ils furent tous deux recueillis par un couple de vieux paysans. Les vieux ont toujours su... D'où ils venaient, et Frei s'en est toujours douté en écoutant les rumeurs dans l'endroit où ils vivaient tous les quatre. Une maison brûlée, plusieurs corps, et leur apparition en même temps, fallait pas avoir inventé l'eau tiède pour comprendre.

Qu'à cela ne tienne, le gamin ne posa jamais de questions, ses sauveurs non plus, vivant une enfance et une adolescence relativement correct. Apprenant à user de ses pouvoirs. Il lui fallut un moment, un long moment, pour ne plus ressentir ce rejet visceral de cette petite science. Avec la mort de leurs protecteurs (de vieillesse, dans le fond de leur lit, un beau matin d'hiver, une belle mort dira Frei, rassuré de les voir ainsi partir, sans souffrance aucune, l'un après l'autre, à quelques mois d'écarts) les voilà portés sur les routes, ils vivent de larcins, mais le gamin idéaliste et bienveillant qu'il est ne peux accepter de devenir ainsi, il laisse toujours une pièce là où sa soeur passe, ce n'est pas grand chose, ça ne rachète pas leur larcin, mais au moins... C'est un geste, quelque chose.  

C'est un renfort de circonstances, et une grosse part de responsabilité de Leÿ qui les conduit vers la vie de piraterie. Frei qui se voyait juste marin, dans un boulot honnête bien que pénible déchante, mais il ne peut laisser sa soeur, et s'enrôle lui aussi. Il découvre un monde plus excentrique, plus libre, et ça, c'est plaisant... Ils finissent à la tête de leur propre bâtiment, pendant une bien trop courte période, leur bâtiment terminant, malheureusement, et de proue en poupe, à couler à pique. Aujourd'hui ? Aujourd'hui Frei est passablement agacé, en colère même, car il a été laissé dans un port, sa soeur ayant pris la tangeante pour une sombre histoire d'aventure et de dragons. Il est rancunier le garçon, il vit comme forgeron, attendant le retour de sa jumelle, déjà, primo, pour lui botter le cul, appelons un chat, un chat, secundo, pour lui faire comprendre qu'il a été mortellement blessé, il attend. Et il sait... Qu'elle reviendra le chercher -du moins l'espère t-il de tout son petit coeur.-.