Elisabeth | Parle-moi avec tes Yeux

L’histoire qui sera oubliée

Un comte et une comtesse ravkane, après plusieurs mois, eurent enfin leur premier enfant. Une fille. Malheureusement, la comtesse mourra en couches. Le comte, amoureux transit, orienta son amour sur sa fille, la protégeant plus que de raison, l’emmenant partout avec lui - pour le plus grand plaisir de la nourrice qui découvrait le monde, elle qui n’était jamais allée plus loin que son petit village.
Le père du comte avait mis en place un chenil et s’était développé dans l’élevage canin, majoritairement pour la chasse à cour dont la noblesse raffolait. L’affaire était restée familiale et il la faisait prospérer, espérant que sa fille ait le même amour pour les animaux que lui. Il prévoyait déjà son éducation alors qu’elle avait quelques mois à peine et que ses yeux n’exprimaient que la joie d’être dans les bras de son géniteur.

Le comte développa ses affaires à Novyi Zem où il entreprit de faire un voyage de plusieurs semaines afin d’étendre sa clientèle. Elisabeth avait à peine trois ans lorsqu’elle prit le bateau pour la première fois. Weddle était une jeune capitale, cela se voyait. Les rues étaient propres, belles, fraîchement faites. Les commerces faisaient leurs débuts. C’était la ville pour le renouveau, les nouvelles vies et les affaires florissantes. C’était aussi la ville où il fallait se méfier, être prudent et regarder par-dessus son épaule. Faire affaire avec le Baron n’était pas une si bonne idée que cela, mais le comte ne le comprit que trop tard.
Elisabeth réussit à s’enfuir, les yeux brouillés par les larmes qui n’effaçaient pas l’horreur qu’elle avait vu. Son père assassiné. Elle courrait, encore et encore, son poignet la faisant souffrir - elle était tombée à un moment donné. Elle cherchait à fuir, comme son père lui avait dit avant de l’aider à sauter du haut du balcon.
Soudain, elle percuta un homme, tombant sur les fesses sous le choc. Ses petits yeux se levèrent, détaillant cet homme en noir, à l’allure jeune. Elle ne savait pas pourquoi elle était restée sur le sol, ni pourquoi elle le laissa faire lorsqu’il la cacha dans sa grande cape sombre et encore moins pourquoi elle ne s’enfuit pas lorsqu’il lui dit qu’il prendrait soin d’elle. Elle aurait dû, pour se protéger, pour tenir la promesse faite à son père, parce qu’elle ne connaissait pas cet homme. Elle ne le fit pas et elle eut de la chance de tomber sur lui.


L’histoire qu’elle n’oublie pas

Elle grandit sous la protection d’Andrei, apprenant à se battre, mais aussi à observer. Leur jeu était simple, mais il permettait à une enfant de ne pas s’ennuyer : trouver tout ce qui était étrange à ses yeux dans un endroit. Elisabeth n’était pas très forte au corps-à-corps, mais elle se révéla être douée avec un arc. Dès ses cinq ans, pas un jour elle ne manqua de s’entraîner sur une cible. Apprenant à être discrète lorsqu’il le fallait, elle n’oublia pas de manier le shuriken et le kunai, le premier pour pouvoir lancer une arme et s’enfuir si besoin, le deuxième si le combat était inévitable - mais c’était plus une arme de défense que d’offensive.

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« Je n’aime pas la salade au chocolat.
- Je n’aime pas la salade aux tomates, reprit-il en fjerdan, accentuant sur la prononciation du dernier mot qu’elle avait du mal à prononcer.
- Je n’aime pas la salade aux aromates.
- Tomates.
- Tomates.
- Encore une fois, dit-il en fjerdan pour l’encourager.
- Je n’aime pas la salade aux tomates.
- Parfait. On continue. »

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Aujourd’hui, c’était le jour de son anniversaire. Elisabeth ne s’en souvenait plus de la date exacte, elle était trop petite lorsqu’on lui avait demandé quand était-elle née. Elle se souvenait uniquement qu’elle était née sous les yeux de Demyan.
Bandant son arc, elle décocha une flèche. La jeune femme de dix-huit ans fit une roulade, visa et décocha une nouvelle flèche en plein centre de la cible. Elle pivota sur elle-même et fit subir le même sort à une autre cible. Et ainsi de suite. Jusqu’à ce que toutes les cibles de son terrain d’entraînement furent marquées par la pointe d’une flèche. Et que son carquois fut vide. Heureusement, car un homme en noir de pied en cap entra alors sur le terrain, faisant sursauter la jeune femme. Mais dès qu’elle le reconnut, un large sourire fendit son visage en deux. Elle se retint d’aller jusqu’à lui avec précipitation, elle se retint de le prendre dans ses bras, heureuse de le voir en ce jour - même s’ils s’étaient croisés ce matin. Alors elle s’approcha tranquillement, plaçant son arc sur son épaule.

« Qu’as-tu appris que je ne sais pas déjà ? lui demanda-t-il, un très léger sourire en coin sur le visage.
- Une nouvelle guilde a vu le jour sur l’île de Kertch. Ils se font appeler les Crows. La plupart sont contre le trafic de Grisha… sauf un groupe. Il se trouve au quartier nord et ils font affaire avec les esclavagistes. »

L’homme brun hocha la tête pour montrer qu’il avait entendu, sans faire le moindre commentaire. Ses yeux se baissèrent sur le sol, comme s’il réfléchissait, avant de se relever pour plonger ses yeux d’une couleur abyssale dans ceux de la jeune femme, d’un clair perturbant. Caché dans son dos, il présenta l’objet qu’il avait dans une main entre eux.

« Joyeux anniversaire Elisabeth. »

Un nouvel arc, finement taillé, légèrement sculpté à certains endroits. L’adolescente le prit, l’observa sous toutes les coutures, titilla la corde pour voir la souplesse, les yeux brillants d’une joie nouvelle. Arc toujours en main, elle ne tint plus et se jeta dans les bras de l’homme, l’étreignant comme ils le faisaient de plus en plus rarement. Pour de telles occasions, ils s’accordaient cette attention physique. Cela ne voulait pas dire qu’ils ne s’appréciaient pas, ni même qu’ils n’avaient pas de forts sentiments l’un pour l’autre. Ils se le montraient d’une autre façon le reste du temps, afin que lorsqu’une étreinte arrivait, c’était pour marquer un moment spécial.

« Merci, ‘Drei. Je l’adore. »


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Elisabeth l’avait suivi toute la journée. Elle avait clairement vu ce qu’il s’était passé et n’avait pas hésité à en parler à Andrei. Évidemment, les autres membres de la guilde ont immédiatement été prévenus et une décision devait être prise.
Ils avaient fait confiance à la mauvaise personne, à un arriviste qui voulait se faire de l’argent et qui avait mis leur discrétion sous les feux de la rampe. Mais rien n’était encore perdu. Tout pouvait être réparé et Elisabeth avait un plan parfait pour cela.

Armée de son plus bel arc, celui qu’elle avait eu pour ses dix-huit ans, elle observait le port de Bhez Ju. Quel lieu parfait pour faire un tout droit et disparaître sur l’île de Kertch, dans les rues de Ketterdam. Ravka, Fjerda et Shu Han se faisaient la guerre, les embarcations pour fuir étaient devenues monnaie courante pour ceux et celles qui cherchaient à sauver leurs peaux. Dès qu’elle l’aperçut, elle sortit une flèche de son carquois et la plaça sur son arc, le bandant en visant l’homme qui avait osé discuter avec les autorités shu. Sa respiration ralentit, son palpitant aussi et dès qu’elle le sentit, elle laissa sa flèche sceller le destin de ce traître. Il tomba raide mort et le temps que l’on regarde dans sa direction, Elisabeth avait disparu.

Elle attendit encore un moment, tapis dans l’ombre. Elle observait, discrète, patiente. Elle resta ainsi jusqu’à ce que le cadavre de l’homme ne soit plus surveillé et qu’elle puisse le traîner jusqu’à sa monture pour le ramener à la capitale. Il était la preuve de sa réussite, les affaires qu’il avait ayant été récupérées un peu plus tôt. Avec un peu de chance, il ne manquait rien, car l’information qu’il avait dévoilé ne pouvait pas être sur un morceau de papier. Uniquement dans sa tête.
Lorsqu’elle revint au quartier général, la réunion était toujours d’actualité, comme le ton haut et l’indignation. Le fait de traîner le cadavre d’un homme eut la magie de faire naître un silence dans l’assemblée. A ce moment-là, Elisabeth laissa les pieds de l’homme tomber, les lâchant comme si cela n’avait pas d’importance - et c’était le cas. Son regard alla sur les différents protagonistes de la pièce avant de parler d’une voix claire et distincte.

« C’est fait. J’ai tout récupéré. Il ne reste plus qu’à nommer un nouveau contrebandier, déclara-t-elle avec un léger sourire.
- Il est hors de question que nous laissions n’importe qui nous rejoindre ! La confiance n’est plus de rigueur depuis que la guerre a éclaté, s’exclama Les Griffes. »

Le regard d’Elisabeth se tourna vers Andrei. Avant même qu’elle ne prononce le moindre mot, il savait - et elle savait également qu’il ne voudrait pas. Il était pris de court, peut-être ? Elle n’en savait rien et ce fut pour cette raison qu’à peine eut-il un mouvement de la tête qu’elle prit de nouveau la parole, s’adressant uniquement à lui. Comme s’il fallait uniquement le convaincre. Mais il n’y avait que lui qui comptait pour elle.

« Tu m’as entraîné depuis que je suis jeune. J’observe, j’écoute et je te rapporte les choses depuis plus de dix ans maintenant. Je connais le marché, je sais ce que les gens veulent et ce qu’ils n’osent pas avouer. Je veux faire partie de l’Ordre… Je suis prête, dit-elle avant de faire une pause de quelques secondes pour reprendre de plus belle. Tu as tout fait pour que je trouve ma place, que je puisse survivre. Ma place est ici. Laisse-moi la vivre… »

Sans être prononcé, les mots « s’il te plaît » résonnaient dans les propos de la jeune femme. Elle ne savait pas si c’était son discours qui avait fait pencher la balance en sa faveur, si elle avait convaincu aussi bien Andrei que d’autres membres de la guilde, mais désormais, elle en faisait partie. Elle était Les Yeux.

Depuis trois ans maintenant, elle exerçait la tâche d’un contrebandier. Elisabeth avait masqué son visage, par sécurité. Lorsqu’elle se présentait, sous un pseudonyme, elle gardait toujours un turban sur sa tête et un voile qui lui cachait pratiquement tout le visage - le tout étant noir. Sauf les yeux. Ses yeux étaient toujours à découvert, scrutant avec perspicacité ceux qui souhaitaient faire affaire. Elle laissait toujours ses oreilles traînées dans les rues et ruelles d'Ahmrat Jen. Et son arc était toujours visible dans son dos.